D'essences sublimes
Agrandissement : Illustration 1
Il fut depuis fort longtemps le solstice d'hiver : un jour particulier porteur de belles et grandes légendes. Ces dernières voyagent à travers le monde de bien des manières différentes. Que l'on accorde foi à ces récits ou que l'on se contente de leur redonner vie par la magie de la parole, il est permis de s'émerveiller devant elles, comme le ferait tout enfant à qui l'on raconte cette histoire…
Sur une colline dominant une belle vallée, trois arbres d'essences distinctes partageaient leurs rêves et leurs espoirs. Ils tenaient longues conversations par le truchement des oiseaux qui venaient se poser sur leurs branches. Au fil du temps, chacun se sentant à l'apogée de sa puissance, les arbres songèrent au destin qu'ils envisageaient...
Le Frêne dit : « Je voudrais devenir un coffre au trésor, richement décoré, rempli d'or et de pierres précieuses. Ainsi tout le monde verrait ma beauté ». Le Chêne s'écria: « Un jour, je serais un bateau solide et puissant, et je transporterais les reines et les rois à l'autre bout du monde. Tout le monde se sentirait en sécurité à mon bord ». Le Cèdre dit : « Je voudrais devenir le plus grand et le plus fort des arbres de la forêt. Les gens me verront au sommet de la colline, ils penseront au ciel et à Dieu, et à ma proximité avec eux ; je serais le plus haut de tous les temps, les gens ne m'oublieront jamais. Ainsi je n'entends pas quitter ce pays ».
Les trois arbres prièrent pendant de longues années pour que leurs rêves se réalisent. Un jour, trois bûcherons survinrent à leur rencontre. L'un d'eux s'approcha du Frêne et dit : « Cet arbre m'a l'air solide, je pourrais le vendre à un charpentier ». Et il lui donna un premier coup de hache. L'arbre était content, parce qu'il était sûr que le charpentier le transformerait en coffre au trésor. Le second bûcheron dit en voyant le Chêne : « Cet arbre m'a l'air solide et fort, je devrais pouvoir le vendre à un constructeur de bateaux ». L'arbre se réjouissait de pouvoir bientôt commencer sa carrière sur les océans.
Lorsque les bûcherons s'approchèrent du majestueux Cèdre, celui-ci fut effrayé, car il comprenait que si on le coupait, ses rêves de grandeur seraient réduits à néant. L'un des bûcherons s'écria alors : « Je n'ai pas besoin d'un arbre spécial, alors, je vais prendre celui-là dont la taille permet d'espérer de nombreuses utilisations ! » Et le troisième arbre tomba de très haut.
Lorsque le Frêne arriva chez le charpentier, il fut transformé en une simple mangeoire pour les animaux. On l'installa dans une étable et on le remplit de foin. Le Frêne était dépité, son sacrifice était loin de répondre à sa prière. Le Chêne qui rêvait de transporter des rois sur les océans, fut transformé en une modeste barque de pêche. Ses rêves de puissance s'évanouirent. Le Cèdre fut débité en larges pièces de bois, et abandonné dans un coin. Les années passèrent et les arbres oublièrent leurs rêves passés.
Puis une nuit étoilée, un homme et une femme arrivèrent à l'étable. La jeune femme donna naissance à un bébé et le couple l'installa dans la mangeoire qui avait été fabriquée avec le premier arbre. L'homme qui pourtant était charpentier, dans son dénuement, ne pouvait offrir un berceau à son bébé. Les circonstances le contraignirent à se satisfaire de cette mangeoire. Seul cette nuit là, le Frêne comprit l'importance de l'événement qu'il était en train de vivre et sut qu'il contenait le trésor le plus précieux de tous les temps.
Des années plus tard, un groupe d'hommes monta dans la barque fabriquée avec le Chêne de notre récit ; l'un d'eux était fatigué et s'endormit. Les autres le rejoignirent dans son sommeil. Une tempête terrible se leva, et l'arbre craignit de ne pas être assez fort pour garder tout son équipage en sécurité. Les hommes réveillèrent alors celui qui s'était endormi le premier se leva et dit : « Paix ! » Et la tempête s'arrêta. À ce moment, l'arbre comprit qu'il avait transporté le Roi des rois.
Enfin, quelqu'un alla chercher les solives du Cèdre oubliés dans un coin. Un menuisier en fit à la hâte une mauvaise croix destinée à un terrible usage. La croix issue du troisième arbre fut transportée à travers les rues par un pauvre homme qui se faisait insulter par la foule haineuse. Au terme de son chemin de croix, le malheureux fut cloué sur les pièces de bois élevées sur le mont Golgotha. C'est ainsi qu'il mourut au sommet de la colline. Lorsque le dimanche arriva, l'arbre réalisa qu'il avait été assez fort pour se tenir au sommet de la colline et être aussi proche de Dieu que possible, car Jésus avait été crucifié à son bois.
Chacun des trois arbres a eu ce dont il rêvait, mais d'une manière différente de ce qu'il imaginait. Nous ne savons pas toujours quels sont les plans que la destinée nous réserve. Nous savons simplement que ses voies ne sont pas les nôtres. Quoique impénétrables au commun des mortels, il est préférable d’accueillir notre destinée en lui octroyant toute notre confiance.
Agrandissement : Illustration 2