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Billet de blog 24 juillet 2025

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Réduire la voilure.

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En attendant le naufrage

Illustration 1
© William Turner

Quand le vent nous porte, quand la vie nous sourit, quand l'existence est un chemin semé de roses, on se laisse porter par les éléments favorables sans se poser de question. Tout semble simple, facile, naturel. Si jamais un gros grain surgit soudainement, il convient de fermer les écoutilles, de serrer les drisses et de tenter de maintenir le cap, même au creux de la vague.

Puis le coup de tabac passé, tout revient à la normal. Votre embarcation poursuit le cours de son périple, le vent en poupe et le cap bien fixé, persuadé que vous êtes que rien de vraiment fâcheux ne peut vous arriver. C'est ainsi qu'on perd sa vigilance, que l'insouciance gagne votre petit équipage à moins qu'une tempête ne vienne se charger de vous rappeler à l'ordre.

Vous pensiez être indestructible, filant bon train, toutes voiles dehors quand soudain l'une d'elles se déchirent. Vous tentez vainement de raccommoder une toile qui s'est terriblement fragilisée. Le peu de ravaudage tient un temps avant que de finir par céder, en laissant un membre de votre équipée passer par-dessus bord.

La manœuvre devient délicate, le moral n'est plus au beau fixe tandis que les éléments se font hostiles mais pour celui qui reste à bord, il n'est que temps de réduire la voilure, contraint par les conditions et une destination qui manque désormais de clarté. Les vents se font contraires, bien aidés en cela par les lois de la navigation qui ne sont guère favorables au navigateur solitaire.

Pour l'heure, malgré tout, en tirant quelques bords, vous maintenez un rythme qui certes n'est plus celui des beaux jours, mais demeure acceptable. Cependant, à l'horizon, ce ne sont que nuages noirs et promesses de gros temps. Il va falloir se délester de bien des choses pour alléger une embarcation qui commence singulièrement à peser dans l'exercice quotidien de la maintenir à flot.

Vous pensez y parvenir quand l'amirauté vous impose des dépenses de sécurité tout en vous taxant sournoisement. La voilure va y passer. Il est terminé le temps où vous vous laissiez porter. Désormais pour maintenir le mouvement, l'erre sauvage finit par se réduire au point qu'il va vous falloir souquer pour ne pas rester sur place.

C'est alors une tout autre musique. Vous avez beau déployer toute votre énergie, vous devez bien admettre que les forces vous manquent. Il ne s'agit plus d'avancer mais simplement d'éviter de passer par-dessus bord ou bien de sombrer corps et âme au premier esquif venu. La vie a pris une tout autre tournure maintenant que tous les vents sont contraires.

Le moral en prend un sacré coup d'autant qu'une nouvelle ponction vient réduire votre solde de vieux marin. Un abattement qui s'envole tandis que vous restez collé à cette mer qui fait le gros dos. Vous regardez au loin désormais, guettant à la longue vue d'abord puis à la courte vue ensuite l'arrivée tant redoutée du passeur d'autant que plus personne n'est à votre écoute.

C'est désormais votre seule angoisse. Pour vous donner un peu de répit, vous abandonnez votre joli navire, vous contentant désormais d'un modeste rafiot en redoutant que n'arrive le moment où l'on vous collera d'office sur une de ces galères immobiles sur laquelle vieux loups de mer et plus vieilles sirènes encore, ne font plus qu'évoquer leurs croisières du passé en entendant le dernier voyage.

Pour cette ultime étape, vous avez tout vendu et quand il ne restera plus rien, au rythme où vont les choses dans cette société, vous redoutez qu'on se contente de vous jeter par-dessus bord, dans un vulgaire sac en jute, avec une pierre accrochée au cou pour ultime leste.

Ainsi s'achèvera cette croisière qu'on comme existence et qui n'a rien d'une partie de plaisir. Ce qui vous rassérène quelque peu c'est que même le vice-amiral sur son immense yacht finira peu ou prou dans les mêmes eaux troubles du néant.

Illustration 2

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