A la sortie du premier meeting de campagne d’Emmanuel Macron mardi soir – pardon, du collectif citoyen sans étiquette En Marche, on s’avoue s’être senti un peu sonné. C’est-à-dire, sonné dans le bon sens du terme, naturellement, mais désorienté tout de même, sans doute par la lucidité des propos qui nous avaient été tenus. Ou serait-ce par tant d’évidences, mises sur le même plan et détricotées, livrées enfin avec une énergie de fauve, afin qu’elles éclatent mieux aux yeux de tous sous le nom de vérité ? Difficile encore aujourd’hui de faire la part des choses.
D’abord je reconnais être tombé des nues. Oui, parce que comme certains d’entre vous j’imagine, c’est ce soir-là que j’ai pris pleinement conscience de la situation apocalyptique qui étouffe notre pays, désormais au bord de l’asphyxie. En tout cas le diagnostic auquel j’ai assisté m’a laissée pensif. C’est-à-dire que naïvement, il m’avait semblé que l’inégalité des territoires dans les domaines de la santé, de l’éducation ou de la sécurité, que la discrimination pour accéder à l’embauche ou encore que la précarité s’installant durablement jusque dans les classes moyennes de la société, que tout cela était certes motif à la préoccupation d’un ministre, quoi que sans doute moins matière à haranguer les foules après près de 2 ans aux responsabilités.
Or non, on m’apprenait que le cataclysme imminent, c’était plutôt… qu’il ne se passe rien en France. Figurez-vous que le mal qui ronge notre pays, c’est le blocage. Rien ne bouge plus. Nulle part. Depuis toujours. Enfin, disons depuis quarante ans. Bloqué, ankylosé, apathique, moribond, tel était le pays que l’on nous dépeignait, pauvre masse médusée que nous étions sur nos strapontins de la salle de la Mutualité, mais soulagée au moins de pouvoir goûter à ces saintes paroles. Il fallait pourtant être aveugle pour ne pas l’avoir vu ! Mais bien sûr, partout en France, tout le monde sait que le pays n’a jamais été aussi bloqué ! D’ailleurs à ce stade, quiconque se demande encore ce que bloqué peut bien signifier de concret, a forcément quelque part, quelque chose de bloqué lui-même.
Qu’à cela ne tienne, on nous propose un nouveau système. Hourrah ! Notre sauveur ne pouvait nous laisser impuissants et vulnérables aux griffes de cette France sclérosée, de cette province rendue agressive par la peur d’un avenir rayonnant et de ces corporatismes fous venus nous lier pieds et poings, nous pauvres citoyens épris de libertés. Il fallait bien qu’il nous vienne en aide, à nous qui avions entendu son message. Et voici ce qu’il nous dit.
« Ils vous proposent des partis !? Bigre, avec moi, vous aurez des collectifs ! » Et nous lâchions un soupir de soulagement parce que ce qui nous inquiétait justement, c’était d’être gouvernés par des organes permettant non seulement de débattre et d’échanger des idées, mais qui en plus présentaient sans scrupules des candidats à toutes sortes d’élections.
« Ils osent encore vous dire qu’il y a de la noblesse, à faire de la politique une carrière !? Beurk, je vous offre des citoyens comme les autres ! » Et nous l’acclamions car nous le tenions enfin, le tribun du dimanche, l’engagé à ses heures perdues, et qui visiblement comprenait la double évidence, selon laquelle on n’a jamais été homme politique et citoyen à la fois, et personne n’a jamais exercé un métier avec honnêteté.
« Ils vous assomment encore de programmes électoraux !? Scélérats, avec moi plus de promesses, rien que des engagements ! » Et nous hurlions notre joie tout en nous creusant les méninges, pour finalement nous dire que ce candidat était décidément le bon, si brillant qu’il connaissait la différence entre une promesse et un engagement.
Alors nous étions tous requinqués et redressés fièrement sur nos strapontins, grandis d’avoir déniché l’homme rare et providentiel, qui venait de nous faire voir l’avenir meilleur qui nous attendait. Car c’est là l’incroyable puissance de cet homme-là. Avec lui on se sent fort, galvanisé par on ne sait quelle envie d’en découdre. Des « belles âmes » qui se pavanent chez elles en attendant que ça se passe, trop peu pour nous ! Ici on est dans le camp des intrépides, pas celui des tire-au-flanc. Qu’ils aient peur, nous, on a du courage à revendre. La preuve en est que même la vérité ne nous fera pas reculer. Pendant que certains se tournent les pouces, terrés chez eux comme des termites, d’autres ne craignent pas de se brûler les lèvres à coup de parler-vrai. Et la vérité, c’est bien connu, plus on dit de bêtises plus on a de chances de tomber dessus, alors on ne se prive pas.
Tenez, l’identité française. Pourquoi s’embarrasser de nuances pour s’accommoder sans honte de ses racines chrétiennes ! Pire, judéo-chrétiennes ! On ose carrément le mot quand on est en marche. Parce qu’on pense que c’est un fait trop peu connu et auquel les gens vont tellement s’identifier que la pauvreté et le chômage, que dis-je, que le blocage en France en disparaîtra en un clin d’œil ! Là, ça leur en bouche un coin à tout le gratin de la bien-pensance qui voudrait nous faire croire qu’on descend des bouddhistes ! Et pour ceux qui insisteraient, on n’hésite pas à raconter l’histoire d’une jeune cantatrice d’origine maghrébine, non seulement sauvée mais également mise sur la voie du succès par les sœurs d’un couvent, et finalement convertie au catholicisme. On en oublierait presque le rapport entre une définition réduisant l’identité nationale à des considérations purement religieuses et une histoire édictant que si des musulmans peuvent se convertir au catholicisme, c’est qu’il y a forcément de la fierté dans ces origines-là !
Et puis ce fût à nous de poser des questions, car décidément, la révélation avait été brutale.
« - Que doit-on faire, Monsieur le Ministre ? Quel remède concret prescrivez-vous contre le blocage national ? - Mais on marche, pardi ! » Nous savions à présent comment lutter efficacement contre les articulations grinçantes et l’immobilisme chronique de notre pays et nous beuglions qu’il fallait que ce drôle-là nous préside. Cependant notre homme avait pour nous un dernier conseil : n’écouter personne qui, sur notre chemin de convalescence voudrait nous faire croire à un possible changement de système. Ceux-là sont de la pire espèce, de ceux qui se nourrissent de la peur des gens et qui les roulent encore en boule lorsque ceux-ci ne se sont pas recroquevillés sur eux-mêmes tous seuls.
Vous aussi vous êtes un peu perdus, parce que vous pensiez justement que vous veniez d’adhérer à un changement radical de système ? C’est normal, c’est l’effet Macron. Allez faire un tour et revenez en 2017, d’ici là vous aurez peut-être à nouveau les idées en place.
- BB -