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Billet de blog 30 août 2025

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À quoi sert la poésie ?

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Plaidoyer pour l'inutile

Illustration 1
Portrait de Charles Baudelaire © Gustave Courbet

J'ai assisté à une remarquable conférence de Jean-Pierre Paulhac, poète, conférencier, écrivain et aussi homme de spectacle, accompagné d'un autre Jean-Pierre qui agrémentait le formidable exposé de quelques grands poèmes de la langue française mis en musique par des chanteurs de renom et qu'il chantait agréablement. Je ne peux que conseiller cette animation de grande qualité à des bibliothèques, des librairies et des associations qui s'intéressent encore à la poésie.

Là cependant n'est pas mon propos. Je vous laisse avec joie découvrir l'argumentation fort éclairante de notre conférencier exalté. Je peux vous assurer que vous passerez un excellent moment riche de réflexions, de découvertes et d'intelligence. C'est à propos du titre que je me permets de prendre la plume, n'ayant pas souhaité émettre la moindre réserve durant sa prestation.

Voilà bien une question qui s'inscrit dans la logique utilitariste de notre époque. Tout devrait avoir une utilité, une rentabilité, un bénéfice quelconque sinon la chose ne vaut pas la peine d'être. Ainsi la même formule pourrait être accolée à l'école, à la peinture, à la lecture et j'en passe. Ne servir à rien, dans ce contexte désespérément mercantile, parfaitement rationnel est un point d'honneur dont devraient se vanter bien de nos activités artistiques ou culturelles.

Ce rien n'est pas rien tout au contraire. Il est essentiel car il se refuse à cautionner ce système qui conduit l'humain à sa perte alors qu'à contrario, la poésie et les différentes activités qui peuvent lui être associées sont de nature à élever, à émouvoir, à toucher sans que le commerce vienne se mêler à pratique. Un acte gratuit est par excellence la quintessence de ce qui fait la grandeur de notre espèce et peut-être même sa spécificité.

De plus, toutes les contraintes que se fixe le poète pour respecter les nombreuses règles de la versification sont autant d'obstacles volontairement mis en travers de sa création pour la magnifier, lui procurer l'immense plaisir de passer outre afin de se jouer des difficultés, des codes, des sonorités, du sens et parfois de l'esthétique. Moins ce parcours d'obstacles sert à quelque chose, plus il procure une immense liberté de ton, de propos, d'expression.

Le poète échappe à toutes les mesquineries de ce monde pour entrer en relation avec un ailleurs qui selon les individus relève d'une entité supérieure, d'un sujet évanescent, d'une communion avec la nature ou des esprits, d'un désir de s'affranchir de toutes les pesanteurs économiques et sociologiques. C'est en ne servant à rien qu'il a l'espoir de servir à tout le monde en touchant leur cœur, leur âme, leur intelligence, leur sensibilité.

C'est quand le Rien rejoint le grand Tout que la poésie atteint à ce sublime qui ne s'explique pas, s'analyse encore moins, ne se calibre ni ne se monétise. Plus son auteur se libère des servitudes de son époque, des obligations sociales et économiques, plus il a une petite chance de tutoyer les anges, d'entrer en communion avec les muses pour toucher quelques individus.

Il n'est pas là pour caresser les masses dans le sens du poil, les décideurs par des flatteries obséquieuses, les critiques par des facilités honteuses. Il reste lui-même sans souci de plaire ou de déplaire, n'ayant de compte à rendre à personne puisque son art ne sert strictement et définitivement à rien qui vaille la peine de faire tourner ce monstre hideux qu'on nomme société.

Alors mon cher Jean-Pierre, peu me chaut que Victor Hugo ait pu s'acheter sa maison avec les gains de son recueil de poèmes. Ce n'est pas ça qui fait sa gloire et sa grandeur. Il a toujours su rester libre au prix parfois de l'exil et de la disgrâce. D'autres sont morts dans l'anonymat et la pauvreté et pourtant ils sont désormais des trésors incomparables de notre patrimoine culturel. Ils continuent du reste de ne servir à rien d'autre que de rendre meilleurs les tous derniers lecteurs de ces choses si dérisoires : un poème, une fable, un conte, un roman, une chanson...

Illustration 2
Jean-Pierre Paulhac

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