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Billet de blog 2 janvier 2025

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Mali : arrestation de dirigeants d’entreprises minières pour impôts impayés

Une bonne nouvelle pour commencer l’année : les autorités maliennes n’ont pas hésité à emprisonner des dirigeants d’entreprises minières pour récupérer des impôts impayés. Mais le CADTM Afrique affirme que cet argent ne doit pas aller au remboursement de la dette et appelle à rompre les accords avec le FMI et la Banque mondiale afin de mener une politique en faveur du peuple.

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Illustration 1
© Photo : Romski, CC, Wikimedia Commons, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Mine_Mali_MORILA_PerspectieTombereau.jpg

De même le CADTM critique le manque de prise en compte des intérêts des populations affectées par les activités d'extraction minière. Une histoire racontée par le CADTM Afrique.

Le prix de l’or sur le marché mondial est en hausse depuis plusieurs années. Les entreprises de ce secteur font d’importants profits tout en exploitant dans des conditions exécrables une main d’œuvre sous payée, en polluant massivement l’environnement des zones d’extraction, en payant le moins d’impôts possibles et en versant de plantureux dividendes à leurs actionnaires.
Plusieurs pays d’Afrique se distinguent dans la production de l’or ces dernières années. Le Mali, par exemple, a été le deuxième producteur d’or d’Afrique en 2023 [1]. Les autorités de la transition malienne au pouvoir veulent voir augmenter les impôts et redevances payés par les entreprises étrangères qui extraient l’or.

Depuis septembre 2024, les autorités du Mali ont décidé de passer à l’action afin d’exercer une forte pression sur les directions des entreprises étrangères qui opèrent dans le secteur minier. L’objectif est d’obtenir des entreprises qu’elles versent au trésor public les arriérés impôts qu’elles doivent. Cela concerne surtout des entreprises qui ont leur siège au Canada et en Australie. Il s’agit principalement de Barrick Gold (Canada), Resolute Mining (Australie), Robex (Canada), Allied Gold (Canada), B2 Gold (Canada).

Les autorités de la transition au pouvoir au Mali ont fait modifier le code minier en 2023 afin de permettre à l’État de jouer un rôle plus actif dans l’exploitation des ressources minières du pays et afin d’augmenter les revenus que les pouvoirs publics retirent de l’exploitation des ressources minières.

Le nouveau code minier prévoit notamment que l’État puisse augmenter sa part dans l’actionnariat des entreprises minières étrangères en passant de 10% à 20%.

Les autorités de Bamako ont ensuite réclamé des arriérés d’impôt aux sociétés minières opérant dans le pays. Trois d’entre elles, Robex (Canada), Allied Gold (Canada), B2Gold (Canada), ont accepté en septembre 2024 de payer. Voir par exemple le communiqué de la canadienne Robex datant du 18 septembre 2024 dont nous publions un large extrait car il contient des informations utiles :

« Robex Resources Inc. (ci-après « Robex » ou la « Société ») (TSXV : RBX) se réjouit d’annoncer la signature d’un accord avec le gouvernement du Mali (ci-après, le « Gouvernement » ou l’« État ») permettant la résolution de toutes les réclamations fiscales et douanières antérieures au 31 décembre 2023. Les parties prendront toutes les mesures nécessaires pour l’exécution de l’accord dans un délai de 90 jours. Sauf mention contraire, tous les montants en dollars exprimés dans ce communiqué de presse sont libellés en dollars canadiens.

Robex exploite la mine d’or de Nampala, située au sud du Mali, qui a produit 230 000 onces d’or, soit environ 6 520 kilos depuis sa première coulée en janvier 2017. ».

Robex dans son communiqué poursuit en donnant les points clés de l’accord :

  • Le gouvernement du Mali s’est engagé dans une réforme majeure de son secteur minier, ce qui a conduit à une révision de toutes les conventions minières. L’initiative a abouti à l’approbation du « Code minier 2023 » par le décret n° 0399/PT-RM du 9 juillet 2024, établissant de nouvelles normes pour les permis d’exploitation minière.
  • Nampala SA signera une nouvelle convention minière soumise à ses termes. Les parties prendront toutes les mesures nécessaires pour l’exécution de l’accord dans un délai maximum de 90 jours.
  • Selon les termes de l’accord, les parties réviseront les statuts de Nampala SA pour permettre au gouvernement d’augmenter sa participation dans la Société de 10 % à 20 % sous forme d’actions privilégiées, à l’instar des autres sociétés minières du pays. Robex travaillera à l’élaboration d’une convention d’actionnaires afin de garantir la nomination d’au moins deux administrateurs représentant le Gouvernement au Conseil d’administration de Nampala SA.
  • L’accord prévoit une augmentation des taxes et des redevances basées sur les revenus, avec cependant des exemptions spécifiques.
  • (…)
  • L’accord règlera toutes les cotisations d’impôt sur le revenu ainsi que tous les litiges et cotisations douanières actuellement en suspens pour toute période antérieure au 31 décembre 2023.
  • Dans le cadre de cet accord, Nampala SA paiera 10 milliards de francs CFA, soit environ 22,3 millions de dollars, à partir des liquidités générées par ses activités, et renoncera au remboursement des crédits de TVA pour 5 milliards de francs CFA, soit environ 11,2 millions de dollars. Il convient de noter que le 10 mai 2024, la Société a reçu de l’administration fiscale malienne une notification définitive de redressements pour les années 2019 à 2021 avec une exposition maximale de 39,7 milliards de francs CFA (intérêts et pénalités inclus), soit environ 88,8 millions de dollars. Le redressement porte principalement sur l’impôt sur les sociétés. Au 30 juin 2024, une provision de 19,3 milliards de francs CFA, soit environ 43,1 millions de dollars, a été comptabilisée, représentant la sortie de trésorerie la plus probable à cette date. »
    Source : https://robexgold.com/conclusion-dun-accord-avec-le-gouvernement-malien-visant-la-mine-dor-de-nampala/

Robex a également annoncé qu’elle cherchait à revendre la mine de Nampala. On verra s’il s’agit seulement d’un effet d’annonce ou d’une véritable volonté de quitter le Mali.

Selon le média https://yop.l-frii.com/, B2Gold, Allied Gold et Resolute Mining auraient déjà accepté de verser en tout plus de 200 millions de dollars à l’État malien, tout en se conformant au nouveau code minier. C’est grosso modo ce que disait également le Financial Times dans son édition du 12 novembre 2024 (« Resolute slides after Mali detentions »). Ces informations sont aussi confirmées par l’agence Ecofin, voir concernant B2Gold :

« B2Gold a payé 30 millions $ au gouvernement malien, au titre de « régularisations fiscales ponctuelles ». C’est ce qu’a indiqué la compagnie canadienne dans ses résultats du troisième trimestre 2024, indiquant que ce paiement s’inscrit dans le cadre d’un accord conclu en septembre [2] afin de poursuivre l’exploitation de la deuxième plus grande mine d’or du pays. »

Source : Ecofin, 8 novembre 2024, https://www.agenceecofin.com/actualites-industries/0811-123255-le-canadien-b2gold-verse-30-millions-au-mali-pour-clore-un-differend-sur-l-or

Arrestation de hauts cadres de deux entreprises étrangères : la canadienne Barrick Gold et l’australienne Resolute Mining

Ajoutons qu’en septembre 2024, 4 cadres importants de l’entreprise canadienne Barrick Gold ont été arrêtés au Mali afin de mettre la pression sur la direction de l’entreprise pour qu’elle verse les arriérés d’impôts. En novembre 2024, il en a été de même avec le président directeur général (CEO) et 2 cadres de l’entreprise australienne Resolute Mining. Une semaine plus tard à la fin novembre, comme le Mali n’avait pas obtenu satisfaction dans le cadre des âpres négociations menées avec la direction de Barrick Gold, les 4 cadres ont de nouveau été arrêtés [3]. De plus un mandat d’arrêt international a été émis par les autorités contre le PDG de Barrick Gold, Mark Bristow. Barrick Gold, qui est une des principales entreprises mondiales d’extraction d’or, possède la mine d’or de Loulo-Gounkoto dans le sud-ouest du Mali, près de la frontière avec le Sénégal, où travaillent 8000 salarié·es. Pour une description par Barrick Gold de son activité au Mali voir la brochure en français : https://s25.q4cdn.com/322814910/files/doc_presentations/2021/11/Mali_deux_d%C3%A9cennies_de_cr%C3%A9ation_de_valeur.pdf

L’arrestation des 2 cadres et du PDG de Resolute Mining a été suivie d’effet. L’entreprise a annoncé qu’elle acceptait de verser 160 millions de dollars d’arriérés d’impôts et elle a versé un premier montant de 80 millions. C’est ce que le Financial Times annonçait dans son édition du 21-22 novembre 2024 sous le titre « Australian miner to pay Mali $160mn over taxspat ». Dans un communiqué du 12 décembre 2024, [4] Resolute Mining a confirmé qu’elle est arrivée à un accord avec le gouvernement du Mali et son PDG a été mis en congé.

De son côté Barrick Gold fait de la résistance alors que les autorités de la transition malienne lui réclament 500 millions de dollars et continuent à mettre la pression. Barrick Gold a annoncé le 18 décembre 2024 qu’elle portait plainte contre le Mali auprès du tribunal de la Banque mondiale [5] et elle menace de quitter le pays. La procédure devant la Banque mondiale risque de durer des années. En attendant, le Mali bloque, jusqu’ici, sur le site de la mine de Loulo-Goukoto l’exportation de l’or qui est prêt à la commercialisation et maintient son mandat d’arrêt contre le PDG canadien de l’entreprise.

A noter que depuis des mois la tension ne cesse de monter entre les entreprises privées minières et les autorités du Mali, du Niger et du Burkina Faso. Voir notamment : Qiraatafrica, « Les arrestations au Mali et la saisie d’un site au Niger perturbent les mineurs occidentaux » Par David Lewis, Melanie Burton et Portia Crowe | Reuters, publié le 12 décembre 2024,
https://qiraatafrican.com/fr/13792/les-arrestations-au-mali-et-la-saisie-dun-site-au-niger-perturbent-les-mineurs-occidentaux/

Rappelons que le CADTM ainsi que de nombreux mouvements sociaux luttent depuis des années contre l’action des grandes entreprises minières. Voir pour en savoir plus sur l’action menée par le CADTM autour des effets néfastes de l’extraction de l’or à Morila au sud Est de Bamako : Broulaye Bagayoko, Dramane Nikiema et Anne Theisen, « Le droit de dire non à l’exploitation destructrice des ressources de la mine d’or de Morila », CADTM, publié le 16 novembre 2023.

Il y a lieu de mentionner que les communautés locales sont les oubliées de la législation minière malienne. Si l’exploitation des gisements aurifères rapporte des dividendes à l’Etat, elle a des impacts négatifs sur les ressources naturelles et les terres agricoles des localités, en termes de dégradation du sol et d’éviction des exploitant·es agricoles. Concernant les communautés locales, les personnes concernées dénoncent le plus souvent les retombées insignifiantes qu’elles obtiennent en comparaison des énormes profits réalisés par les sociétés minières et des problèmes découlant de l’exploitation minière.

La question des externalités se trouve ainsi aujourd’hui au cœur des dénonciations de la plupart des organisations non gouvernementales (ONG) s’intéressant au secteur minier. Par externalités, il faut entendre « les effets secondaires nuisibles qu’une activité économique cause à des tiers ou à la collectivité dans son ensemble, mais sans grever directement les profits de l’entreprise elle-même ». L’installation de la mine nécessitant le plus souvent le retrait des terres de certaines personnes de la zone concernée, le Code minier a prévu des dispositions régissant ce retrait. « Nul droit de recherche ou d’exploitation découlant des titres miniers ne vaut sans le consentement des propriétaires fonciers ».

Malgré cela, les communautés locales des zones aurifères perçoivent des indemnisations dérisoires à travers des prix de cession d’un hectare qui peuvent varier entre 50 000 FCFA (76 euros) et 500 000 FCFA (765 euros). Les populations locales ont d’énormes difficultés à utiliser les possibilités offertes par la loi malienne au maximum de leur potentiel, par exemple pour ce qui est de l’obligation légale de verser des indemnisations en compensation de la perte de terres ou de moyens d’existence. Selon le CADTM Afrique, l’État malien doit en plus des retombées de l’exploitation aurifère dans ses caisses, défendre le droit des communautés locales victimes des expropriations de terres agricoles, de délocalisations de leurs maisons et de dégâts environnementaux.

La modification du code minier et l’arrestation des cadres des sociétés minières ont été salutaire et constituent une première étape importante. A titre d’illustration, la réforme du Code minier intervenue au Mali en 1999 avait limité la participation de l’État malien dans les sociétés minières à hauteur de 20%. Or, on sait par ailleurs que la Société Financière Internationale (SFI) du groupe de la Banque Mondiale finance plusieurs sociétés minières. Elle détient, par exemple, 6% des actions de la SEMOS-SA qui exploite la mine d’or de Sadiola. L’intervention de la Banque Mondiale dans la réforme de la législation minière et la participation de la SFI dans les actions des sociétés minières peuvent susciter des interrogations quant à de possibles conflits d’intérêts.

Selon un rapport de la FIDH publié en septembre 2007, plusieurs sociétés minières ont un siège dans un paradis juridique : le Canada. Or, le contrat minier qui était imposé au Mali était calqué sur le code minier canadien. Pour la circulation des flux financiers, ces compagnies ont des sièges dans les paradis fiscaux. En outre, le système plonge ses racines dans les méandres de la corruption.

Selon un audit publié en décembre 2003, les mines de Sadiola et de Yatela devaient, à l’Etat malien, environ 15,6 millions de dollars, environ 7,8 milliards de FCFA au titre des taxes sur les bénéfices impayés et les pénalités afférentes entre 2000 et 2002. Mais, les directions de ces mines ont discuté avec des conseillers fiscaux et ont conclu que toutes les taxes avaient été payées. Et, pire, que le rapport d’audit était sans fondement. En fin de compte, l’État malien n’avait obtenu qu’un tiers des sommes dues par ces compagnies minières : 5,2 millions de dollars, alors qu’elles devaient au trésor public la bagatelle de 15,6 millions de dollars. Ce conflit qui opposa donc l’administration fiscale aux compagnies minières, témoignait des difficultés du gouvernement à défendre ses intérêts, face à la machine corruptrice des multinationales.

Le CADTM est en faveur des actions contraignantes sur les multinationales qui pillent les richesses et détruisent l’environnement en toute impunité. Les gouvernements du Sud doivent utiliser des moyens de pression afin de récupérer les impôts impayés et d’obtenir une augmentation des montants payés par celles-ci.

Selon le CADTM Afrique, il faut que ces ressources supplémentaires soient utilisées sous contrôle citoyen pour améliorer les conditions de vie et de sécurité de la population malienne. Si, au contraire, ces ressources servent à rembourser la dette que réclame la Banque mondiale, le FMI et les autres créanciers au Mali, ce serait contraire à l’esprit de souveraineté revendiqué par les autorités du pays. D’autant plus que reconquérir pleinement la souveraineté du pays implique de rompre les accords avec la Banque mondiale et le FMI afin d’abandonner les politiques néolibérales, abandonner les privatisations, mettre fin aux taxes trop lourdes sur les produits et services essentiels et permettre l’augmentation des salaires dans la fonction publique. A cet effet, il faut que les autorités maliennes procèdent avec l’aide des citoyen·nes à un audit de la dette réclamée au pays et suspendent le paiement de celle-ci pendant la période de l’audit. Le Mali pourrait, sur la base des résultats de l’audit, répudier les dettes identifiées comme illégitimes ou odieuses. Il est nécessaire de mettre en œuvre une série de réformes structurelles visant la justice sociale et climatique, la promotion des droits humains, la garantie de la sécurité des populations, la conquête de la vraie souveraineté nationale, l’unité des peuples d’Afrique à commencer par ceux de la région.

Par le CADTM Afrique


Notes

[1] GoldMarket, « Qui sont les plus grands producteurs d’or en Afrique », publié le 31/08/2024, https://www.goldmarket.fr/qui-sont-les-plus-grands-producteurs-dor-en-afrique/

[2https://www.b2gold.com/news/2024/b2gold-reaches-agreement-on-terms-with-mali-government-relating-to-the-framework-for-the-fekola-complex-approvals-for-fekola-regional-and-fekola-underground-to-be-expedited

[3] Radio France Internationale, « Mali : inculpation de quatre responsables de la compagnie minière canadienne Barrick Gold », publié le 27/11/2024, https://www.rfi.fr/fr/afrique/20241127-mali-inculpation-de-quatre-responsables-de-la-compagnie-mini%C3%A8re-canadienne-barrick-gold Voir aussi sur le site de Barrick Gold : https://www.barrick.com/English/news/news-details/2024/barrick-confirms-arrest-of-four-malian-employees-reaffirms-commitment-to-resolution-of-disputes/default.aspx Voir aussi https://www.jeuneafrique.com/1637956/economie-entreprises/tension-maximale-entre-le-minier-barrick-gold-et-la-junte-malienne/

[4] Resolute Mining Ltd Senior Management Change and Mali Update, publié le 13/12/2024, https://markets.ft.com/data/announce/full?dockey=1323-16809859-6BLM4V5N7M3RO0HB7PNPGDG33S

[5] En français : RFI, La compagnie minière canadienne Barrick Gold lance une procédure d’arbitrage contre le Mali, publié le 19/12/2024, https://www.rfi.fr/fr/afrique/20241219-mali-compagnie-mini%C3%A8re-barrick-gold-canada-lance-une-proc%C3%A9dure-d-arbitrage En anglais, le communiqué officiel de Barrick Gold sur son site : https://www.barrick.com/English/news/news-details/2024/barrick-seeks-fair-resolution-in-mali-through-arbitration/default.aspx La version en français publiée le 18/12/2024 : https://s25.q4cdn.com/322814910/files/doc_news/2024/12/Barrick-recherche-une-solution-%C3%A9quitable-au-Mali-par-le-biais-d-un-arbitrage.pdf

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