J'ai rencontré Géo Trouvetou.
Il est de ces hommes, modestes et tranquilles, qui ne doivent rien à personne, font leur chemin, tranquillement, à l'écart de la gloire et de la fortune. Il avance en père tranquille pour le seul bonheur de créer ce qui lui passe par la tête, de rendre possible des idées qui pétillent, de donner corps à son inventivité.
Simple serrurier de formation, il n'est pas sorti des grandes écoles. Il n'est, comme il se plait à le dire, ni ingénieur, ni architecte, ni sorti de l'Éna. Il se peut qu'il confonde un peu les compétences des uns ou des autres, du moins celles que ces personnages importants revendiquent d'avoir bien au-dessus de ce petit peuple qui n'a jamais droit au chapitre.
Il travaille du matin jusqu'au soir, faisant le tour de l'horloge dans cet atelier qui tient tout à la fois du capharnaüm, de la caverne d'Ali-baba et d'un joyeux désordre créatif. Il empile, il conserve, il met de côté tout ce qui se transformera, un jour, par la grâce de son inventivité, pour devenir un objet indispensable et miraculeux de précision.
Il ne cherche pas à faire fortune. S'il travaille dur, c'est pour le seul bonheur du travail bien fait et son immense talent n'est pas de ceux qui permettent de récolter des fortunes indécentes. Preuve s'il en est que, dans ce pays, l'argent n'est pas la valeur première et qu'il se trouve encore des gens heureux de faire bien et même un peu plus que bien, leur métier. Mais laissons-là ces remarques insidieuses, je ne sais quelles sont les opinions du bonhomme.
J'ai découvert ce génie de la mécanique alors que j'étais à la recherche d'une fendeuse à bois. Nous venions d'abattre des pins qui menaçaient de tomber sur une maison. Les billes étaient énormes, nos bras et toute notre énergie ne suffisaient pas à venir à bout de ces monstres de bois. C'est alors qu'on nous indiqua l'antre du bonhomme seul capable, parait-il, de vous confectionner une fendeuse.
Il était justement à l'ouvrage. Il venait de vendre la précédente, la septième de sa création et attaquait la dernière née de ses réflexions. À chaque fois, un nouveau détail, une amélioration, une astuce pour faciliter le travail. L'homme ne compte ni son temps, ni ses réflexions. Son inventivité est à la hauteur de sa capacité de fabrication. « Les ingénieurs oublient tous ces petits détails qui rendent le travail plus facile parce qu'ils sont bons à rien et ne se servent jamais des machines qu'ils fabriquent ! » On ne peut être plus clair …
Il nous précisa que la machine serait prête à Pâques et que c'était justement le temps qu'il fallait pour que notre bois sèche convenablement. C'est ainsi que nous retrouvâmes notre artiste de la mécanique et sa fendeuse horizontale. Il nous fournit, avec une joie non dissimulée les petits détails de son joyau : un moteur de voiturette qu'il a débridé pour doubler sa puissance initiale de 6 chevaux. Deux leviers qui entraînent des vérins hydrauliques, l'un actionnant un panier pour charger les billes, l'autre pour entraîner un coin énorme et massif pesant plus de 25 kilogrammes. 150 heures de travail pour un résultat qui demande encore quelques améliorations pour la suivante...
Je cessai bien vite de noter les détails. Je regardais notre homme. Il jubilait à expliquer son bijou d'ingéniosité. Il avait belle allure avec son grand tablier de cuir par dessus une cotte bleue qui sent le maître ouvrier. Les cheveux en bataille, grisonnants et épars, le regard clair, la voix chantonnante qui débite à vive allure des explications qu'il connait sur le bout des doigts.
Quel bonheur de croiser, au détour d'un besoin, un artisan si compétent dans son art. Je l'aurais écouté des heures mais il fallait mettre en action son monstre, un engin de plus de 3 mètres 30 de long (il l'a mesuré pour moi) et lourd à vous donner un tour de rein. Il s'amusait encore à nous expliquer l'art et la manière de fendre les grosses billes en 6 ou en 9 buches qui s'ouvrent comme une tulipe quand on les jette au sol. (cela, jamais nous ne pûmes le réussir) « Moi, je sais m'en servir ! » ajouta-t-il goguenard, en nous laissant partir.
Si un jour, vous poussez jusqu'à Mimizan et qu'il vous prenne l'envie déraisonnable de fendre du bois, cherchez bien à l'entrée du village cet incroyable personnage dont je vous tairai le nom. Il est de ces gens qu'il faut découvrir, je vous laisse le plaisir de le chercher un peu.
Inventivement sien.