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Billet de blog 23 juillet 2012

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Une drôle d'oraison funèbre.

À Jacques ... Préambule : Dire adieu à un ami, c'est souvent lui offrir un éloge qui est empreint d'une solennité qui force l'émotion. Pour accompagner le départ de mon ami, j'ai choisi un texte décalé qu'il avait lu, qu'il avait corrigé de quelques nuances à sa façon. Quand hommage et sourire se mêlent, quand le rire prend un bref instant la place du chagrin, je crois que nous redonnons vie à celui qui est parti pour l'autre rive.

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À Jacques ...

Préambule : Dire adieu à un ami, c'est souvent lui offrir un éloge qui est empreint d'une solennité qui force l'émotion. Pour accompagner le départ de mon ami, j'ai choisi un texte décalé qu'il avait lu, qu'il avait corrigé de quelques nuances à sa façon. Quand hommage et sourire se mêlent, quand le rire prend un bref instant la place du chagrin, je crois que nous redonnons vie à celui qui est parti pour l'autre rive.

Quand il était si bien dans son assiette ...

Quelque part en France vivait un citoyen Helvète qui eut l'idée saugrenue de conduire en sa patrie des amis français. L'homme était alors réputé pour sa sagesse, sa profondeur d'esprit et sa haute posture morale. Ce calviniste émancipé n'en conservait pas moins une lecture du monde à l'aune de cette éthique rigoriste. Il compensait ce qui peut facilement apparaître pour un défaut en notre pays latin, par une immense tolérance qui le démarquait immédiatement des fidèles de Rome.

C'est ainsi qu'en de multiples situations, il se lançait dans des longs exposés passionnants pour traiter d'un sujet de société, d'un fait d'actualité ou bien de l'inénarrable politique hexagonale, un sujet désopilant pour celui qui fut élevé au lait du consensus permanent. Quand il prenait la parole avec son inimitable : «  C'est invraisemblable … ! » prononcé d'une voix trainante à l'accent vaudois, nous savions alors que la société allait subir une profonde rénovation.

Nous buvions ses paroles, celles d'un ainé à l'expérience incontestable, au parcours exemplaire, à la pensée limpide. Nous aimions le provoquer pour des joutes oratoires qui faisaient le sel de nos après repas festifs. Jamais il n'était à court d'arguments, d'anecdotes merveilleuses, de détails importants pour éclairer notre lanterne d'hexagonaux obtus.

Il allait sur les cimes d'une pensée féconde, survolant les petitesses d'un quotidien mesquin, feignant d'éviter les querelles inutiles enkystées dans nos diverses traditions. Il était notre guide, notre maître, notre lumière. Nous avions alors l'impression d'être un peu plus intelligent, de mieux comprendre et d'avoir progressé un peu.

Tout cela a basculé. Notre sage a montré son vrai visage. Revenu sur ses terres, nous avons découvert un enfant intrépide, un aventurier insatiable dans des domaines qui mettront définitivement à bas la statue du commandeur. Notre phare est devenu gyrophare, notre guide s'est grimé en un Rabelais du canton de Vaud.

Veaux, vaches et cochons ne suffiront pas à apaiser sa faim. L'homme est un ogre de retour en son pays. Tout ce qui fit son histoire, son enfance, sa vie de jeune homme aventureux passe en bouche comme autrefois les paroles de sagesse. Il s'est lancé dans une quête gastronomique dont nous fûmes les témoins silencieux ; la bouche pleine n'est pas la meilleure disposition pour la répartie intelligible !

Il se goinfra de son chocolat bien évidement, la patrie de la transformation du cacao n'est nulle part ailleurs, il n'y a pas à revenir sur ce point. Il en est de même pour tous les produits laitiers ; fromages des alpages, crème double ou acidulée, gruyères somptueux, rien n'échappa à l'appétence nationaliste de notre homme.

Nous eûmes droit à des plats mijotés avec amour comme ce papet vaudois aux saucisses aux choux qui restera dans les anales si je puis oser cette formule ambigüe. Nous allâmes sans modération à la découverte du vignoble local pour notre plus grand bonheur, nous devons à la vérité d'avouer la chose. Il gourmandait toujours avec un plaisir rare ce vin de Chasselas qui réveillait tant de souvenirs en lui.

Tout eut pu se terminer en apothéose par une soirée de clôture où il serait redevenu l'homme raisonnable que nous connaissions autrefois. Mais c'est précisément-là que tout bascula dans la folie la plus totale, dans l'excès absolu et qu'il perdit à jamais son aura passée à mes yeux de disciple respectueux. L'homme, « ah ce que c'est difficile à écrire ! », a exigé une raclette pour marquer la « faim » de notre aventure helvète. La chose eut suffi à n'importe quel individu à l'estomac normalement constitué mais pas à celui qui fut autrefois notre référence. Il réclama alors des meringues à la crème de gruyère. Je dus même, monter à la force du poignet, une crème liquide pour en faire une montagne épaisse et gourmande. L'ogre engouffra la meringue avec son inévitable cortège de crème fouettée. Voilà comment une idole peut tomber !

Irrespectueusement sien

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