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Billet de blog 23 novembre 2025

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L'irrésistible histoire du vinaigre d'Orléans.

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La mère de l'esprit du vin.

L'irrésistible histoire du vinaigre d'Orléans © C'est Nabum

On ne prête qu'aux riches, l'usage vaut pour les humains comme pour les cours d'eau. La Loire, notre grande et dernière rivière sauvage d'après les offices de tourisme qui exagèrent toujours un peu, n'échappe pas à cette terrible loi. Elle se voit décerner bien des défauts à commencer par ce « Capricieuse » qui me met toujours en rogne alors qu'on lui attribue bon nombre de forfaits qui ne sont pas de son fait. Oyez donc la mesquinerie des braves gens, toujours prompts à se défausser pour ne pas rendre compte de leurs propres turpitudes.

Il en va ainsi pour notre bon et célèbre vinaigre d'Orléans. Les livres d'histoire, les guides touristiques, la légende urbaine et même les notoriétés du pays aiment à raconter une belle sornette pour plaire aux voyageurs, aux rêveurs et aux visiteurs. La fable est si parfaite qu'elle passe pour véridique. Je devine bien aux nez pincés et aux regards tords de ceux qui connaissent ce récit fallacieux que je n'ai nul espoir de leur faire changer d'avis.

Pourtant je ne serais pas vrai bonimenteur si je venais ici vous tenir grosse menterie. Si les mariniers naviguent sur des bateaux à fond plat, c'est qu’ils trouvent la profondeur dans le fond de leur cœur. Jamais, je n'accepterai que l'on puisse montrer du doigt notre Loire en l'accusant d'un forfait qui n'est pas sien. L'histoire a beau être belle, elle est pure invention issue de vilains traines lattes, arcandiers notoires, marins restés à quais, fripons et gredins de trop basses lignées l'ont diffusée avec malice.

Je devine à votre étonnement que je vous embrouille avec mes propos liminaires, que je n'avance pas assez vite en besogne et que vous allez bientôt perdre patience. Il est grand temps de vous rafraîchir la souvenance pour peu qu'il se trouve ici encore pauvre diable à ne pas savoir le mensonge qu'on nous sert trompeusement pour vrai.

Le vinaigre d'Orléans serait, voudrait-on vous faire croire, un don du soleil et de ce qu'ils nomment honteusement les caprices de la Loire. Pour le soleil, je veux bien qu'on lui accorde un petit rôle ! Quant à la Loire, elle n'est nullement capricieuse, tenez-le vous pour dit une bonne fois pour toute. Enfin, soyez certains qu'elle n'a jamais, au grand jamais trempé dans cette lamentable faribole éculée.

Des esprits peu avisés prétendent donc, nous finissons par y arriver, que le grand commerce de vin qui avait lieu sur le fleuve, avait pour plaque tournante la place d'Orléans. D'amont ou bien d'aval, nos chalands débordaient de barriques qui s'en allaient trouver gosiers à leur convenance. De Bourgogne ou d'Anjou, des vins de Cléry ou bien du Forez, des côtes Roannaises et des vins du Berry se donnaient le mot ou bien le pot pour venir parler métier sur les quais d'ici.

Là, il faut admettre que la chose est vraie et que jamais on ne vit plus belle collection de barriques ou de muids, se serrer les foudres en si bonne compagnie. Mais, nos menteurs à touristes affirment que parfois, la joyeuse troupe avinée perdait toute contenance quand les eaux de la Loire venaient à manquer. Pour peu que le soleil se mit de la partie, alors, les vins de tous les coins de France tournaient d'œil en notre bon pays.

De qui se moque-t-on à nous servir cette fable ? Les marchands de vin étaient gens avisés bien plus qu'avinés. Ils connaissaient le métier et ne se seraient jamais hasardés à livrer leur précieux breuvage en période de basses eaux. Nous étions en une époque où le commerce n'allait pas à flux tendu, les commerçants et les clients savaient encore prendre leurs précautions, ne se laissaient jamais surprendre par une rupture de stock.

Nul dans tout le pays n'aurait eu la folie de livrer du vin au moment où menaçait l'étiage. Même les buveurs de Bacou avaient encore assez de tête pour ne pas commettre pareille hérésie. Si quelque chose devait tourner, ce n'était certainement pas le vin en barrique ! Le grand exode des fûts ne se faisait pas en été, la chose est avérée et pourtant la fable continue de tailler sa route avec cette stupide explication.

Laissons-là ce triste mensonge tenu parfois même par des héritiers de nos vinaigriers d'antan. Nous savons la pitoyable vérité. Nous vous la livrerons aisément si vous nous baillez quelques verres à boire avant que le vin ne réclame sa mère pour y perdre son esprit.

Le secret que depuis des lustres, les gens d'Orléans cherchent à ne pas dévoiler, explique qu'ils avaient quelques turpitudes sur la conscience et pratiques inavouables qu'il fallait dissimuler dans les brouillards de la Loire. Je ne sais, maintenant que vous m'avez payé à boire, si je puis me permettre de briser le pacte de silence que depuis toujours, les orléanais ont scellé à ce propos.

Je me suis trop avancé, le vin est tiré, il me faudra le boire. Ne m'en gardez pas rigueur, la vérité est moins belle que la légende. C'est souvent le cas, il ne faut pas s'en étonner ! Il y avait en ce temps-là sur le quai du Châtelet, du Poids du Roy et du Fort Alleaume une troupe de malandrins qui imposait sa loi par de vilains expédients.

S'inspirant des pratiques qui ont toujours porté leurs fruits, ils imposaient une dime à tout le trafic qui passait dans leur zone d'influence. Personne n'échappait au racket de ces vilains. Chaque tonneau se voyait prélevé d'un seau, une taxe au vin affrété, la célèbre TVA qui, plus tard, donna bien des idées à d'autres bandits de la même espèce.

L'affaire était rondement menée. Les fûts décalottés, les seaux plongeaient bien vite dans les barriques et s'en allaient plus promptement encore se réfugier dans quelques caves secrètes de la basse ville. Les lascars n'étaient pas très avisés en matière d'œnologie. Ils ne se préoccupaient pas de provenance des fûts ponctionnés. Il y avait dans leur caverne un joli mélange de crus et de qualités, de vins de garde ou de soif, de piquettes comme de breuvages de fort bonne tenue.

Ils n'en avaient cure, ils avaient une gourmandise telle que beaucoup de seaux n'arrivaient pas pleins dans leur repère. Ils mettaient ce qui restait, en vrac, dans de grandes cuves qu'ils n'arrivaient pas à vider. Quand les convoyages venaient à cesser à l'approche de l'été, ils avaient toujours immense réserve pour passer la soif des grandes chaleurs.

Et c'est là que le soleil fit son effet un été plus chaud que les autres affirment les uns, quand d'autres prétendent qu'un des chalands brigandés était un transport de vinaigre de Dijon. Toujours est-il que dans les immenses foudres, se fit une jolie alchimie. Tout le vin tourna et devint tellement vinaigre que même ces bandits ne pouvaient plus y tremper les lèvres.

Un homme avisé trouva alors l'occasion de se lancer dans un nouveau négoce. Il acheta le stock pour une poignée de cerises et de là est né le célèbre vinaigre Des Seaux ! Le quartier s'en fit même une spécialité et le sieur adopta cet étrange patronyme pour continuer un commerce qui semblait profitable.

Voilà, vous savez tout. Orléans doit sa réputation à une bande de brigands. Des maraudeurs des quais qui ne valaient pas tripette. La fable éclipsa la peu glorieuse réalité. Si vous préférez oublier ce que vous venez d'entendre, je ne vous en tiendrai nullement rigueur. Buvons un verre et taisons ce qui ne doit pas être répété.

Illustration 2

Les vinaigres d'Orléans en réalité n'émanaient pas d'une mère qui donne toujours un vinaigre qui demeure alcoolisé (6 à 7°) et, qui plus est, est fort acide. Ici, il en va tout autrement… La nature avait doté la région d'une levure qui existait à l'état naturel, qui sous des conditions drastiques d'humidité, de température et d'air, prenait son temps pour transformer tout l'alcool du vin en des notes gustatives sans égales. Ajoutons à ce petit trésor, des terres dans le nord de la ville d'Orléans qui fournissaient les raisins les plus aboutis pour donner des vinaigres d'exception, et le tour était joué. Puis la levure à l'état naturel a disparu et quelques gardiens du temple ont cherché à la préserver, à la manière des gardiens du feu lors de la préhistoire. Ils ne furent bientôt plus que deux : Martin-Pouret et Dessaux avant que ce dernier se dissolve sous la houlette d'une grande société de l'agro-alimentaire. Depuis, il n'y a plus qu'un gardien du temple qui conserve tel un trésor cette levure miraculeuse et si fragile.

Illustration 3

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