L'amour impossible.
Gibier de potence, je ne suis qu'un gibier de potence à leurs yeux. Il faut dire que grande est ma faute, un crime inexcusable dans cette société qui ne considère pas que les humains sont égaux en droit et en dignité quel que soit leur classe sociale. Je vais payer de ma vie ma prétention incommensurable de croire que l'amour abat les différences, unit les amants, efface les obstacles. Rien de tout cela est possible, je vais vous en administrer la démonstration afin que d'autres n'empruntent pas ce chemin d'illusions et de rêves qui fut le mien.
Tout a commencé pour moi de la plus agréable des manières. La destinée m'avait fait naître dans les communs d'un somptueux château. J'étais le fils d'un des nombreux domestiques de l'endroit. Comme mon père était le jardinier, nous avions le privilège de disposer d'une petite maison au cœur du parc. C'est là que je grandis en partageant mes jeux avec la fille du châtelain.
Au fil du temps, notre amitié franchit allégrement les étapes de la connivence, de la complicité, de la tendresse pour laisser éclore un amour merveilleux que nous devions dissimuler aux yeux de tous. Nous n'étions pas du même rang ce qui n'interdisait nullement de nous aimer comme des fous.
Inconscients sans doute des impératifs liés à nos statuts respectifs, nous nous retrouvions chaque fois que cela était possible en échappant à la vigilance des uns et des autres. La chose n'était pas simple tant chaque personne dans le domaine pouvait constituer pour nous un danger redoutable. La délation n'est certes pas le propre des domestiques mais l’obséquiosité de la fonction conduit à ce terrible travers.
Tant que notre relation demeura secrète, par la magie des mille et une précautions que nous prenions chacun de notre côté, rien de fâcheux ne vint entraver une relation qui forcément ne pouvait s’immiscer que dans les rares opportunités que nous offraient le hasard ou la nécessité. Qu'importe, nous le savions et cette pensée comblait à elle seule la frustration qui ne manquait pas de naître de tous les empêchements que nous rencontrions.
Je serai pendu demain matin
Ma vie n’était pas faite
Pour les châteaux Tout est arrivé ce soir de juin
On donnait une fête
Dans le château Dans le château de Laze
Le plus grand bal de Londres
Lord et Lady de Laze
Recevaient le grand monde Diamants, rubis, topazes
Et blanches robes longues
Caché dans le jardin Moi je serrais les poings
Je regardais danser
Jane et son fiancé
Puis vint ce jour où notre secret pourtant si bien gardé depuis quelques années vint aux oreilles du Lord De Laze. C'en était fini de notre tranquillité. Une telle mésalliance était inconcevable, dans cette noble famille comme certainement dans toutes les autres. Non seulement, il convenait d'étouffer le scandale mais plus encore, trouver rapidement un époux pour celle que j'avais honteusement déflorée.
Est-il nécessaire de préciser que je fus chassé du domaine ? Fort heureusement ma terrible faute ne rejaillit pas sur les miens qui furent conservés dans la domesticité. Il est vrai que mon père était un jardinier hors-pair qui faisait des merveilles. Je ne m'éloignais guère de l'endroit, gardant le secret espoir d'entrapercevoir Jane, mon adorée de temps à autre.
Pour clore définitivement ce chapitre désastreux pour Lord de Laze, un mariage s'imposait qu'il importait de contracter dans les plus brefs délais. Sa position lui permit aisément de trouver un gendre et plus spectaculaire encore, de convier la reine à la cérémonie. Cet honneur ne fut pas sans incidence en ce qui me concerne. Alentours, à l'annonce de cette nouvelle, tous ceux qui avaient colporté une rumeur qui avait fusé comme une traînée de poudre dans la contrée, se firent un malin plaisir de m'humilier de regards qui ne nécessitaient pas la moindre parole. J'étais fou de rage et de dépit.
Je serai pendu demain au jour
Dommage pour la fille
De ce château Car je crois qu’elle aimait bien l’amour
Que l’on faisait tranquille
Loin du château Dans le château de Laze
Pour les vingt ans de Jane
Lord et Lady de Laze
Avaient reçu la Reine Moi le fou que l’on toise
Moi je crevais de haine
Caché dans le jardin Moi je serrais les poings
Je regardais danser
Jane et son fiancé
C'est alors que je pris la décision qui m'a conduit dans cette geôle qui constituera ma demeure avant ce rendez-vous qui m'est promis demain matin. J'avais tant de colère en moi, tant de haine pour celui qui allait épouser ma Jane le jour de ses vingt ans. Je savais qu'en son cœur, pour elle, rien n'avait changé et qu'elle subissait là la loi de son clan, les injonctions du Lord qui plaçait son honneur avant le bonheur de sa fille.
Laver le mien ne pouvait se faire que dans le sang du jeune homme qui était à la place qui aurait dû être la mienne sans les convenances sociales. Il me fallait l’empêcher d'épouser l'amour de ma vie et pour se faire, il n'était à ma disposition qu'une manière d'agir. Je savais ce qu'elle impliquait pour moi, mais qu'importe, c'était l'ultime marque d'amour que je pouvais offrir à Jane.
Chassé comme un chien du château, condamné à errer dans la région en vivant d'expédients, j'allais ressurgir pour assouvir ma vengeance. Dissimulé derrière un bosquet, j'attendis le passage du cortège nuptial. Quant Jane et celui qui usurpait ma place et l'amour de ma belle furent à deux pas de ma cachette, je bondis sur le garçon pour lui enfoncer un couteau en plein cœur. Avant que les gens réagissent Jane se pendit à mon cou, sachant que c'était là un adieu définitif.
Je serai pendu demain matin
Ça fera quatre lignes
Dans les journaux Je ne suis qu’un vulgaire assassin
Un vagabond indigne
De ce château Dans le château de Laze
Peut-être bien que Jane
A l’heure où l’on m’écrase
Aura un peu de peine Mais ma dernière phrase
Sera pour qu’on me plaigne
Puisqu’on va lui donner Un autre fiancé
Et que je n’pourrai pas
Supprimer celui-là
Les hommes du Lord se saisirent de moi. Je n'opposai aucune résistance, sachant déjà le sort qui me serait promis par la justice de ce pays. J'avais agi en conscience, méprisant ce qui allait advenir par la suite. La force de mon amour me permettait de supporter tous les tourments que me réservait la justice des hommes. Quant à celle de Dieu, je n'en avais cure ; il fallait que ce soit un vilain personnage pour me priver de ma Jane.
La sentence ne me causa aucune surprise. Par contre, le temps qui s'écoula entre mon crime et mon exécution fut assez long pour donner le temps à ce maudit Lord de trouver un nouvel époux à ma Jane. Cette annonce fut une véritable torture. Demain je serai pendu et un autre épousera l'amour de ma vie sans que cette fois, je puisse empêcher cette monstruosité. Mourir sans voir cette ignominie sera douce consolation. Adieu ma belle !
Le temps a passé, d'autres ont chanté ma terrible histoire tandis que le spectre que je suis devenu, condamné aux limbes de l'enfer se fait un malin plaisir à hanter ce château de malheur.

Agrandissement : Illustration 2
