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Billet de blog 24 septembre 2025

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La naissance d'un poulain.

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La reconstitution du quai de la Poterne

Illustration 1

Il est des inventions qui naissent après un improbable concours de circonstance alors que d'autres sont le fruit du hasard ou bien de l’ingéniosité de ces curieux personnages que l'on nomme inventeurs.

Pour l'anecdote qui va suivre, certains la trouveront cocasse alors qu'à la vérité, elle n'est pas tout à fait fortuite. Mais dans pareil cas, chacun aime encore croire que tous les ingrédients furent ici réunis afin de donner à l'humanité un outil dont la simplicité n'en excluait pas une remarquable inventivité.

Tout commença par ce qui fut sans doute un malencontreux drame, c'est du moins ainsi que le vécut celui qui en fut le jouet de ce qui passa alors pour un petit incident à la conséquence qui resta en travers du gosier de celui qui en fut la victime. Suivez donc le déroulé de cette péripétie ligérienne.

Un chaland venu de Saumur après avoir remonté la Loire jusqu'en Orléans, vint amarrer sur le quai de la cité avec à son bord des tonneaux de ce vin rouge qui ravit les esthètes. Parmi tous ces fûts, il en était un qui avait été obtenu grâce à la persuasion d'un menuisier qui tenait à célébrer les noces de sa chère fille en prenant un vin de garde de l'année de naissance de la belle. Il y avait mis le prix d'autant que c'était une année d'exception et un privilège rare tant il n'était pas coutume de garder ainsi aussi longtemps du vin en fût.

Quand le bateau arriva à bon port, le client, averti par un coursier, un jeune orphelin qui vivait de menus services, se précipita pour assister au déchargement de sa précieuse commande. Il était dans un tel état d'excitation qu'il mit la pression sur un équipage qui pourtant était passé expert dans l'art de charger et décharger les barriques : une des marchandises qui faisaient escale ici.

César Cheval devait son nom de famille, assez rare dans le pays, à un ancêtre qui avait dû être doté d'une force colossale. Il avait hérité quant à lui d'une nature qui le poussait à piaffer d'impatience quand il attendait quelque chose ou quelqu'un ce qui lui valut le sobriquet de Bourrique.

Les mariniers connaissaient le lascar d'autant que c'était l'un des meilleurs charpentiers de marine de la rivière. Il n'était pas rare qu'il effectue des réparations sur les chalands après quelques mésaventures. Ils aimaient à taquiner ce personnage chaud du bonnet mais charmant garçon au demeurant.

Les bateliers, gens prompts à l'espièglerie de mauvais goût, avaient songé à jouer vilain tour à leur client. Pour l'occasion, un tonneau de vin tourné qui leur était resté sur les bras ferait parfaitement l'affaire. Quand ils virent arriver avec empressement le gars Cheval, ils se mirent en demeure de poser une échelle de bois le long de la bordée, qui reposait sur le quai. Avec force ahanements, ils simulèrent un déchargement compliqué et l'inévitable arriva…

La barrique qui n'avait pas été enceinte de cordes dévala l'échelle et se fracassa au pied du pauvre homme qui voyait s'écouler le vin qui devait constituer le point d'orgue d'un mariage qui ne serait que civil. Chacun comprend la communion à sa façon et pour lui, le vin remplaçait fort agréablement l'hostie. Le malheureux en pleurait de rage et de dépit.

C'est alors que le capitaine lui glissa à l'oreille que sa bonne étoile brillait encore puisqu'il avait de par devers lui un tonneau identique qu'il s'était mis de côté pour son propre usage. Compte tenu de l'incident qui s'était passé sous ses yeux, il convenait d'envisager une autre forme de déchargement.

L'homme qui avait connu pareille mésaventure à plusieurs occasions, non feinte celle-ci, connaissait l’ingéniosité du Père Cheval, dit la Bourrique. Il comptait sur sa motivation pour prestement envisager une solution plus commode pour assurer à moindre risque le déplacement d'une barrique du pont au quai.

Le menuisier attrapa de derrière son oreille son inséparable crayon de bois tandis que de sa poche, il tira un calepin et un mètre. Il se mit à tracer des plans tout en prenant des mesures. Il cogitait manifestement à une solution qui résoudrait singulièrement les inconvénients de l'échelle, comme support de la descente du fût. Puis, tout content de l'idée qui lui avait traversé l'esprit, il fila dans l'instant à son atelier installé rue de la Charpenterie. On ne pouvait mieux faire !

Il ne tarda pas à revenir flanqué d'une drôle d'échelle aux barreaux torves, arrondis pour épouser la rotondité du fût. Le voiturier se frottait les mains tandis que son équipage était enchanté d'un stratagème qui avait manifestement montré ses fruits s'ils en jugeaient la pertinence de l'objet qui était sorti de l'esprit fécond du père Cheval.

Un des mariniers s'exclama que le bonhomme venait de donner naissance à un merveilleux Poulain et le terme fut immédiatement reconnu pour identifier cet objet qui allait faire flores sur les rives de Loire. Le Poulain allait être adopté par tous tant il était simple de conception et facile d'emploi.

Pour le brave menuisier l'époque n'était pas au dépôt de brevet, il ne tira aucun bénéfice de sa formidable idée même s'il eut la fierté de voir nombre de ses collègues imiter son échelle tordue, son cher Poulain qui simplifia la vie des portefaix de la Loire. Je tenais à rendre à César ce qui lui revient de droit tandis qu'il arrosa sa merveilleuse innovation tout en mariant sa fille qui, justement épousait un jeune vigneron qui mit à profit cette histoire pour utiliser dans son chai le Poulain de son beau-père.

Étrangement la ville de Saumur fut elle aussi placée sous le signe emblématique du cheval. Mais ceci est une tout autre histoire, il ne faudrait pas songer à y voir la moindre relation de cause à effet. « Henni soit qui mal les panse », ne dit-on pas dans les écuries à propos des poulains tandis que dans les vigneries, on préfère déclarer : « Maudit soit qui ne se remplit pas la panse. ».

Illustration 2

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