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Billet de blog 7 juin 2023

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L’arnaque de l’échange « dette contre nature » de l’Équateur surendetté

« Annuler la dette avec en compensation un ensemble de mesures pour sauvegarder la biodiversité de l’archipel des Galapagos, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO » est un « green deal hors norme », « une solution pour les pays à bas et moyens revenus surendettés comme l’Équateur », selon l’article de Julien Bouissou publié dans le Monde du 18 mai 2023.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Illustration réalisée par Anne Theisen

De son côté, le Courrier International du 12 mai 2023 considère cette « annulation » de dettes en vue de protéger les Galapagos comme « un grand succès ». Sur le site internet du Groupe SIPA, de Ouest France, Fabrice Groffini applaudit « le plus grand échange de dettes au monde en faveur de la nature ». Si la plupart des médias semblent encenser cette mesure présentée par le gouvernement équatorien lors d’une conférence de presse ce 9 mai 2023, pour « réduire sa dette tout en protégeant mieux l’environnement », cette vision optimiste est contredite par un article intitulé « Un leg ignoble, l’échange dette-nature des Galapagos » publié en espagnol sur le site de LATINDADD, le réseau sud-américain pour la Justice économique et sociale, le 23 mai 2023. Dans cette analyse détaillée, les experts financiers Daniel Ortega, ancien ministre équatorien et directeur du centre de la politique du développement public ESPOL, Iolanda Fresnillo d’EURODAD, Patricia Miranda et Rodolfo Bejarno de LATINDADD montrent que derrière l’apparente réussite de cet arrangement économique et écologique se cachent des réalités obscures et inquiétantes.

N’y a-t-il pas anguille sous roche ?

Éric Toussaint et Pablo Laixhay du CADTM, qui ont mis en évidence l’hypocrisie des échanges dettes-nature dans des articles précédents rappellent que ces dispositifs opaques ne constituent pas « les annulations de dettes » que le CADTM préconise. Ils contribuent au contraire à exacerber les dépendances et les déséquilibres économiques, politiques, écologiques et sociaux qui menacent les États surendettés comme l’Équateur. À la suite d’un argumentaire critique, nous proposerons des alternatives plus éthiques et avantageuses pour les populations endettées ainsi que pour la sauvegarde de l’environnement. Enfin, nous terminerons par une mise en garde plus générale du CADTM contre le « Capitalisme vert » ainsi qu’un rappel de sa ligne d’action internationale.

Quelle est donc cette solution-miracle présentée par le gouvernement équatorien lors de sa conférence de presse du 9 mai 2023 à Quito, en présence du ministre de l’économie équatorien Pablo Oresema et du ministre de l’environnement Jose Antonios Davalos ?

Un montage financier international très complexe

Caricature murale du Capitalisme, Cuenca, Equateur, été 2022 (A.T)

C’est un SPV (un opérateur à but lucratif, un Service Purpose Vehicle) établi en Irlande, le GPS Blue Financing Designated Activity Company, soutenu par le Crédit Suisse (une banque privée qui a fait faillite en mars 2023 suite à de nombreux scandales financiers et à une mauvaise gestion), qui a organisé cette opération risquée. Elle consiste à convertir 1,628 milliards de dollars US de dettes commerciales, émises sous formes d’obligations internationales par l’Etat équatorien, en un « Bon marin Galapagos », c’est-à-dire en une facilité de crédit de 656 millions de dollars (avec une échéance en 2041). Il réaliserait ainsi une réduction de dettes de 1 milliard de dollars.

Attention, il faut remarquer ici qu’il ne s’agit pas à proprement parler « d’une annulation de dette » comme annoncé dans de nombreux articles mais d’une conversion de dettes, d’un changement de créancier et de destination. La dette existe toujours, avec ses intérêts. C’est donc le Crédit Suisse (racheté le 19 mars 2023 par une autre banque suisse UBS ayant elle-même fait faillite en 2008 et ayant été finalement sauvée avec l’argent public à un coût très élevé) qui devient le principal créancier du pays pour ce passif représentant 3% des 48,129 milliards de dollars de dette globale extérieure de l’Equateur, en février 2023.

En compensation, un montant de 450 millions de dollars remboursable sur 18 ans sera confié au Galàpagos Life Fund ( GLF) qui gèrera ce montant au bénéfice de la réserve marine des Galapagos ( comprenant 13 îles, 35000 espèces dont 25´% d’espèces marines endémiques) mais aussi de la réserve de la Marina Hermandad ( 60 000 km2 entre la réserve des Galapagos et la frontière des eaux territoriales avec le Costa Rica). Ce fonds a son siège dans un paradis fiscal bien connu, l’État du Delaware aux Etats-Unis. Le ministre de l’environnement équatorien Jose Antonio Davalos parle de l’importance de cette « dotation » qui servira à « la sauvegarde de la biodiversité exceptionnelle de la faune et de la flore de ces deux réserves marines et du parc national. Elle financera la surveillance, le contrôle et les patrouilles, afin de mieux protéger les espèces rares en voie d’extinction comme les requins -baleines, les requins-marteaux et les tortues de mer ».

Rappelons que cette transaction a lieu dans un contexte de crise économique exacerbée après l’épidémie de la COVID et les conséquences des fluctuations du prix du pétrole. Sans ce contexte tendu, il est peu probable que cette réduction de valeur des dettes ait été acceptée. « En période de crise, il vaut mieux diminuer la valeur et toucher un gain même limité que de garder une valeur élevée mais de risquer de tout perdre ». L’accent mis actuellement sur la problématique du réchauffement climatique et les impératifs de durabilité a probablement rendu ce genre de concession plus acceptable.

« Dehors La$$o », Syndicat de l’Université de Cuenca en grève général, été 2022

Le conseil directeur du GLF sera composé de 11 membres dont 6 sont des acteurs privés étrangers, des représentants de l’industrie locale du tourisme et de la pêche ainsi que de la recherche. Les 5 autres émanent du gouvernement équatorien. Donc le secteur privé est majoritaire et pourra imposer ses intérêts. On ne connait pas la structure des coûts administratifs du fond de dotation. Il est probable que ces coûts soient exagérément élevés afin de permettre au fonds GLS de faire un maximum de profits. La surfacturation des coûts administratifs est une des technique employées pour générer des gains abusifs.

Afin de tranquilliser les investisseurs face à ces placements risqués, des garanties sont assurées notamment par la Banque Interaméricaine de Développement ( BID) à hauteur de 85 millions, par la Développement Finance Corporation « contre l’instabilité politique » pour 656 millions de dollars et par 11 assureurs privés ajoutant encore 50% de garantie en soutien au projet.

Ce type d’échanges dettes-nature est déjà en cours dans 16 autres pays mais jamais avec une telle ampleur

Le même genre de mécanisme a été expérimenté, en 2018, à Belize et en 2022 dans les Barbades. Le schéma est similaire. On assiste au rachat, par un opérateur privé structuré par un SPV (société privée à but lucratif, à objectif spécifiques), de titres souverains qui se négocient avec une réduction significative, au moyen de l’émission d’un nouveau titre appelé « bleu », garanti par une institution (L’IADB et l’ US - DFC) et dans ce cas un pool d’assurances privées, la création d’un SPV et l’intermédiation d’une série de multinationales financières et d’investissements privées qui structurent et guident les transactions. Notons qu’en payant les intérêts en monnaie locale, et non plus en devises dites fortes (euro, dollar, yens, …), comme c’est normalement le cas, les remboursements sont en principe fort facilité. Mais, dans le cas de l’Équateur étant donné que la monnaie du pays est le dollar des Etats-Unis, cela ne présentera pas cet avantage car pour se procurer les dollars l’Équateur doit exporter des marchandises sur le marché mondial (essentiellement des matières premières et des produits agricoles – pétrole, banane, brocolis, fleurs,…), ce qui renforce sa propension à dégrader la nature via l’extractivisme.

Des échanges dettes-nature sont conclus ou projetés par The Nature Conservancy (TNC), la plus grande organisation de conservation au monde, avec les Seychelles, le Belize et la Barbade, Sainte-Lucie, la Namibie, la Gambie, le Kenya et… l’Équateur.

La critique de cet échange dettes-nature

Mais alors que les prêts accordés aux « bons bleus » des Barbades avaient un taux d’intérêt de 5,4%, les « bons marins Galapagos » ont un intérêt qui s’élève à 11,04 % ce qui représente 450 millions de dollars en 18 ans, répartis en coûts de transaction et d’administration pour le SPV et en ressources pour la conservation naturelle. Ce taux d’intérêt est remarquablement élevé et portera préjudice insidieusement à l’économie équatorienne.

Une fausse aide économique sous un prétexte écologique

« Le néolibéralisme tue ! Chaque jour ! » cri des étudiants de l’Université de Cuenca, grève générale, Equateur, été 2022 (A.T)

Selon Éric Toussaint, du CADTM « dans ce cas de figure, on a un fonds d’investissement qui propose à l’Equateur de racheter une partie de ses titres au prix du marché et d’émettre de nouveaux titres à un taux d’intérêt très élevé, de plus de 10%, que l’Équateur aura du mal à rembourser. Ce n’est donc pas une annulation de dette, mais une conversion, un échange vers de nouvelles dettes. La protection de l’environnement n’est qu’un prétexte, une couverture. Les nouveaux créanciers cherchent de manière détournée à faire du profit. C’est une manière de redorer le blason du président équatorien Guillermo Lasso sur les marchés financiers et par rapport à la communauté internationale »

Il est vrai que l’image du président équatorien est ternie par l’impopularité de ses réformes anti- sociales, l’effondrement économique du pays et sa politique environnementale contestable depuis qu’il a déclaré vouloir doubler la production de pétrole de 2022 de manière à atteindre le 1 million de barils de pétrole par an en 2023. Le pétrole est le premier produit d’exportation de l’Équateur et permet donc des rentrées de devises fortes (dollars, yen, euros) nécessaires notamment au remboursement de la dette publique. Mais cette politique ne fait que renforcer la dépendance extérieure, la spirale de l’endettement, et rentre en contradiction avec les priorités climatiques recommandées par les scientifiques du GIEC. Dans leur dernier rapport, la diminution de la production des énergies fossiles combustibles, responsables de 87% des gaz à effet de serre, est la mesure urgente qui s’impose pour ne pas dépasser la limite des 1,5 degrés de réchauffement climatique d’ici 2030.

Remarquons aussi que cet échange de dette contre nature est largement insuffisant pour couvrir les nécessités financières des Galápagos, sous financées fiscalement depuis 2020, avec un déficit annuel de 20 millions /an. En effet, l’opération prévue n’assurera que 18 millions par an. De plus, le budget tel qui est estimé actuellement ne pourra pas financer le plan de gestion de la nouvelle réserve marine de La Hermandad.

Dans le cadre des échanges dettes-nature, pour le FMI non plus, la dette des pays qui y ont recours n’est pas supprimée. Or une des principales conséquence négatives du surendettement d’un pays, c’est que le FMI exige pour leur remboursement la réduction drastique des dépenses dans des secteurs primordiaux tels que l’éducation, la santé, le transport, la recherche. Par conséquent, même si ces échanges libèrent un infime pourcentage des dettes publiques, ces fonds doivent obligatoirement être alloués aux organisations de conservation de la nature et ne pourront pas être investis librement par les États selon leurs besoins dans d’autres secteurs publics importants. C’est encore une manière détournée d’influencer les choix politiques nationaux.

Manque d’intégrité, de transparence, de souveraineté, de sécurité

Les analystes financiers de LATINDADD montrent que cet échange dette-nature aux Galapagos est loin d’être un système intègre « opérant de manière propre, transparente et responsable ». Des hauts fonctionnaires ont engagé des biens publics, des ressources stratégiques, dans une spéculation d’intermédiaires privés risquée et érodent ainsi la confiance publique, restreignant les générations futures d’opportunités économiques. Les institutions démocratiques s’affaiblissent, les agendas pour assurer le développement durable et la justice climatique ne pourront être respectés.
Ils constatent en effet une absence de transparence quant à la conversion des dettes opérées, la fiscalité des entreprises impliquées, les acquisitions, les contrats ou les bénéfices réels. Certaines firmes privées ou leurs sous-filiales sont régulièrement accusées d’évasion fiscale, de blanchiment d’argent – on pourra maintenant parler de verdissement d’argent (green washing) - et recourent à des paradis fiscaux. Dans son article intitulé « « La dette se paie, les escroqueries non » : Échanges dette contre nature et Debt for Climate, deux initiatives antinomiques  » publié le 27 février 2023, Pablo Laixhay explique comment les négociations tenues secrètes, empêchent « la population de savoir exactement à quoi s’engage leur gouvernement dans le cadre de ses accords, ou d’effectuer des évaluations des impacts environnementaux et sociaux. Cette discrétion est difficilement compatible avec les processus d’élaboration de plans nationaux visant la protection de la nature qui demandent de longues phases de délibération et de négociations…Quand les contrats d’investissements ne sont pas publics et il n’y a aucun consentement libre, préalable et éclairé des personnes qui dépendent des ressources marines pour leur subsistance ».

Tout semble avoir été orchestré à partir de l’Irlande et déjà annoncé lors de la conférence climatique de janvier 2021 par Climate Fund Manager, une firme d’investissement qui, à travers ses nombreuses filiales et ses partenaires dans le monde, a fourni le capital de départ et a fondé le Galapagos Life Fond, en facilitant des investissements à haut risques, pour organiser l’échange, avec la participation d’ailleurs de fonds hollandais et européens complémentaires. Le VSP ( Vehicle Service Purpose) s’est enregistré en Irlande. Or, ce holding international prend la forme d’une pyramide dont on ignore qui est l’organe responsable et de contrôle au sommet. Le pays, ici l’Équateur, perd une partie de sa souveraineté. Il ne joue plus qu’un rôle d’observateur très limité, soumis à des prêts conditionnés, couvrant la garantie de la BID, des assesseurs financiers et des acteurs privés étrangers. Il ne contrôle plus vraiment les flux financiers, ni les acteurs ni leurs agissements pourtant déterminants. Certaines des firmes internationales mêlées à ces affaires sont bien plus puissantes et influentes que les États. Elles peuvent d’ailleurs en influencer les élections et les orientations politiques. Dans tout ce montage financier international, il n’y a pas de plan précis concernant la conservation de la nature ou la décarbonisation urgente du pays.

Les occasions d’investissement risqués se multiplient mais leur traçabilité, et donc leur crédibilité, ne sont plus toujours attestées. Il n’y a pas de preuves de conformité des titres émis avec la Taxonomie Verte Européenne ou les exigences des procédures d’appels d’offres publiques imposées par la Commission Européenne. Il est possible que des sous-produits toxiques ou de catégories inférieures postérieures à la dotation soient mêlés aux titres or le plan de sécurité ne couvre pas le risque de ces produits dérivés.

Propositions alternatives

Selon les auteurs de LATINDADD « on aurait pu parvenir à un même niveau de réduction de dettes externes tout en préservant l’intégrité, la transparence, la souveraineté du système de gouvernance grâce à un échange hypothétique chapeauté par l’ONU ou par le recours à des réserves internationales pour racheter des dettes publiques. Il n’était pas du tout nécessaire de passer par un SPV privé dans un échange souverain. Il existe d’ailleurs un précédent en 2009 où l’État équatorien a racheté directement 289 millions. LATINDADD envisage aussi la possibilité de l’utilisation d’un Fonds Fiduciaire des Donateurs Multiples du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) ou du Fonds Investissement Environnemental Durable (FIAS) qui sont pour eux d’autres outils de gouvernance répondant mieux aux impératifs éthiques précités. Dans ces différents cas, les conseils directeurs peuvent être composés de représentants de la société civile et du gouvernement qui peut conserver un droit de veto quand les intérêts nationaux sont en péril. Ces acteurs sont soumis aux juridictions équatoriennes, au scrutin électoral, à la supervision de l’État et des fonds publics. Ils devront se conformer à la loi équatorienne qui est très protectrice et élaborée à ce sujet. D’ailleurs la constitution équatorienne affirme que la biodiversité ne doit pas être une monnaie d’échange, à juste titre. Des reformes du système financier sont dès lors nécessaires au niveau national et international afin de prioriser les intérêts publics, instaurer des mécanismes de contrôle et de régulation adaptés pour éviter les dérives et les abus, garantir la transparence, bien rendre des comptes, réduire les coûts des transactions, réguler pour limiter les investissements dans des projets non durables et non éthiques en s’inspirant par exemple de la Taxonomie Verte Européenne.

Quant au CADTM, il revendique une annulation pure et simple des dettes des pays du Sud afin de permettre une réelle transition durable dans un contexte de crise climatique. Plutôt que d’avoir recours à des montages compliqués avec des opérateurs privés peu fiables qui ne communiquent pas sur leur profit pourquoi ne pas laisser les États du Sud utiliser les 3.400 milliards de dollars par an de remboursement des dettes et intérêts pour financer les transformations indispensables à la survie des espèces et de la planète, à la paix et au développement des populations ? Selon le PNUD 25 pays les plus démunis sur les 52 considérés comme surendettés utilisent en 2022 un cinquième de leur budget pour payer les intérêts de leur dette. Ce montant devrait plutôt être directement investi dans l’éducation, la santé, les infrastructures, la recherche, la transition écologique, les énergies renouvelables, la prévention et la gestion des catastrophes naturelles… Au lieu de cela, la dette pousse à la marchandisation des ressources naturelles stratégiques, à l’extractivisme, l’exploitation des forêts, l’orientation vers une agriculture et une pêche toujours plus intensive, l’extraction des minerais et la production des énergies fossiles. L’intensification de ces activités détruisent l’environnement et s’accompagnent souvent de violations de droits humains inacceptables.

Certes, en dehors ou en complément des annulations de dettes, d’autres conditions peuvent alléger le poids de la dette et libérer des moyens telles que des taux d’intérêt bas, oscillant entre 0 et 5%, le remboursement en monnaie locale plutôt qu’en devise forte, le développement d’une l’économie qui diminue la dépendance extérieure en favorisant la production sur place des biens consommés, en diminuant les importations.

Néanmoins une annulation de la dette des pays du Sud n’est pas une mesure si irréaliste ou dangereuse au point de compromettre la finance mondiale. Sa valeur en soi représente moins de 5% de la dette mondiale mais cela correspond à plus d’un sixième de la population mondiale. Des dettes nationales ont déjà été effacées par le passé par exemple en faveur de l’Allemagne après la deuxième guerre mondiale, et plus récemment en faveur de certains pays « les moins avancés » (PMA). Pourquoi ne pas revoir structurellement ce système inefficace, immoral et injuste qui fait souffrir les populations. Les sociétés n’ont pas toujours fonctionné sur base de dettes comme le montre des études anthropologiques de David Graeber dans son ouvrage « Dette, 5000 ans d’histoire ». Ce ne sont pas des fatalités inévitables et irréversibles.

Annuler les dettes des pays du Sud surendettés ne serait d’ailleurs pas à proprement parler une faveur que les puissants pays du Nord accorderaient magnanimement aux pays pauvres du Sud pour leur permettre de participer à leur effort écologique pour la planète. Nous devons dépasser cette vision simpliste et paternaliste, ce déni révoltant.


Des arguments juridiques et politiques sérieux soutiennent que les Etats du Sud surendettés peuvent supprimer unilatéralement et souverainement les dettes lorsqu’elles sont illégitimes, illégales et odieuses (Le concept de la dette odieuse s’inspire de la doctrine de Alexander Sacks dans un ouvrage de 1927). Les dettes rejetables peuvent être identifiées grâce à des audits citoyens participatifs. Des d’arguments juridiques tels que l’état de nécessité, le changement fondamental, les circonstances et situations de force majeure peuvent également être invoqués.


En outre, les dettes historiques, morales, climatiques et écologiques du Nord envers le Sud sont bien plus considérables que celles imputées aux pays du Sud envers le Nord.
En effet, les pays du Nord ont des dettes historiques en réparation des pertes inestimables liées aux conquêtes impérialistes, à l’esclavage, à la colonisation et des dettes morales parce qu’ils poursuivent une domination-exploitation post colonialiste vis-à-vis du Sud sans le reconnaître publiquement. La destruction des cultures, le pillage des richesses, l’accaparement des terres et des ressources, l’ingérence politique, les déplacements forcés, les expropriations, les famines provoquées par l’invasion de produits agricoles européens subventionnés par la PAC (Politique Agricole Commune), les guerres fabriquées, ne sont que quelques exemples des désastres causés par l’impérialisme européen et américain dans le reste du monde.

L’annulation des dettes des pays du Sud pourrait être aussi une juste compensation par rapport à l’énorme contribution au dérèglement climatique des pays européens et d’Amérique du Nord- qui sont les pays les plus pollueurs- au détriment des pays du Sud qui en subissent les conséquences les plus immédiates et catastrophiques.

Enfin, l’annulation des dettes du Sud serait une concession dérisoire par rapport à la dette écologique des grandes puissances au regard des pollutions et destructions engendrées par la production et l’extraction de leurs matières premières, de l’épuisement des ressources, de l’exportation de déchets du Nord vers le Sud, de la délocalisation des industries ou du dumping écologique, de l’enfouissement des déchets toxiques et/ou radioactifs dans leurs terres et océans, des essais nucléaires, …
Par conséquent, le CADTM réclame une vraie annulation des dettes qui ne serait pas un cadeau mais un rééquilibrage plus juste, légitime et durable.

« Pour le Traité de non prolifération des énergies fossiles » avec Rise up 4 Climate, devant la Commission Européenne, mai 2023

Appel à la vigilance et ligne d’action du CADTM

Cet exemple inquiétant d’échange dettes-natures aux Galapagos est l’occasion pour le CADTM d’émettre une mise en garde face à la menace d’un nouveau CAPITALISME VERT, d’opérations de « greenwashing » à grande échelle.
Dans l’article « Pourquoi le CADTM n’est pas d’accord avec les échanges « dette contre action climatique » ? » paru sur son site le 8 décembre 2023, les auteur·ices montrent que, depuis les années 90, les membres du Club de Paris utilisent les échanges de dettes-nature pour promouvoir les intérêts de leurs entreprises privées soutenus en cela par des institutions financières internationales (FMI, BM, BID, etc.). 2,6 milliards de dollars entre 1985 et 2015 ont ainsi été renégociés dans le monde. Cependant, croire dans l’honnêteté et l’efficacité de ces différentes conversions et de ceux qui les exécutent lucrativement, c’est toujours ne pas vouloir reconnaître une cause structurelle de la crise climatique : le modèle de développement capitaliste, qui maintient des dettes et donne ainsi du pouvoir politique et économiques à des opérateurs privés peu fiables, contribue aux transferts de richesses et conduit inexorablement à la destruction de notre environnement. Des « prêteurs/spéculateurs/ pollueurs » sont en train de négocier de fausses solutions, avec des gouvernements en crise de légitimité : « c’est du marketing bon marché », menant à la marchandisation de la nature au détriment de sa conservation et du bien-être des populations. Le CADTM se réfère aux travaux de Silviera Ribiero qui souligne cette contradiction : 2 000 des plus grandes entreprises du monde qui ont annoncé des engagements de zéro émission nette font maintenant pression pendant les négociations sur l’article 6.4 de l’Accord de Paris pour qu’un mécanisme de compensation soit établi. Ce zéro net suppose que les émissions peuvent être poursuivies, voire augmentées, si elles sont équilibrées par l’élimination du carbone de l’atmosphère et/ou si elles peuvent être compensées par des crédits carbones. Or ce n’est rien d’autre qu’une astuce comptable qui justifie la poursuite de l’extraction des combustibles fossiles plutôt que la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le concept de zéro émission nette ou la revendication de la neutralité climatique doivent donc impérativement être rejetés tout comme cette motion déposée par les gouvernements colombien et de argentin lors de la COP27, soutenue par certaines organisations, des mouvements sociaux et par le FMI, qui impose par ce biais toujours plus de conditionnalités.

En conclusion, en réaction aux multiples offensives d’un nouveau capitalisme vert, face aux urgences climatiques et sociales, le CADTM défend une ligne d’action forte reprise dans l’encadré ci-dessous.

La ligne d’action du CADTM International
1. Éducation populaire, sensibilisation, auto-organisation des peuples endettés.
2. Audits de la dette participatifs des citoyen·nes pour répudier les dettes odieuses et illégitimes.
3. Arrêt unilatéral et souverain par les gouvernements du paiement de la dette, sa restructuration ou répudiation en faveur de la justice sociale.
4. Rupture des accords avec le FMI et la Banque mondiale.
5. Création d’un front uni des pays pour le non-paiement de la dette. Et non pas une façade pour faire avancer la proposition de « Debt Swap x Climate » (Conversion de dette en faveur du climat) telle que proposée lors de la dernière COP27 en Égypte.
6. Rejet de tout type de conditionnalités imposées par les créanciers.
7. Restitution aux citoyen·nes des pays du Sud des biens détournés par les dirigeant·es corrompus du Sud, avec la complicité des institutions bancaires et des gouvernements du Nord.
8. Paiement, sans conditions, par les puissances du Nord, de réparations économiques pour la dette historique, sociale et écologique accumulée à l’égard des peuples du Sud.
9. Action en justice contre les Institutions Financières Internationales (IFI).
10. En cas de nationalisation de banques privées en faillite, récupération du coût de l’opération sur les actifs des principaux actionnaires et administrateurs.
11. Remplacement de la Banque mondiale, du FMI et de l’OMC par des institutions démocratiques qui donnent la priorité au respect des droits humains fondamentaux dans le financement du développement, du crédit et du commerce international.
12. Abolition des traités de libre-échange, d’investissement ou d’association, politiques, militaires, etc. qui hypothèquent la souveraineté des peuples et perpétuent les mécanismes de dépendance.

Par Anne Theisen

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