La plage a la bourdon

Agrandissement : Illustration 1

Une plage comme il y a en beaucoup dans ce beau pays de France. Un étier ou un courant, un havre de paix où peuvent se garer les bateaux, à l'abri des vagues et des variations d'une marée aux mouvements erratiques. Plus loin, une plage où les estivants se prélassent, s’agitent, se baignent ou conversent aimablement, s'alanguissent sur le sable.
Chacun à sa manière est venu ici couper avec la frénésie de la ville, la folie des rues piétonnes, les sollicitations permanentes des marchands. C'est l'occasion de recharger les accus avant la reprise qui se profile à l'horizon calendaire. Il convient de peaufiner un délicat halage pour amortir les effets d'une année blanche, c'est du moins ainsi que l'entendent les adeptes du bronzage.
Il se trouve, chose extraordinaire sans doute, que nul groupe ici n'ait songé à se munir d'une boîte à bruit amplifié pour couvrir des conversations vides de sens. Seul le murmure du vent et les plaintes des vagues assurent un fond sonore que l'on peut aisément qualifier de musical. Il n'est pas endroit plus serein que celui-ci, le sable est fin, l'air clément et le soleil voilé n'agresse pas les peaux fragiles.

Soudain, une rupture dans la quiétude du moment. Un murmure lointain enfle petit à petit pour se faire bourdonnement entêtant. Les estivants lèvent la tête, s'interrogent sur la provenance de ce ronflement qui semble venir d'un essaim quelconque. La menace est réelle, elle se précise de plus en plus. On s'interpelle d'un groupe à l'autre. Le danger se précise, le ronronnement insidieux augmente son inexorable progression.
Des gens plus avisés n'hésitent pas à prévenir les secours. Si un nid de frelons asiatiques s'est installé sur la promenade qui longe la plage, la menace est telle qu'une intervention s'impose. D'autres se mettent en quête de découvrir l'emplacement de ce qui pour eux n'est qu'un essaim d'abeilles qu'il convient non de détruire mais de déplacer. Tous sont d'accord sur un point, ce n'est pas une cohabitation souhaitable en bord de plage.
Les pompiers arrivent alors que ce péril ne relève plus de leur intervention. Mais c'est une plage familiale, il serait fort ennuyeux que des enfants soient piqués. Dans le lot, il y a certainement des gamins allergiques. Il ne faut pas donner plus de travail que nos urgences surchargées n'en ont déjà. Pendant ce temps, le bruit se précise, il devient même vacarme assourdissant !

Le responsable des secours exclut désormais toute cause animale. Il prie ses hommes de rentrer à la caserne. Ils auront sûrement mieux à faire que de déloger le vol du bourdon. Sur la plage, chacun s'inquiète de cette menace qui semble venir de la mer. Si l'hypothèse des méchants insectes aux dards inquiétants tombe d'elle-même, il faut s'interroger sur cette menace qui se précise de plus en plus.
Certains évoquent la rumeur précédent un Tsunami, d'autres se contentent d'un raz de marée ou même d'une tempête qui fond sur la côte. Les suggestions vont bon train, la course à la proposition désastreuse fonctionne à merveille d'autant plus que nombreux sont ceux qui se sont perfectionnés dans le domaine des catastrophes en tout genre par le truchement des chaînes d'information en continue. C'est même une folle surenchère sur le sable tandis que quelques accrocs de la communication tentent d'enregistrer le terrible bruit pour le diffuser sur les réseaux sociaux.
C'est alors que le pot aux roses est découvert et que l'agitation cesse pour curieusement, laisser la place pour bon nombre des paniqués de l'instant d'avant, à une frénésie de photographies et de petites vidéos. Une horde de jet-skis surgit de derrière des rochers pour fendre l'eau à toute allure et immense vacarme tout en déchirant joyeusement les tympans. Ils passent pour des demi-dieux pour tous ceux qui aimeraient être à leur place et des malotrus indésirables pour les rares personnes censées qui estiment qu'un loisir mécanique ne doit pas contribuer à la destruction de la planète. Quant à moi, ce spectacle me donne le bourdon si bien que je me suis ingénié à rédiger cette farce.

Agrandissement : Illustration 4
