Des opinions disparates et désormais inconciliables

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Jamais, il me semble, la politique n’aura creusé de telles divergences dans les groupes sociaux. Il n’est désormais plus guère possible d'aborder le sujet en société sans tomber sur des anathèmes, des insultes, des imprécations et des mots qui ne laissent plus place au dialogue. Chacun campe dans son bastion idéologique ou bien se meut pour rejoindre, tant qu’il en est encore temps, ceux qui sont en marche...
À ce petit jeu, on se marche sur les pieds avant que de se monter sur la tête et se noyer mutuellement sous des flots de propos vindicatifs, assassins, nauséeux. Chacun est devenu l’ennemi à abattre, d’au moins un autre camp, si ce n’est de tous les autres. C’est un jeu de chamboule-tout qui laissera les amis ou les connaissances sans force, et sans plus l’envie de se revoir.
En premier lieu, il y a le redoutable camp de ceux qui pensent plus mal encore que tous les autres. On les affuble de tous les mots qui sentent la fange, de toutes les plaies de l’histoire : fascistes, nazis, racistes, liberticides, dictatoriaux... Car c’est certain, le choix qu’ils ont fait est de nature à rayer d’un coup de botte toutes les libertés. Dans ce cas, pourquoi diable ce parti est-il autorisé, si ce n’est pour favoriser encore et encore la survie des autres ?
Puis il y a les gens qui ont refusé de choisir, et que ceux qui se sont ralliés derrière le chevalier blanc de la finance, ont dénoncé comme traîtres, suppôts de Satan et complices objectifs du parti de la haine. Sans nuance dans le propos, ces braves oublient tout ce qu’ils pouvaient dire après l’élection de Chirac en 2002, et ce plébiscite absurde qui n’eut jamais aucun effet. Leur virulence à l’encontre de leurs anciens compagnons de pensée est d’une effrayante dureté : comme s’ils avaient commis un crime de lèse-démocratie en refusant simplement de choisir. Les réseaux sociaux avaient exprimé cette délirante violence verbale, juste avant l’élection ; le drapeau blanc n’est pas encore de mise et les mots définitifs pleuvent comme à Gravelotte.
Il y a encore les cocus de l’affaire. Ceux-là on les trouve sur les deux bords de l’échiquier habituel. Adorateurs des anciens partis de gouvernement, ils défendent la thèse du complot, soutiennent la thèse de la grande manipulation, fourbissent les armes et les arguments pour faire de la suite leur belle et grande revanche. Ils veulent le chaos, une chambre ingouvernable, simplement pour se venger, retrouver cette victoire dont ils s’estiment avoir été privés. La confiscation de la démocratie est si fortement ancrée dans leurs esprits qu’ils ne perçoivent pas le ridicule de la formule. Ils seront redoutablement dangereux, car ils soutiennent des vieux barons en place, des gens indécrottables qui ont encore un terrible pouvoir de nuisance locale.
Il y a les gens de la marge. Ceux-là ont, depuis toujours, choisi le mauvais cheval. Ils savent qu’il convient de ne rien dire, de surtout ne rien attendre du vote. Ils se battent au quotidien, subissent le plus parfait mépris des autres et pour eux, rien n’a vraiment changé. Ils sont ceux qui pensent de travers, ceux qui se dressent toujours contre, qui rêvent d’un monde impossible. Ils se moquent de telles critiques et retroussent sans cesse leurs manches pour de nouveaux combats. De toute manière, pour eux, la fracture sociale est une longue évidence qu’ils vivent depuis si longtemps.
Dans ce contexte délétère, la politique ne divise plus : elle fragmente, elle morcelle les groupes et les individus. On peut espérer un miracle ; ce dont je doute par nature ; mais en attendant, il est à craindre des conversations qui tournent en eau de boudin, des attaques qui laisseront des blessures indélébiles, des propos qui seront sans appel ni pardon. J’en sais quelque chose, et j’ai constaté la morgue de quelques nouveaux soutiens du vainqueur, transfuges d’un parti socialiste qui se fait le grand réservoir de la trahison, du revirement et de politique de la girouette. C’est à eux que je dédie ce texte.
Chamboulement nôtre.

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