L’arithmétique municipale.

Au pays de Jehanne…

Au pays de Jehanne, les voix comptent double à moins qu'elles ne se multiplient comme des petits pains. L'approche des élections municipales réveille les appétits des uns et des autres, tous prétendants au grand défilé annuel, ceints d'une écharpe tricolore ou à défaut jaune et rouge. Pour être à la page, il convient de suivre les pages de l'héroïne locale.

Pour être du nombre des élus, pour fouler le pavé devant une foule en délire, rien de mieux que d'appartenir au conseil municipal afin de festoyer tout en participant aux premières loges à toutes les festivités. Il n'est plus grand honneur dans cette cité que d'être du cortège ce qui pousse les adorateurs de la Lorraine à se bousculer au portillon des élections.

Les listes fleurissent en cet automne où chacun fourbit ses armes. Tous entendent être parmi les preux chevaliers et les nobles cavalières qui vont monter à l'assaut de la forteresse afin de bouter le vieil échevin que beaucoup disent à bout de course et de notoriété. Sur leurs destriers, ils ont fière allure avec des oriflammes toutes plus originales les unes que les autres.

Ils sont si nombreux du reste que des observateurs attentifs en viennent à se demander si bientôt, il y aura plus de candidats que d'électeurs. Contrairement à d'autres qui pratiquent le bourrage des urnes, ici, c'est le trop plein de listes qui interpelle. Véritable poussée à la manière d’une urticaire géante, elles se répandent sur tout l'échiquier politique local, inventant même des tendances et des courants pour se démarquer du voisin.

Une singularité m'impressionne au plus haut point. À de rares exceptions, ces listes sont toutes citoyennes, issues d'une large concertation de terrain, construites avec des électeurs de base qui désirent faire entendre leurs voix. C'est à croire que les habitants ont tous été interrogés pour donner leur avis et éventuellement participer à la magnifique course à l’échalote qui se prépare.

Quel est donc le sens exact de cette hypertrophisation des listes en cette cité johannique ? N'est-ce qu'une histoire de tête de liste pour s'accaparer une place convoitée par tant de personnes ? Est-ce plutôt une incapacité à se mettre d'accord sur un projet fédérateur dépassant les clivages idéologiques ? Ne serait-ce qu'une course à l'ego pour quelques têtes de gondole ? S'agit-il simplement du désir de figurer au livre des records ? Tout est possible avec ceux-là.

En attendant, les réunions vont se multiplier tandis qu'il conviendra d'installer des miroirs dans les salles afin de donner l'illusion du nombre pour les photographies. Car la bataille va se jouer non sur le terrain des idées mais de l'image. La Tête du premier de liste risque fort de n'être que le seul argument de vente puisque c'est toujours une trombine de premier de classe qui figure sur les affiches et les professions de foi.

C'est à ce petit détail qu'on mesure la réalité de la concertation dans les rangs puisque tout se résumera au sourire de circonstance du candidat déclaré. Combien seront-ils au bout de cette fièvre électorale à aller jusqu'au bout de leur délire ? Réussiront-ils à trouver des noms et des profils pour établir une liste ? Je leur conseille de vérifier qu'un nom ne figure pas sur plusieurs listes, c'est le propre de cette complexe arithmétique municipale qui multiplie à loisir les appelés.

Je risque fort de me sentir bien seul les prochains mois. Chacun y ira du soutien à son écurie, affichant sa préférence sur des réseaux qui de sociaux deviendront électoraux. Ne voulant porter aucune bannière, vais-je devoir à mon tour établir la liste de ceux qui tournent le dos à cette pitoyable course à l'écharpe ?

Curieusement, dans les petites communes, la situation est l'exact contraire. Plus personne ne veut se charger d'une responsabilité qui occasionne bien plus de soucis que de passe-droits, places réservées et petits fours à gogo, comme cela se passe dans les grandes cités.