Le glabre et le goupillon
Une troupe de moussaillons fort disciplinés mais peu aguerris aux aigreurs de la navigation, se présenta sur le quai dans un ordonnancement des plus parfait. Pas une tête dépassait alors que l'ordre et le silence régnaient dans les rangs tandis qu'autour d'eux, le tumulte était la règle. Tel un seul homme, les enfants de troupe s'assirent sur le pierré pour écouter un baladin à l'allure incertaine.
Jamais notre beau parleur n'avait eu auditoire aussi attentif. Pas un commentaire, pas une exclamation, pas une discussion en aparté n'émanait de ce collectif « affistolé » pour l'occasion d'une vareuse bleu horizon ornée d'un blason digne d'une héraldique nobiliaire . Le détail eut dû mettre la puce à l'oreille à ce discoureur si son béret ne l'avait pas rendu bas de plafond.
Au lieu de quoi, au lieu de pointer son regard et son propos vers la ligne bleu des Vosges, il crut bon se tourner vers le Ponant, à l'opposé du lieu de naissance de notre Seigneur Jésus Christ. Voilà bien crime de lèse divinité qui ne tardera pas à se manifester d'autant que le malheureux eut la maladresse insigne de se présenter comme mécréant notoire.
La remarque, si elle ne troubla guère le jeune auditoire, dressé à ne montrer aucune réaction en public en dehors des offices religieux, parvint sans doute aux oreilles, bien calées sous un béret qui penchait singulièrement sur le côté droit d'un homme apparemment grimé en cormoran pour venir célébrer la Loire et son grand Festival.
Tandis que le Bonimenteur évoquait avec ce brin de perfidie propre aux comédiens qui ne l'oublions jamais, jadis étaient voués aux flammes de l'enfer et à l’excommunication préalable, se gaussait quelque peu en persiflant notre bon Saint Nicolas. La chose ne tomba par dans l'oreille d'un sourd puisque l'homme déploya rapidement ses ailes pour fondre sur ses ouailles, la soutane au vent en jetant l'anathème sur le blasphémateur.
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Comme un seul homme, les petits serviteurs de la bourde de bois, se dressèrent sans un bruit et obéissant au geste vengeur du prêcheur, fuirent le pêcheur devant l'éternel. Il se trouve que des moutons se trouvaient non loin de là, refuge idoine pour ses tendres agneaux d'un Dieu de tolérance qui n'accepte guère que l'on se gausse des siens.
Le discoureur en eut, un bref instant, la chique coupée. Pareille réaction fleurait un intégrisme qui ne semblait guère de circonstance en ce lieu où l'on célébrait la Marine de Loire, son histoire certes mais aussi les divers travers d'une corporation prompte à la truculence et à l'excès. Un mot de travers et le pieux berger remettait en branle sa troupe de moussaillons. Il dut le faire en maints endroits du reste.
Le public fut proprement stupéfait de cette réaction et de sa manifestation dans un silence de cathédrale. Il y eut un long silence le temps que parte cette petite centaine de futurs soldats de Dieu, tous blanchis sous le même harnais. Qu'ils dénotent avec la diversité des autres groupes d'enfants devint dans l'instant la réflexion que se firent tous les témoins de cet incident.
Par la suite, il se murmura qu'il se passa la même réaction outragé à l'épilogue quelque peu grivois d'un chant émanant d'un groupe à la réputation de truculence fort établie sur ce quai et partout ailleurs. Le directeur de conscience de nos moussaillons, tout à fait allergique à la plus petite référence à la sexualité, la religion et la morale auraient dû réfléchir à deux fois avant de mettre ainsi en péril les âmes de ses enfants de chœur.
C'est alors que nombre d'entre les témoins de la scène sentirent un coup de vent inquiétant soufflant d'une direction qui ne présage rien de bon. Cette petite troupe semblait être la garde avancée d'une prochaine croisade contre les impies et les infidèles qui n'allait pas tarder à semer la bonne parole avec une rigueur extrême. Clovis pouvait relever la tête, l'union du sabre et du goupillon reprenait des couleurs en ce Val de Loire. De nouveau, des missionnaires se préparaient à terrasser tous les monstrueux dragons le long de ce fleuve intranquille.
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