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Billet de blog 29 octobre 2025

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La peur bleue de Merlin

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il en a gros sur la patate.

Illustration 1

Pour le bon Merlin, depuis la nuit des temps, l'entrée dans l'hiver se célèbre durant les 3 nuits de Samonios. Lorsqu’est venu le temps de la mauvaise saison, la porte s'ouvre sur une période durant laquelle la nuit sera plus importante que le jour. C'est alors l'occasion rêvée de penser à tous ceux qui ont quitté cette vallée de larmes en souhaitant qu'ils aient trouvé dans cet au-delà mystérieux une nouvelle et belle existence.

Notre mage eut par la suite à supporter l'intrusion de l'église chrétienne qui s'est appropriée les vieilles croyances celtes en célébrant la fête de tous les saints. Merlin n'y voyait pas malice puisqu'il était question là encore d'avoir des pensées affectueuses pour ceux qui étaient partis pour l'autre monde. Que les chrysanthèmes aient remplacés ses chères pommes n'avait guère d'importance même si le ton par trop lacrymal de la célébration le dérangeait quelque peu.

Là où il y trouvait à redire c'est qu'en son époque, on commémorait ce passage durant trois nuits à partir du 29 octobre pour évoquer successivement le passé, le présent et l'avenir. Une belle occasion pour permettre aux défunts de venir tenir compagnie aux vivants tandis que les vivants en profitaient pour communiquer avec eux. Des créatures mystérieuses servaient de truchement à cette étrange communication sans pour autant toute effrayer les vivants.

Pour que s'établisse ce dialogue, il convenait d'allumer le feu sacré au cœur d'une roue faisant référence à l'astre solaire qui faiblissait de jour en jour. Ce feu était entretenu jusqu'à ce que survienne la première gelée suivant la pleine lune d'octobre. Ce feu retrouvera de sa vigueur avec la bûche de Noël quand cesseront de raccourcir les jours.

Merlin se félicitait de cette fusion entre croyances et cycle des saisons afin que la nature demeure au cœur des préoccupations des humains tout en conjurant les peurs liées à cet inconnu que constitue le grand saut dans la mort. Il fallait que ce mystère se célèbre entre pensée symbolique, mystère et partage. Depuis il s'inquiète de constater ce qu'est devenue cette mystification d'Halloween, le 31 octobre, qui semble tout ramener à la seule dimension commerciale empreinte d'un folklore diabolique de mauvais aloi et d'une esthétique déplorable.

De son temps, les enfants allaient de maison en maison pour honorer les défunts en réclamant un présent ou en distribuant un mauvais sort à qui leur refusait de donner en autre, une pomme ou une noix. Pour le vieux mage, ces présents étaient largement préférables à cette orgie de confiseries qui se distribue parfois sous la contrainte.

Merlin aimerait rappeler à cette horde de gamins grimés qu'en son temps lointain, les enfants ainsi récompensés devaient à leur tour faire offrande d'une chanson ou d'un poème. Le pauvre mage ignore sans doute qu'aujourd'hui, bien des enfants ne seraient pas capables de réciter quelques vers pour remercier leurs hôtes eux qui ne parviennent pas toujours à dire tout simplement : « merci ! ». Il en mangerait son chapeau pointu d'indignation.

Quant à toutes ces citrouilles creusées et illuminées, il se demande bien pourquoi ce légume qui n'existait pas dans sa chère Europe a pris la place des calebasses ou des navets d'autrefois. C'est à croire que pour retrouver nos vieilles croyances, il faut impérativement faire un crochet par l'Amérique et son rapport satanique à l'argent et à l'individualisme.

La Lanterne de Samonios © C'est Nabum

Car pour notre mage, la disparition du grand feu de joie qui réunissait toute la communauté humaine est bien l'expression de cette volonté de se renfermer chez soi, de ne pas partager dans une liesse collective qui elle aussi s'inscrivait dans le cycle naturel. Les brandons du feu de joie permettaient d'allumer les foyers dans chaque demeure tandis que, plus tard, ses cendres étaient répandues sur les terres cultivées pour affronter les frimas de l'hiver.
Que reste-t-il de tout cela ? Merlin s'interroge en voyant ces hideux déguisements, ces agitations grotesques et impies relayées par les municipalités et les médias sans donner le moindre sens aux pratiques sottement détournées. Il aimerait que des consciences s'élèvent pour revenir aux valeurs fondamentales de cette fête qu'il faudrait ne plus galvauder de la sorte en les promouvant simplement par pure démagogie et mercantilisme.

Notre Mage aimerait revoir des bougies allumées éclairant la nuit sur le bord des fenêtres afin de guider le chemin des défunts pour qu'ils viennent frapper à la porte de leurs anciennes demeures. Ils y trouveraient ainsi des pommes posées sur la table de la cuisine pour leur rappeler que personne ici ne les a oubliés.

Pour ceux qui nous ont quitté dans l'année, il n'est pas encore temps de les recevoir chez soi. Il leur faut d'abord trouver leur chemin vers ce monde évanescent qui les accueillera pour l'éternité. Pour les aider dans ce délicat cheminement, des pommes seront enterrées dans la terre pour les nourrir durant ce délicat périple.

Enfin, chacun devrait faire une petite introspection personnelle à cette occasion en écrivant sur des petits papiers des pensées personnelles mais aussi tous ces tourments de l'existence dont on espère se libérer : soucis, maladies, assuétudes négatives, mauvaises pensées, inquiétudes, comme ce fut longtemps le cas. Une fois couché sur le papier tout ce qui pèse sur vos vies, le feu facilitera leur disparition. Pauvre Merlin, qui ignore que bien peu désormais savent encore écrire sur un papier de nos jours ?

Et tant que la table demeure la seule tradition qui se maintienne tant bien que mal dans cette société où même le repas pris en commun au sein de la famille bat de l'aile, notre brave mage entend rappeler à ceux qui voudraient suivre véritablement cette célébration que le repas de cette fête de saison doit lui aussi suivre ce précepte. Il vous conseille de constituer un repas à base de produits de saison qui se passent d'avion et proviennent de nos territoires.

Vous ferez alors étalage de votre savoir-faire en matière culinaire avec les courges de chez nous, les pommes de terre, navets, betteraves et oignons. La viande ou les abats devraient y avoir leur place pour ceux qui mangent de la viande tandis que pommes, châtaignes, noix, amandes, miel achèveront un repas arrosé de bière, le vin n'étant pas à l'ordre du jour à l'époque. Pour se faire, point ne serait besoin d'exploiter des presque esclaves à bicyclette pour vous livrer un repas tout prêt.

Enfin ce repas serait l'occasion de se lancer dans quelques vœux et divination puisque le monde des vivants et des morts est perméable durant ces trois jours. Il se peut que des messages vous soient transmis de l'au-delà dont vous ferez peut-être bon usage. Mais pour ce faire, oubliez toutes les simagrées de cet Halloween honteusement commercial.

Merlin déchante. Il a une peur bleue de n'être pas écouté et encore moins compris. Il est vrai que ce qu'il évoque là échappe totalement à l'entendement d'une époque vouée totalement à sa perte où tout espoir de renouveau semble vain.

Illustration 3

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