Le devoir de l'histoire.
Une fois encore j'ai programmé la visite du mémorial des enfants du Vel d'Hiv avec une de mes classes. L'affaire est aventureuse avec des adolescents qu'il est difficile de concerner. Le passé est pour eux chose abstraite quand les moyens technologiques leur assignent une obligation de présent permanent.
Pour préparer la visite à venir, pour qu'ils touchent du cœur une horreur qui eut lieu dans notre département, je n'ai rien trouvé de mieux que de compléter les textes et les documents par la projection en toute illégalité ça va de soi du film « La Rafle! ». Pour imparfait qu'il soit, ce document donne à comprendre, permet de sentir, de ressentir, de réagir, de s'indigner, de se révolter à ce qui se fit dans ce pays.
Mais que ce fut dur ! Que ce fut compliqué d'obtenir écoute et compassion, compréhension et réflexion ! Au début, ce fut le rejet massif : « Mais qu'est-ce qu'on a à faire de ce passé ? » Ils allèrent se plaindre auprès de ma collègue : « Il nous ennuie avec une histoire qui ne nous concerne même pas ! ».
Belles réactions qui attestent que l'entreprise d'abrutissement et d'individualisation de nos enfants est en marche, qu'ils sont le produit d'une éducation qui passe de moins en moins par l'école et de plus en plus par des médias qui se moquent comme de leur dernière chemise de l'Histoire et de la mémoire. Le socle commun exige simplement de nous qu'ils connaissent les symboles d'une République qui se conduit parfois si mal !
Le premier jour, ce fut délicat. Il y avait du bruit, des élèves ne semblaient pas vouloir regarder les images ou écouter les commentaires que je leur apportais lors des arrêts images. Il y avait de l'hostilité et des menaces même de ne pas revenir le lendemain. Certains tinrent leur promesse, d'autres reculèrent heureusement (l'absentéisme gangrène notre établissement). Pourtant ceux qui revinrent changèrent radicalement de comportement, le silence se fit, l'émotion gagna. Ils entraient en humanité !
Au fil de la projection, ceux qui la veille, discutaient, ceux qui se balançaient ou regardaient ailleurs se turent. Ils étaient pris par les images, la dureté d'une réalité qui se faisait tangible. Ils étaient touchés, révulsés par les images. Ils avaient fait un pas, ils firent lien entre cette abomination passée et d'autres tentations présentes. L'étranger est souvent responsable des maux qui frappent une société. L'histoire bégaie, il y a toujours des boucs émissaires fort commodes à monsieur Guéant comme à l'affreux Laval.
L'histoire est perpétuel recommencement. Je comprends que cette matière dérange tant nos gouvernements. S'il est simple de l'instrumentaliser, d'inventer des célébrations ou d'imposer des versions officielles par la loi, il est bien dangereux de permettre aux enfants de juger le présent par le prisme de ce qui se passa autrefois.
Nous sommes encore loin de notre visite au mémorial. Nous devons aborder l'autre versant des camps d'internement du Loiret. Si les camps de Pithiviers et Beaune la Rolande sont passés à la postérité pour bien vilaines raisons, celui de Jargeau est resté dans une ombre fort commode. On y interna jusqu'à la fin de 1945 (oui, ce n'est pas une erreur) les gens du voyage, ceux-là même qui subissent encore aujourd'hui les affres d'une politique peu glorieuse d'une nation sans mémoire.
Nous continuerons parce que dans la classe, un élève eut son grand-père enfermé dans cet autre camp d'une honte que l'on a jamais cicatrisée. Nous travaillerons autour du film « Liberté » de Tony Gatlif, curieusement passé inaperçu pour le plus grand bonheur de monsieur Guéant et ses amis. Qu'ils sachent pourtant que tant qu'il y aura une école libre et républicaine, je continuerai à évoquer ce passé et à lui donner des échos dans un présent qui n'est pas à notre honneur.
Subversivement leur