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Billet de blog 9 janvier 2014

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Point de vue partisan sur le livre de Gabriel Zucman: "La richesse cachée des Nations, enquête sur les paradis fiscaux"

Ce livre1 court (115 pages) est particulièrement intéressant pour les informations qu’il contient et pour les débats qu’il ouvre avec ses propositions.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce livre1 court (115 pages) est particulièrement intéressant pour les informations qu’il contient et pour les débats qu’il ouvre avec ses propositions. Nous avons eu le même regard sur « Le capital au XXIème siècle » de Thomas Piketty (voir aussi le débat Piketty-Graeber sur Médiapart et le texte commun en réponse d’Eric Toussaint, Patrick Saurin et Thomas Coutrot sur le site du CADTM). Au travers de cette recension, je vous livre un résumé de ce que j’ai perçu comme important dans ce livre passionnant que je vous invite à découvrir par vous-même.

L’auteur  
Gabriel Zucman est un jeune économiste (27 ans) qui enseigne à la London School Economy et est chercheur à l’université de Berkeley. Il travaille en lien avec Thomas Piketty. Ils ont produit plusieurs articles et textes ensemble. Autre point commun avec Piketty, il met à disposition publique les données, tableaux et graphiques présents sur son site (vous les trouverez dans un document attaché à cet article, en bas de la page). Il reprend les mêmes réponses qui ont fait l’objet de la réponse à 3 citée plus haut.

Méthode et sources
L’auteur a réuni et agrégé pendant 4 ans une multitude de données issues de sites officiels : investissements internationaux des pays, balance des paiements, bilans des banques et de leurs positions hors bilan, la fortune et le revenu des nations, les comptes des sociétés multinationales et les archives des établissements suisses. Ces données, dont certaines n’ont jamais été rapprochées, sont réunies sur le site de l’auteur :
www.gabriel-zucman.eu/riches... (il est joint un fichier Excel à cet article)

Pour déterminer l’ampleur de la fraude, Gabriel Zucman s’est intéressé uniquement à la fortune financière (les titres financiers) excluant la propriété des biens (îlots, yachts, chalets en Suisse, œuvres d’art, etc.) ainsi que la valeur des billets de banque détenus dans les coffres en Suisse ou aux îles Caïmans.
Il précise que ses chiffres constituent une estimation basse crédible mais non définitive. Début 2013, l’encours mondial des billets de 100 dollars s’élevait à 863 milliards de $ et celui des billets de 500 euros à 290 milliards (ces grosses coupures comme les billets de 500 euros sont en général utilisé par des fraudeurs, des trafiquants de drogue, etc.). Il a comparé les titres enregistrés au passif et à l’actif des Etats au niveau mondial. La différence entre les 2 termes se trouve dans les paradis fiscaux.

Quelques chiffres :
Gabriel Zucman estime ainsi à 8% la part du patrimoine mondial des ménages caché dans les paradis fiscaux (12% pour l’UE). L’Europe est la plus touchée par l’évasion fiscale.
Le coût de la fraude permise par le secret bancaire s’élève par an à 50 milliards d’euros pour 2013 en Europe, dont 17 rien que pour la France (9 Mds pour l’impôt sur les revenus du capital, 4 Mds pour l’impôt sur les successions et 4 Mds pour l’Impôt de Solidarité sur la Fortune-ISF). Cela représente un montant de 360 Mds d’€ détenus offshore pour la France (dont la moitié en Suisse).

Si ces montants fraudés avaient été imposés en France depuis le début des années 1980, les déficits primaires auraient été moindres et le stock de la dette publique ne serait que de l’ordre de 70% du PIB, soit le niveau d’avant la crise de 2008, au lieu de 94% du PIB fin 2013 (surcoût total causé par l’évasion fiscale= environ 480 Mds d’€de stock de la dette) (graphique 2 du fichier joint)

La part des fortunes mondiales détenues dans les paradis fiscaux en 2013 (tableau 2)
Le patrimoine financier des ménages est estimé à 73 000 milliards d’euros dont 8% sont détenus « offshore », soit 5 800 Mds, dans les paradis fiscaux. 1/3, soit 1 800 Mds est en Suisse ; 2/3, soit 4 000 Mds se répartissent entre les autres paradis fiscaux.

Le coût mondial du secret bancaire en 2013
Aux Etats du monde entier, la fraude permise par le secret bancaire coute chaque année 130 Mds d’€ (tableau 3).

Quelques éléments d’Histoire
La Suisse est la plus ancienne place financière pour la gestion de la fortune- elle est encore aujourd’hui la plus importante. Son « statut » actuel débute dans les années 1920. Depuis le XIXème siècle jusqu’à la veille de la 1ère guerre mondiale, il y avait très peu pas, en France, d’impôt sur la richesse (4% sur les dividendes, 1% sur les successions). De très grosses fortunes se sont accumulées.
1920 marque un tournant, la dette publique française explose (125% du PIB), due essentiellement à l’indemnisation des victimes de guerre (traité de Versailles) et à la retraite des anciens combattants. Le taux marginal de l’impôt sur le revenu est de 50% (il sera de 72% en 1924).

2 éléments favorisent alors la fraude fiscale :

  • Une industrie financière structurée en Suisse qui bénéficie du prêteur en dernier ressort (la BNS) et d’une garantie de neutralité perpétuelle depuis la Congrès de Vienne en 1815.
  • La transformation des formes de la fortune : depuis le milieu du XIXème siècle, la propriété mobilière a pris le pas sur la terre. En 1920, le patrimoine des plus riches est surtout composé de titres (actions, obligations d’Etat ou d’entreprises). Les titres sont « au porteur », anonymes...

Les banques européennes ont toutes développé une activité de gestion de fortune (coffres et collectes des intérêts et dividendes). Les banques suisses y ajoutent la possibilité de la fraude (aucune communication entre les banques suisses et les Etats étrangers).

Résultats : les fortunes gérées en Suisse entre les 2 guerres sont multipliées par 10, de 10 à 125 Mds de francs suisses (en termes corrigés de l’inflation) alors que la fortune privée des grands pays d’Europe est presque la même en 1938 qu’en 1920. La fraction du capital caché en Suisse passe de 0,5% du total à 2,5% dans la même période (5% pour les capitaux français).
La loi sur le secret bancaire a été adoptée en 1935 (avant : « neutralité absolue »).

Crise au sortir de la 2ème guerre mondiale
3 éléments concourent à une forte tension pour le paradis helvète :

  • Pénurie de clients (destructions, effondrements des marchés financiers, inflation, nationalisations, etc.. .) ;
  • Menace des Alliés occidentaux de lever du secret bancaire (la Suisse s’est compromise avec l’Axe)
  • Gel des avoirs US depuis 1941
    La Suisse s’en sort en faisant une fausse déclaration (les titres US détenus par des Français sont déclarés détenus par des Suisses). Fin de la crise !

3 décennies de rush sur les banques suisses (années 50, 60 et 70).
La période dite des « 30 glorieuses » a favorisé une envolée du volume des fortunes détenues en Suisse :
5% des fortunes européennes, 1/3 des titres américains appartenant à des étrangers, très loin devant le RU (15%), le Canada (15%), la France(7%) ou l’Allemagne (3%).
La Suisse détenait une sorte de monopole de l’évasion fiscale (Londres n’est pas encore remise de la guerre). La City n’émergera qu’à compter du milieu des années 1960.
S’y ajoute, à compter du milieu des années 1970, un afflux considérable de fonds en provenance des pays pétroliers (les pétrodollars). Ce dernier apport n’était pas justifié par un souci d’évasion fiscale mais par la garantie de l’anonymat pour leurs propriétaires, désireux de la plus totale discrétion pour leurs investissements.

Les nouveaux paradis fiscaux, pas de vrais concurrents !
Les années 1980 et la déréglementation des marchés financiers (Londres 1986) voient apparaître de nouveaux paradis fiscaux : Hong-Kong, Singapour, Jersey, le Luxembourg, les Bahamas. Ils font la même chose que leurs confrères suisses (graphique I).
A l’automne 2013, 6% du patrimoine financier privé européen est en Suisse (1800 Mds d’€ au total dont 1000 européens), le même montant prospère dans les autres paradis fiscaux.

Une concurrence de façade
Une grande partie des banques installées dans les nouveaux paradis fiscaux sont des filiales des banques suisses. On ne peut parler de concurrence mais plutôt de complémentarité.

Spécialisations des paradis fiscaux
Autrefois la Suisse offrait l’ensemble des services : exécution de la stratégie d’investissement ; garde des titres ; camouflage de l’identité (comptes numérotés aujourd’hui interdits mais remplacés par des trusts, fondations et autres sociétés écrans avec des comptes à lettres).
Aujourd’hui, seule la garde des titres est faite en Suisse. Les fonds d’investissement font les placements (Luxembourg, Irlande, Chypre) ; les fonds classiques (SICAV et OPCVM) ont leurs adresses au Luxembourg ; l’Irlande s’est spécialisée dans les fonds monétaires en sus des SICAV et des « hedge funds ».

La place suisse aujourd’hui (tableau I).
Le montant détenu est de 1 8OO Mds d’€, en progression de 14% depuis avril 2009. 1000 appartiennent à des Européens. 600 Mds sont placés dans des fonds luxembourgeois.

Les mauvaises solutions
L’échange automatique et l’échange à la demande
En 1901, naissance de l’impôt sur les successions (5% pour les plus grosses contre 1% pour toutes auparavant) ainsi que la notion d’échange automatique entre les banques et le fisc.
1908, publication d’un projet de loi (non votée) visant à réprimer l’évasion dans les banques étrangères ;
En 1908 toujours, un traité est signé avec l’Angleterre sur la transparence vis-à-vis du fisc français des successions perçues par des français en Angleterre.
En 1914, création de l’impôt progressif sur le revenu.
En 2009, l’OCDE juge irréaliste l’échange automatique et suggère au G20 un échange « à la demande », le pays demandeur devant établir de forts éléments de preuve pour demander des informations.
L’affaire Cahuzac illustre la possibilité pour un pays comme la Suisse de s’auto-blanchir en vertu de « l’échange à la demande » (sollicité par l’État français au cas particulier).

La Fatca (Foreign Account Tax Compliance Act)
Les 3 tares de l’échange à la demande (absence de contrainte, absence de lutte contre la dissimulation via des sociétés-écrans et absence de vérifications) s’appliquent aussi à la loi Facta adoptée en 2010 aux États-Unis. Ce qui en fait un outil inefficace. Le recours à des informateurs grassement rémunérés est à ce jour l’illustration de l’échec de la Fatca. Il reste malgré tout l’outil le plus efficace contre l’évasion fiscale.

La directive épargne
Mesure phare de l’UE depuis le 1er juillet 2005 pour lutter contre l’évasion offshore, elle révèle en fait être un grand scandale en raison de 3 failles béantes dans le dispositif.
Elle ne concerne que les intérêts et pas les dividendes, excluant d’entrée les 2/3 environ des revenus dissimulés. Le Luxembourg et l’Autriche bénéficient d’un régime dérogatoire, ce qui ôte la crédibilité du système. Enfin la directive ne concerne que les comptes des particuliers, et non ceux détenus via des sociétés-écrans, des trusts ou des fondations.

Résultat : le nombre de comptes détenus via des sociétés-écrans s’est envolé au détriment des comptes détenus par des européens en nom propre (graphique 3).

Les propositions de Gabriel Zucman (Contrainte , vérification, impôt mondial)

1) Appliquer des sanctions financières, commerciales et douanières
Il incite à taxer lourdement les intérêts et dividendes versés aux micro-paradis fiscaux qui ne respectent pas les standards de transparence avec une retenue à la source portée à 100%.
Pour les gros paradis fiscaux, il propose de sanctionner les échanges de biens avec les pays lésés par l’évasion fiscale à hauteur des pertes constatées pour contraindre les paradis fiscaux à coopérer. Ces tarifs-sanctions doivent être proportionnés aux pertes subies (de 30 à 100%) et appliqués par des coalitions de petite taille (de 2 à 4 Etats) (tableau 4). Pour Zucman, nous ne sommes plus dans le fonctionnement normal des marchés mais dans le vol organisé. Il s’agit donc de récupérer sur les importations ce que coûte le secret bancaire aux Etats.

Le cas du Luxembourg
Cofondateur de l’Union en 1957, sa structure économique d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec l’originelle. L’industrie financière a remplacé celle de l’acier (graphique 4) et le Luxembourg est devenu une des principales places financières du monde, au cœur de l’évasion fiscale européenne et mondiale et véritable bombe à retardement pour une future crise financière. La question est posée de savoir si nous avons affaire à un Etat ou à une plateforme financière. Auquel cas, n’étant pas une nation, le Luxembourg et son secteur financier hypertrophié n’ont plus leur place au sein de l’UE. En attendant, le Luxembourg gèle par sa voix au conseil européen toute velléité de changement.

2) Pour un cadastre financier mondial (tableau 5).
Il s’agit de la création d’un outil de vérification, ne pouvant faire confiance aux seuls échanges d’information fournis par les banques et les Etats, indiquant qui possède quoi (actions, obligations, parts de fonds d’investissement, etc.). Le FMI semble être la structure la plus adaptée. Des registres semblables existent déjà : la Depository Trust Corporation aux USA conserve tous les titres émis par les sociétés américaines, la FED ceux de la dette publique. En Europe, ce sont les chambres de compensation Euroclear et Clearstream qui jouent ce rôle de gestion de stock. Toutes les banques ont un compte dans ces structures pour leurs débits et crédits sur titres. Ce registre mondial, coordonné par le FMI sur la base des données fournies par les organismes dépositaires, devra être étendu aux produits dérivés. Le FMI communiquera ces informations aux administrations fiscales concernées.

3) Un impôt mondial sur le capital
Il s’agit d’un impôt à la source prélevé sur le patrimoine par le FMI (par ex. 2%) en sus de celui sur les revenus du capital, condition sine qua non pour lutter contre l’opacité financière et faire vivre le cadastre financier.
Cette proposition présente 4 avantages : cette taxe sur la richesse concernera tous les titres, même ceux ne générant aucun revenu ; elle ne porte pas atteinte aux souverainetés nationales (cet impôt sera remboursable aux propriétaires qui déclareront l’intégralité de leur patrimoine dans leur pays) ; elle supprime toute justification des sociétés-écrans, des trusts, des fondations, des prête-noms et autres. Enfin, chaque Etat pourra créer son propre impôt sur la fortune, à base large et à taux progressif.

4) Fiscalité des multinationales et réforme de l’impôt sur les sociétés
Si l’impôt progressif sur le patrimoine (et non sur les seuls revenus) a vocation à terme de remplacer l’impôt sur les profits, ce dernier doit toutefois être réinventé.
Actuellement, l’optimisation fiscale suit 2 chemins :
Lester de dettes les résultats pour faire apparaître les profits réels là où ils sont le moins taxés ;
Les prix de transfert (falsification des prix des marchandises lors des échanges fictifs de services entre filiales pour diminuer le résultat imposable)
Il s’agit pour Zucman de taxer les profits mondiaux et d’en répartir le produit entre les Etats (selon une clé de répartition à établir en fonction du lieu de réalisation des ventes et en intégrant dans cette clé la masse salariale et le capital utilisé dans la production).
Cela produirait une hausse de 30% des recettes fiscales, mettrait fin aux prix de transfert et permettrait de jeter les bases d’une fiscalité à base unifiée pour le XXIème siècle.

En résumé et en critiques

Nous avons, avec ce livre, un travail remarquable de synthèse des données existantes. Ce livre est abordable, même par un non initié. Il donne un éclairage complet sur l’histoire et la mécanique des paradis fiscaux et surtout sur l’évasion fiscale. La Suisse et le Luxembourg devenu plateforme financière sont abondamment décrits en ce qu’ils constituent des rouages essentiels dans la dissimulation des profits.

Cet ouvrage de vulgarisation dresse un bilan critique sur les mesures déjà prises et sur les erreurs à éviter. En sus de ces éléments, il présente l’avantage de calculer le manque à gagner pour le budget de l’Etat et révèle la part du stock de la dette publique imputable à l’évasion fiscale. Cette part représente pour la France plus du tiers de la dette de l’Etat au 30 septembre 2013.

Gabriel Zucman formule 3 champs de propositions comme le cadastre financier mondial, un réel échange automatique d’informations exhaustif, doté de moyens de contraintes et de vérification, ainsi que la création d’un impôt mondial sur le capital. Il montre ce qui devrait être fait aujourd’hui pour lutter efficacement contre l’évasion fiscale.

Sur le papier, d’un point de vue économique, ces propositions paraissent de bon sens et très efficaces. Mais la société n’est pas faite que d’économie, elle vit aussi au gré des rapports de force entre couches sociales, des choix politiques qui sont opérés et de nombreux autres facteurs déterminants, comme la crise écologique et climatique.

La faiblesse principale de ces propositions est qu’elles font abstraction du contexte politique dans lequel elles doivent s’appliquer. Ces 3 mesures proposées nécessitent en effet un accord politique aujourd’hui improbable entre ceux qui sont à la direction des Etats les plus importants de la planète (coalitions de 2 à 4 pays, 7 au total, tous membres de la Triade) et qui œuvrent tous ici et maintenant au bénéfice de l’industrie financière et des multinationales.

Elles entretiennent l’illusion « qu’un autre capitalisme est possible », pour paraphraser le slogan altermondialiste. Elles sont présentées comme des solutions techniques efficaces pour le faire vivre avec moins d’inégalités de répartition des richesses. Ce « bon » capitalisme n’existe pas et n’a jamais existé. Les déséquilibres de ce monde tout comme les paradis fiscaux lui sont nécessaires.

Cette précision ajoutée, nous accompagnons bien volontiers les propositions de Gabriel Zucman tout en appréciant les limites. Leur non-application par la droite conservatrice et le social libéralisme seront autant d’enseignements pour ceux qui nourrissent encore des illusions.

Ce n’est ni le bon sens, ni l’intérêt général qui dirige ce monde.
Gabriel Zucman avance l’idée d’un cadastre financier mondial (ce que nous revendiquons pour rendre publique l’identité des créanciers des titres des dettes publiques) et un impôt mondial sur la détention du patrimoine. Il propose pour les deux la gestion par le FMI, ce qui mérite des précisions.

Nous contestons toute légitimité au FMI actuel où 1 dollar = 1 voix et non 1 peuple = 1 voix et qui est avant tout un instrument d’oppression des populations de la planète : Plans d’Ajustement Structurels au Sud et plans d’austérité au Nord comme avec la Troïka en Europe.

Le CADTM est favorable au remplacement de la Banque mondiale, du FMI et de l’OMC par des institutions démocratiques qui mettent la priorité sur la satisfaction des droits humains fondamentaux dans les domaines du financement du développement, du crédit et du commerce international.

Si une partie de la réponse tient au type de rapports nouveaux et totalement réformés que les Etats devraient entretenir avec les paradis fiscaux (contraintes et vérifications) et viser à leur disparition, c’est également au sein de chaque Etat qu’une nouvelle discipline de société doit être mise en œuvre.

Pour la France, mais également pour tous les pays « développés », il faut s’attaquer à la finance elle-même et aux banques tout particulièrement. Il est établi que toutes les grandes banques françaises (la BNP Paribas, le Crédit Lyonnais, la Société Générale, le Crédit Agricole, la BPCE, Dexia jusqu’à la Banque Postale) disposent d’entités par centaines au sein des paradis fiscaux.

Ce constat, validé par la Banque de France, appelle des réponses comme, bien sûr, la séparation des activités de dépôts et d’affaires, élément minimum de la régulation, mais aussi et surtout une nationalisation totale de ces banques à placer sous contrôle citoyen, une réelle socialisation par les usagers en lien avec les organisations syndicales des salariés de ces établissements.

Plus qu’aux dirigeants des Etats, c’est aux citoyens, c’est-à-dire aux principaux intéressés, qu’il faut s’en remettre pour mettre fin à ces pratiques scandaleuses.

De même, pour assurer une bonne information du cadastre financier mondial, les organismes dépositaires comme DTC aux Etats-Unis et les dépositaires centraux en Europe (Euroclear, Clearstream) doivent relever du domaine public et non du domaine privé.

Toutes les transactions financières dans le monde passent par les chambres de compensation. Transférer les chambres de compensation au secteur public permettrait d’identifier les opérations frauduleuses et autres manipulations financières.

Euroclear est une émanation de la banque nord-américaine JP Morgan et Clearstream est une filiale de Deutsche Börse Group, société boursière allemande spécialisée dans les produits dérivés.

C’est par l’entremise d’Euroclear que l’Etat français rémunère les titres de la dette publique. Le Code Monétaire et financier et le Code du Commerce interdisent de connaître l’identité des créanciers. Là aussi, le secret bancaire interdit aux parlementaires (et à leurs mandants, les citoyens) de connaître à qui sont versés les quelques 48 Mds d’€ d’intérêts votés chaque année avec la loi de finance. Ces codes doivent être réformés.

D’autres outils existent déjà qui enregistrent les transactions et mouvements financiers. C’est le cas de l’entreprise Swift (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication). SWIFT est une société coopérative de droit belge fondée en 1973 et qui compte parmi ses adhérents toutes les grandes banques mondiales. Par elle, transitent toutes les opérations de compte à compte, les opérations sur titres et sur les devises.

Espionnée secrètement par la CIA depuis 2001 au nom de la lutte contre le terrorisme, elle fait l’objet depuis juin 2010 d’un accord de coopération entre les Etats-Unis (CIA et Département du Trésor) et l’Union Européenne.

La finance mais aussi et surtout les multinationales
Si les pratiques de l’industrie financière focalisent l’attention depuis la crise de 2007, il ne faut pas perdre de vue que le capitalisme industriel et les multinationales, hautement financiarisés depuis une quarantaine d’années, imposent leur conception de l’ordre économique à l’échelle planétaire et sont les comptables, souvent criminels, des déséquilibres de ce monde.

Les stratégies des sociétés transnationales-STN- financières mais aussi des STN industrielles de production de marchandises et de services, intègrent les « compétences » des paradis fiscaux dans leur course à la rentabilité.

Gestion des investissements directs étrangers, des fusions acquisitions, dissimulation, survalorisation ou minoration des actifs via la titrisation, sous-capitalisation des filiales pour justifier le versement d’intérêts dans les pays sans impôt, prix de transfert et création de charges fictives pour l’optimisation fiscale, etc..), tout fait ventre pour accroître les profits.

Divers rapports officiels, des études de chercheurs et d’autres réalisées par des ONG confirment la forte appétence des multinationales pour les paradis fiscaux :
Le dernier rapport de la CNUCED2 souligne que :

« Les investissements passant par des places financières extraterritoriales et des structures de titrisation restent un problème.
Les investissements passant par des places financières extraterritoriales (centres financiers offshore) et des structures de titrisation (entités ad hoc) ont atteint des niveaux historiques. Les flux financiers vers ces places financières extraterritoriales restent proches des niveaux records atteints en 2007.
Bien que la plus grande partie des efforts internationaux de lutte contre l’évasion fiscale soit concentrée sur les places financières extraterritoriales, les flux financiers passant par des structures de titrisation ont été presque sept fois plus importants en 2011 (passant de 90 à 600 Mds de $). Le nombre de pays offrant des conditions fiscales favorables à ces structures de titrisation ne cesse d’augmenter…

A partir des données fournies par la CNUCED, on peut estimer qu’environ 1/3 des stocks d’investissements directs à l’étranger issus des sociétés transnationales se trouvent dans les comptes des banques des paradis fiscaux (environ 8000 Mds de $ fin 2012).

Début octobre 2013, a été publié le rapport de la mission d’information parlementaire présidée par Alain Bocquet et intitulée : Lutte contre les paradis fiscaux : si l’on passait des paroles aux actes3.
Ce rapport, très riche en informations, souligne, entre autres :

Le commerce réalisé au sein des multinationales (le commerce intragroupe), représente une part considérable du commerce international. Il est au cœur de la mondialisation. Dans le cas français, il a été estimé en 1999 à un tiers des exportations et un quart des importations à destination ou en provenance de filiales d’une même multinationale, et à 70 % des échanges réalisés par les filiales de groupes industriels internationaux situées en France. Ces parts se sont certainement accrues. Pour les Etats-Unis, l’OCDE (OECD Trade Policy Paper n° 114, 2011) a estimé à partir des données douanières qu’en 2009, 48% des importations de biens et 30% des exportations relevaient des transactions intragroupes. On estime parfois à près de la moitié du commerce mondial les transactions intragroupes. Les prix d’échange entre les différentes branches d’un groupe international peuvent faire l’objet de manipulations pour transférer clandestinement les profits d’un pays à l’autre.

Ce rapport donne également plusieurs exemples significatifs comme l’installation autorisée par le gouvernement français du siège de l’entreprise EADS aux Pays-Bas pour éluder une partie de l’impôt.
Il mentionne une étude publiée sur le site Internet de la Fédération française des télécoms estimant :

« que par rapport à une localisation en France, les cinq entreprises multinationales du Net que sont Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft bénéficiaient d’une division par 22 du montant de l’impôt sur les sociétés : 37,5 millions d’euros contre 828,7 millions d’euros. »

Une étude4 sur l’usage des paradis fiscaux dans la mondialisation boursière souligne les pratiques courantes des multinationales pour échapper à l’impôt souvent en toute légalité ou/et pour lever des capitaux. 3 systèmes principaux sont utilisés.
Au nom de la taxation à la résidence, certaines multinationales installent le siège social de filiales dans des paradis fiscaux à fiscalité très faible ou nulle et où elles n’ont aucune activité réelle.

D’autres créent pour quelques centaines d’euros des « entités à vocation spécifiques » (EVS) ou Special Purpose Entities (SPE) pour lever des capitaux par émissions d’actions ou de titres assimilés.

La 3ème pratique, très prisée depuis le début des années 2000, consiste en la délocalisation du siège social de l’entreprise dans un paradis fiscal (« inversion de résidence ») ou un pays à fiscalité plus avantageuse. C’est le cas d’EADS cité plus haut.

Certaines sociétés transnationales choisissent le paradis fiscal pour des raisons qui tiennent à l’histoire coloniale. Les entreprises du Commonwealth sont attirées par les Bermudes, les îles Caïmans et les Îles Vierges Britanniques. Les sociétés hollandaises s’installent dans les Antilles néerlandaises.

D’autres le font pour des raisons qui tiennent à la spécialisation de certains paradis fiscaux. Les armateurs grecs sont prioritairement attirés par les Îles Marshall qui offrent en sus un pavillon de complaisance.

Pour des raisons de proximité, le choix des sociétés allemandes et tchèques se fait majoritairement pour le Luxembourg. Les capitalistes belges et autrichiens choisissent davantage l’île de Jersey. Les sociétés polonaises, ukrainiennes et russes, elles, optent en quantité pour Chypre.

L’industrie automobile, elle aussi, a choisi de financiariser ses activités. L’organigramme du groupe Banque PSA finances5 affiche l’installation d’une partie de ses activités à Malte. Les dividendes distribués sont majoritairement alloués à la famille Peugeot, installée en Suisse depuis le début du XXème siècle. Pendant ce temps, des milliers d’emplois sont sacrifiés et des usines fermées.

Ce que ces derniers exemples révèlent est que l’intérêt de la lutte contre l’évasion fiscale, légale ou illégale concerne l’ensemble des populations européennes et que pour devenir efficace, ce combat ne peut être mené par un seul peuple.

OXFAM abonde dans le même sens. L’association a publié au mois de mai 20136 les résultats d’une étude ayant pour support les bulletins trimestriels de la Banque des règlements internationaux (BRI), les estimations d’autorité nationales et du FMI à propos de la conformité de certains Etats aux normes contre le blanchiment.
Selon cette ONG, 19,5% des dépôts mondiaux sont la propriété d’étrangers dans des paradis fiscaux. Cette estimation est faite a minima et concerne tous les actifs, financiers et non financiers.

D’autres associations comme le CCFD, les Amis de la Terre ou encore Tax Justice Network soulignent l’intérêt croissant porté aux paradis fiscaux par les multinationales financières et non financières.

Un chapitre sur le rôle de la City de Londres dans l’évasion fiscale eut été utile. Selon Tax Justice Network, la City représentait en 2008 un total de 3.200 milliards de dollars de capitaux. Elle représentait aussi la moitié du trading international des actions, 45% des échanges de gré à gré de produits dérivés, 35% des échanges de devises et 55% des émissions publiques internationales, selon l’ouvrage précité. Londres est ainsi la principale place offshore (cité dans le rapport Bocquet précité).

On peut compléter le tableau en soulignant l’importance vitale des paradis judiciaires et fiscaux dans le blanchiment de l’argent sale (mafia, corruption) mais également leur rôle central pour les industries d’armement.

Également, si les flux financiers provenant des pays du Sud vers ceux du Nord sont aujourd’hui encore très largement supérieurs à ceux circulant du Nord vers le Sud, c’est grâce aux véhicules que constituent les paradis fiscaux pour les multinationales extractivistes comme Bolloré, Areva, Total, Bouygues et consorts.

Ce qu’on appelle les « biens mal acquis » (produits directs des dettes odieuses et de la corruption) trouvent aujourd’hui au sein des banques suisses, un réceptacle confortable pour perpétuer le néocolonialisme dans les pays du Sud de la planète, protégé et encouragé par les États dominants de la planète.

Ce à quoi nous devons nous atteler aujourd’hui, c’est à une stratégie de transformation radicale de ce monde (au sens de s’en prendre à ses « racines »), portée par une mobilisation sociale, transnationale elle aussi.

Dans chaque pays, à l’échelle continentale et mondiale, lutter contre les créances odieuses, les dettes illégitimes, les plans d’ajustement structurels et les plans d’austérité sont un même combat qui va de pair avec celui de l’éradication des paradis fiscaux et l’évasion fiscale.


Notes articles:

1. Le Seuil, La République des idées 2013, prix =11,80€

2. http://unctad.org/fr/PublicationsLi...

3. http://www.assemblee-nationale.fr/1...

4. http://espacepolitique.revues.org/2180

5. http://www.banquepsafinance.com/

6. http://www.oxfamfrance.org/Paradis-...

Par Pascal Franchet, du CADTM France - Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers Monde.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.