Assurance céleste pour les gens d'eau.
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Comme chaque année désormais, le renouveau de la Marine de Loire s'accompagne du retour à la célébration de la Saint Nicolas, sur les bords de la Loire. Il convient de préciser que ce n'est pas le seul saint patron des mariniers d'antan qui prenaient grands risques à naviguer sur nos rivières. L'assurance céleste prévoyait ainsi de faire appel à plusieurs, mutuelles dont les actionnaires n'étaient autre que Saint Clément, Sainte Catherine, Saint Mathurin, Saint Roch, Saint Père, Saint Érasme et j'en oublie certainement beaucoup d'autres.
La police il est vrai n'était guère onéreuse : une bonne prière de temps à autre quand les conditions n'étaient pas à l'enthousiasme ni à la sérénité accompagnée d'un bon coup d'arquebuse et les mariniers pouvaient affronter les pires obstacles en tout confiance. Si le procédé n'était pas sans risque, il avait malgré tout de quoi vous concilier le ciel en cas de visite prématurée.
La Saint Nicolas n'était par contre jamais célébrée par les gens de l'eau le 6 décembre. La Loire tout comme les autres rivières étaient à flot, le commerce et forcément la navigation y battaient leur plein. Il n'aurait pas été judicieux de rester à quai pour y faire la fête et quelques messes. Dieu et ses associés, dans leur grande mansuétude, attendaient sagement la période des basses eaux pour avoir leur content de célébration.
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Mais laissons justement Auguste Léger, le dernier marinier de Loire, nous expliquer la manière dont cela se passait à l'époque : « Si sur le calendrier la Saint Nicolas, patron des mariniers, est célébrée le 6 décembre, nous autres, nous n’avions guère de temps à lui consacrer alors que la rivière était afflôt . C’est ainsi que nous trouvions une période plus propice pour lui consacrer une procession. Il convient de ne pas mélanger les affaires et les superstitions. À Sully, nous fêtions le patron le 10 septembre, une période creuse pour nous entre les moissons et les vendanges, pour lesquelles nous trouvions toujours embauche.
Partout dans le Loiret, on fêtait la Saint Nicolas. Je peux vous faire de mémoire les villes qui honoraient le bonhomme : Neuvy-sur-Loire, Châtillon, Briare, Gien, Saint Père, Sully, Saint Benoît, Châteauneuf, Jargeau, Combleux, Orléans, Saint Hilaire-Saint-Mesmin, Lailly-en-Val, Meung-sur-Loire, Beaugency et peut-être d’autres encore. Montargis sur le canal n’échappe pas à la règle et Olivet sur le Loiret, tout autant.Mais revenons à la procession et à la fête. La veille au soir, les mariniers se regroupaient pour faire une grande retraite aux flambeaux. Nous coupions des vieilles cordes, nous n’en manquions pas, que nous trempions dans le goudron. Nous les « déchevelions » pour qu’elles brûlent mieux. La retraite était ponctuée de grands coups de fusils qui étaient tirés devant les croix et la statue de Saint Nicolas.
Le soir, nous faisions ensuite grande libation avec tous les compagnons de la confrérie. Mais personne ne manquait le lendemain à 10 heures pour la grand messe. L’église avait été somptueusement décorée par les mariniers et affichait complet. Pour l’occasion nous étions tous revêtus de la redingote et du haut de forme. Nous nous rendions à l’église en grande procession, rangés deux par deux derrière le drapeau de la confrérie. La musique nous précédait dans les rues de Sully : tambours, clairons, pistons et violons.
Nous faisions halte devant la statue du Saint patron. Là, nous formions une double couronne pour lui rendre hommage et reprenions la route jusqu’à l’église. Nous étions rangés par âge, les plus anciens devant. Les femmes et les enfants fermaient la marche. À l’église il y avait du pain béni, des sermons et de beaux discours.
Ne pensez pas que la journée se terminait par un banquet à tout péter. Bien au contraire, chaque marinier se faisait un point d’honneur à recevoir chez lui, parentèle et voisins pour leur offrir un repas abondamment garni. Puis tout ce beau monde se retrouvait pour digérer autour d’un parquet lors d’un bal à vous faire tourner les têtes et marier ceux qui ne l’étaient pas encore.
Le lendemain matin, nous nous retrouvions tous à l’office pour une messe à mémoire des membres défunts de la confrérie. La dignité était alors de mise. Dans la commune où je suis né, à Neuvy, après la messe funèbre, les mariniers se retrouvaient pour élire, en plein air, le nouveau syndic de l’année. Curieusement, en fait, nous élisions le second du syndic, celui qui l’accompagnerait toute l’année. Le second de l’année précédente devenant cette fois, le syndic.
Le syndic de l’année passée remettait alors le drapeau de la confrérie à son successeur et celui-ci le gardait toute l’année chez lui. Le culte de Saint Nicolas était si ancré dans la tradition marinière que si par étonnant que ça puisse être, des gars étaient sur l’eau, un jour de célébration dans une commune, ils amarraient leur bateau et participaient à toute la fête. Il n’y avait pas d’exception.
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Ce que je vous raconte là s’éteignit progressivement avec la disparition de la marine de Loire. Les dernières célébrations eurent lieu à la fin du dix-neuvième siècle, dans les années 1890. » C'est au début du vingtième siècle que fut remise à l'ordre du jour cette fête quand le renouveau de marine de Loire s'accompagna des traditions qui lui étaient liées.
Les associations marinières eurent à cœur de commémorer à leur manière cette fête qui avait laissé des fanions, des statues, des oriflammes et des dates de fêtes locales qui avaient perdu leur signification première. C'est ainsi qu'à Châteauneuf-sur-Loire, à l'initiative du Musée de la Marine et des associations locales, la célébration retrouva son lustre d'antan tout en lui donnant un caractère plus festif que cultuel. Bien sûr, le baptême des bateaux demeure ainsi que l’homélie du curé.
C'est précisément à Châteauneuf que je fus sollicité lors du renouveau de cette manifestation. On me demanda comment je pouvais participer et j'avais répondu alors, bien imprudemment : « En écrivant un conte ! ». Ce fut le premier qui par la même occasion créa le personnage du marinier à pied. Depuis, je ne les compte plus et je reste toujours fidèle à cette animation fort sympathique.
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