Les différentes mesures d’urgence mises en place par les Institutions financières internationales (IFI), le G7 et G20 depuis mars 2020 sont plus qu’inappropriées. En conséquence, ce 23 août 2021, Kristalina Georgieva, Directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), annonçait une nouvelle initiative sous la forme d’une allocation de 650 milliards de dollars US de Droits de tirage spéciaux (DTS)[1]. Une aide à destination des pays du Sud ?
Droits de tirage spéciaux, késako ?
D’après le FMI, « Le DTS est un avoir de réserve international créé en 1969 par le FMI pour compléter les réserves de change officielles de ses pays membres […] Il est l’unité de compte du FMI et d’autres organisations internationales. Le DTS n’est pas une monnaie et ne constitue pas non plus une créance sur le FMI. Il représente plutôt une créance potentielle sur les monnaies librement utilisables des pays membres du FMI. Les DTS peuvent être échangés contre ces monnaies. […] La valeur du DTS est déterminée par un panier de monnaies (ndlr : composé du Dollar US, de l’Euro, du Yuan chinois, du Yen Japonais et de la Livre sterling) »[2].
En clair, le DTS est un actif de réserve international visant à compléter les réserves officielles de ses pays membres (ndlr : au nombre de 190[3]) et fournir des liquidités en cas de crise de la balance des paiements, c’est-à-dire lorsqu’un État n’a plus suffisamment de ressources financières disponibles en devises étrangères pour honorer ses engagements financiers hors de ses frontières, service de la dette compris.
Une aide en trompe l’œil ?
Directement dépourvue de conditionnalités politiques et non comptabilisée par le FMI comme une créance, cette allocation représente à première vue une véritable bouffée d’oxygène pour les pays du Sud, et pourtant …
Premier écueil, la répartition de l’allocation de 650 milliards de dollars US. Conformément à son fonctionnement anti-démocratique[4], « les DTS sont distribués aux pays au prorata de leurs quotes-parts relatives au FMI »[5]. En somme, les 135 pays en développement se partageront 275 milliards de dollars US, tandis que les 55 pays les plus riches bénéficieront de quelques 375 milliards. Les 29 pays à faible revenu qui comptent 700 millions d’habitantˑes ne recevront quant à eux que 21 milliards de dollars alors que selon le FMI ils auront besoin de 450 milliards de dollars pour relancer leurs économies au cours des 5 prochaines années[6]
Second problème, le montant alloué. Pour les pays du Sud, ces 275 milliards représentent à peine plus de 8 % de leur dette extérieure publique et d’un-quart du service de la dette extérieure publique due entre 2020 et 2022. Dans une conjoncture de crise multidimensionnelle où ces pays ont vu leurs recettes chuter drastiquement en parallèle d’une hausse des dépenses en lien avec la pandémie, cette allocation fait pâle figure face aux milliers de milliards d’euros et de dollars US respectivement débloqués depuis un an et demi par la Banque centrale européenne et la Réserve fédérale des États-Unis[7].
Troisième obstacle, le renforcement du contrôle du FMI et des pays les plus riches sur les PED. Largement affaibli et délaissé au tournant des années 2000, le FMI redevient incontournable depuis la crise mondiale de 2007-2008. De nouveau présent dans la majorité des PED, la situation ne rassure pas au regard de ses échecs chroniques et de son idéologie néolibérale mortifère. L’occasion de répandre ses plans d’ajustement structurel et ses politiques d’austérité était bien trop belle pour le Fonds[8]. Pour les 55 pays les plus riches la donne est similaire. Conscients du caractère ridicule des 275 milliards $US alloués à 135 PED, des tractations sont en cours pour leur redistribuer une partie des 375 milliards à leur disposition. Mais attention, la proposition qui domine actuellement les débats consiste à un jeu de dupes : les pays riches prêteraient à intérêt une part des DTS qui leur sont alloués alors qu’ils y auront accès gratuitement. Nul doute qu’au jeu très politique de la dette, les gouvernements des pays riches sauront trouver les arguments pour convaincre les PED de signer des accords stratégiques et commerciaux en échange de nouveaux crédits et de quelques miettes.
Quatrième controverse, l’utilisation de cette allocation. Tandis que 25 % des PED consacrent davantage de ressources au service de la dette qu’en dépense de santé, à quoi va bien pouvoir servir cette allocation. Nous l’indiquions précédemment, leurs recettes sont en bernes en parallèle de dépenses en hausse. Ni l’initiative de suspension du service de la dette, ni le Common debt framework ou le fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes créés en 2020 ne sont à la hauteur des enjeux[9]. Preuve en est avec la création de cette nouvelle allocation de DTS. Bien que très largement majoritaires, les créanciers privés restent quant à eux complétement exempts de ces mécanismes et n’ont toujours pas concédé quelque allègement ou annulation de leurs créances. Le risque est donc grand de voir les PED utiliser ces DTS directement ou indirectement pour les rembourser, cédant ainsi à leur chantage et à celui des agences de notation[10], afin de préserver leur crédibilité sur les marchés financiers et autres investisseurs, le tout au détriment du droit international, des droits humains et des désormais inatteignables objectifs de développement durable (ODD) de l’Organisation des Nations unies. Le président mexicain a déjà annoncé qu’il utilisera les DTS pour rembourser la dette extérieure du pays alors que ce pays affecté très durement par la pandémie du coronavirus qui a provoqué plus de 260 000 décès ferait mieux de suspendre le paiement de la dette et de dépenser les sommes nécessaires pour protéger sa population.
Ne rien attendre du FMI et consorts
Malgré le caractère inédit de la crise et son ampleur, FMI, Banque mondiale, Club de Paris, G7, G20 se refusent à accorder des annulations pures et simples de dette aux PED. Derrière les beaux discours alertant sur la hausse de la pauvreté, des inégalités, du chômage, sur la nécessité de réaliser les ODD d’ici 2030, sur l’urgence d’enrayer la pandémie ou encore sur les basculements écologiques en cours, ces acteurs refusent de mettre en œuvre des solutions dignes de ce nom.
Pour les pays du Sud et les populations rien n’a changé, il n’y rien à attendre des IFI. Il est possible et nécessaire de prendre des mesures souveraines. En droit international, de solides arguments juridiques peuvent appuyer une décision unilatérale de suspension de paiement[11], parmi lesquels l’état de nécessité et le changement fondamental de circonstances. Lorsqu’un État invoque ces arguments, le caractère légitime ou non de cette dette n’a aucune importance. Quand bien même la dette réclamée au pays serait légitime, cela n’empêche en rien ce pays d’en suspendre le paiement. Avec le concours des populations et une solidarité internationale, c’est à ce prix qu’une sortie de crise sera rendue possible.
Par Milan Rivié et Eric Toussaint du Comité pour l'abolition des dettes illégitimes (CADTM)
[1] Kristalina Georgieva, « La Directrice générale du FMI annonce que l’allocation de DTS d’un montant de 650 milliards de dollars prend effet », 23 août 2021. Disponible à : https://www.imf.org/fr/News/Articles/2021/08/23/pr21248-imf-managing-director-announces-the-us-650-billion-sdr-allocation-comes-into-effect
[2] FMI, « Droit de tirage spécial (DTS), 9 août 2021. Consulté le 1er septembre 2021. Accessible à : https://www.imf.org/fr/About/Factsheets/Sheets/2016/08/01/14/51/Special-Drawing-Right-SDR
[3] FMI, « Le FMI en un clin d’œil », 3 août 2021. Consulté le 1er septembre 2021. Accessible à : https://www.imf.org/fr/About/Factsheets/IMF-at-a-Glance
[4] CADTM, « L’ABC du Fonds monétaire international », 13 février 2020. Disponible à : http://www.cadtm.org/L-ABC-du-Fonds-monetaire-international-FMI
[5] Ibid. note de bas de page n°2.
[6] Financial Times, « Rich Nations pressed to pass on IMF stimulus », 26 août 2021
[7] Banque centrale européenne, « Pandemic emergency purchase programme (PEPP).) Consulté le 1er septembre 2021. Disponible à : https://www.ecb.europa.eu/mopo/implement/pepp/html/index.en.html et Jeffrey Cheng, Tyler Powell, Dave Skidmore, David Wessel, "What’s the Fed doing in response to the COVID-19 crisis? What more could it do?", Brookings, 30 mars 2021. Disponible à : https://www.brookings.edu/research/fed-response-to-covid19/
[8] Isabel Ortiz, Matthew Cummins, “Global austerity alert - Looming budget cuts in 2021-25 and Alternative pathways”, Policy Dialogue, avril 2021. Disponible à : https://policydialogue.org/files/publications/papers/Global-Austerity-Alert-Ortiz-Cummins-2021-final.pdf
[9] Milan Rivié, « 6 mois après les annonces officielles d’annulation de la dette des pays du Sud : Où en est-on ? » Disponible à : https://www.cadtm.org/6-mois-apres-les-annonces-officielles-d-annulation-de-la-dette-des-pays-du-Sud
[10] Ramya Vijaya, “Credit ratings are punishing poorer countries for investing more in health care during the pandemic”, The Conversation, 11 août 2021. Disponible à : https://theconversation.com/credit-ratings-are-punishing-poorer-countries-for-investing-more-in-health-care-during-the-pandemic-165298
[11] Voir Éric Toussaint, « Les fausses solutions du G20 et la nécessité de suspendre le paiement de la dette », disponible à : https://www.cadtm.org/Les-fausses-solutions-du-G20-et-la-necessite-de-suspendre-le-paiement-de-la