Cabale vespérale

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Perché son écritoire, un grimoire ouvert broie du noir. Il y a si longtemps que plus personne ne vient compléter le récit inachevé que, dit-on, les frères Grimm s'étaient ingéniés à rédiger à la manière d'un vieux parchemin. Pourquoi avaient-ils interrompu leur travail ? Nul ne peut le savoir d'autant que cette version de l'histoire elle aussi se perd dans le silence des sources.
Seule la poussière accumulée au fil des temps sur cette page inachevée atteste d'une antériorité incontestable tout comme peut le laisser supposer la calligraphie d'un texte, il est bien difficile de certifier la paternité. C'est la rumeur qui fit un temps circuler ces deux noms connus qui collait si bien à l'idée que l'on se fait d'un grimoire.
Puis à y regarder de plus près, pourquoi diantre ces deux-là se seraient donnés la peine d'écrire en français, langue dont on n'est même pas certain qu'elle leur fut usuelle, véhiculaire ou simplement usitée. Mais il est évident qu'on ne prête qu'aux riches... S'ils s'étaient s'agit d'un début de fable, il est probable que la rumeur eut évoqué un Jean de la Fontaine, poudré et "perruqué".
Une analyse graphologique de ces quelques lignes auraient pu éclairer nos lanternes. Encore eut-il fallu que quelqu'un prenne à sa charge le coût financier de la chose. Est-on même certain que ce grimoire soit lui même un véritable objet historique ? N'est-il pas qu'une pâle copie de ce que furent jadis ces ouvrages si précieux, secrets et mystérieux tout à la fois.
Que les outrages du temps en effacent en partie les mots sur des pages qui jaunissent de manière inquiétante démontre à l'évidence qu'il est vénérable à défaut de se certifier authentique. Ainsi donc, s'il broie du noir, c'est qu'il en vient sans doute à douter de sa propre existence, de son inscription dans les créations humaines.
Il est venu à sa connaissance que des écrits naissaient désormais de la puissance numérique de ce qu'on prétend qualifier d'intelligence du plagiait universel. Il espère ne pas s'inscrire dans cette escroquerie et que c'est bien une ou des mains humaines qui ont pris la plume pour y laisser une infime trace de sa réalité tangible.
L'écritoire lui aussi en vient à douter de lui même. Fut-il un jour le réceptacle à une plume qui ne pensait nullement se trouver sur un perchoir à oiseaux ? Que le texte eut été écrit au stylo bic ou bien imprimé et pareille interrogation n'aurait pas lieu d'être. Mais la plume est de nature de se prendre de bec avec la réalité.
Qu'il soit permis d'examiner la proposition du perchoir. Sa hauteur justement donnerait une indication, certes pas suffisante mais peut être assez précise de la taille de celui (ou bien celle) qui a rédigé ces quelques mots pour peu qu'on prenne pour acquis l'hypothèse d'une rédaction debout. L'hypothèse d'un rédacteur assis du reste ne tient pas debout ; elle supposerait qu'il se fut installé sur un tabouret de bar, ce qui en ce temps passé semble totalement exclu.
Cette idée pour saugrenue qu'elle soit place notre ami le grimoire sur une nouvelle trace. Il lui faudrait mettre la main sur l'encrier dans lequel la plume a plongé pour analyser l'origine de l'encre. Fut-elle de Chine que tout s'éclairerait d'un nouveau jour. Mais comment se faire la plus petite idée à ce sujet ? Le grimoire n'est pas en mesure de recueillir des données crédibles en ce domaine.
Le mieux pour lui est de tourner la page, d'oublier ces fragments trop parcellaires pour se faire la plus petite opinion à son propos. Et puis, s'il n'était Grimoire pour n'être au demeurant qu'un journal intime et qui plus est anonyme ? Au lieu de broyer du noir, il serait alors sur les traces d'une profonde dépression qui en se couchant sur le papier a fait l'économie d'un divan onéreux. L'écritoire plutôt que le parloir, l'idée est belle faute de confessionnal.

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