
En publiant en 1962 son ouvrage La République Moderne, Pierre Mendès-France exprime son opposition à la Constitution de la Ve République, qui selon lui, n'est pas véritablement démocratique. Il expose les bases d'une république moderne, qui s'adapterait aux nombreuses mutations de notre société. La France fait aujourd'hui face à une crise politique importante : augmentation du taux d'abstention, montée de l'extrême droite, crise sociale,...etc. On peut se demander si elle est due aux institutions qui ne permettent pas à nos gouvernements de faire les réformes nécessaires mais surtout qui ne permettent pas à la population d'agir en véritables citoyens.
Mendès-France aborde d'abord l'aspect peu démocratique de la Ve République et ses conséquences sur la vie politique de la France. Le pouvoir exécutif possède en effet (en la personne du président de la République) des pouvoirs bien supérieurs à ceux du gouvernement et du pouvoir législatif. Il peut ainsi dissoudre l'Assemblée nationale, ou encore remanier des gouvernements sans aucune concertation, et donc sans l'avis du peuple. C’est en effet à l’Assemblée Nationale et au Sénat que le peuple est le mieux représenté, et ces assemblées ne tiennent pas une place assez importante dans les décisions politiques de notre pays. Ce système contribue à une "abdication de la part du peuple", écrit-il, dans la mesure où les citoyens sont sollicités pour les élections législatives et présidentielles tous les cinq ans, mais ne participent ensuite plus suffisamment à la vie politique. Cette constitution est pour lui responsable du désintéressement progressif des français aux décisions politiques et aux débats de société. De plus, ce système favorise la personnalité, le charisme d’un homme sur son réel engagement politique et les élections sont ainsi devenues des évènements où la forme (voire la "publicité ") est privilégiée sur le fond. Un retour vers un système parlementaire aiderait donc à revenir vers des débats plus politiques, et la population deviendrait plus engagée. Mendès-France écrit ainsi qu’ "il n’y aura pas de démocratie si le peuple n’est pas composé de véritables citoyens agissant constamment en tant que tels. ". Il propose donc dans son ouvrage un nouveau régime politique qu’il nomme le "Gouvernement de Législature" et qui se rapprocherait de systèmes politiques comme ils existent en Grande-Bretagne aux Pays-Bas ou encore en Belgique. Il préconise donc une égalité entre le législatif et l’exécutif ("Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête la pouvoir", écrivait Montesquieu), car il est toujours risqué de confier trop de pouvoir à une seule personne, à une seule institution. Un tel changement pourrait contribuer à un plus grand intérêt des français pour les décisions politiques du pays et aussi à des projets politiques plus aboutis de la part de nos gouvernants. C’est peut-être ce qui manque aujourd’hui en France et qui encourage une partie des français à voter pour le Front National, exaspérés par le manque d'engagement, de courage et de vision politique dans les grands partis.
"Il ne peut y avoir, de nos jours, de poteau frontière entre l’économique et le politique". Mendès-France aborde très largement dans son essai l’importance que jouent les institutions pour entreprendre de réelles réformes économiques ("La République, c’est l’outil" disait Jaurès). Il pose ainsi la question du rôle de la deuxième chambre (le Sénat) et propose la création d’un parlement dans lequel les français seraient représentés par leurs catégories socio-professionnelles. Ceci renforcerait la démocratie, car, les citoyens étant représentés de deux manières différentes dans les assemblées, leurs intérêts seraient ainsi mieux respectés. Si on observe la composition actuelle des deux chambres, on remarque qu’elle représente peu la réalité de la population française. En effet, 18% des français exercent des professions intellectuelles supérieures (Insee 2012) alors que 82% des députés font partie de cette catégorie (Cevipof 2012). Avec la crise économique et sociale dans laquelle la France est plongée depuis plusieurs années, une telle assemblée permettrait d’appliquer des mesures plus cohérentes avec la situation économique des français. Une telle institution existe dans la constitution actuelle, c’est le Conseil Economique Social et Environnemental (CESE) ; mais elle n’a qu’un rôle consultatif et Mendès-France veut lui accorder un rôle beaucoup plus important. Son vote serait nécessaire pour appliquer de nouvelles lois, elle serait donc pleinement impliquée dans les décisions politiques du gouvernement ce qui en ferait une institution majeure de la République. En revanche, l’Assemblée Nationale doit avoir le dernier mot en cas de désaccords entre les deux chambres car le choix politique des français est le plus important. Un tel changement d’institutions serait peut-être nécessaire pour mieux faire face à la crise économique qui nous touche. Il pourrait également conduire à une meilleure confiance des français en leurs institutions et donc aux hommes qui les gouvernent.
Cet ouvrage date de 1962, et certains pourraient dire qu’il est obsolète et qu’il ne répond plus aux besoins de notre société. Si les exemples qu’utilise Mendès-France sont en effet éloignés, ils n’en sont pas moins facilement transposables à des situations d’aujourd’hui. Ainsi, dans sa description de la campagne présidentielle de 1965, on reconnaît celles qui se sont déroulées plus récemment : les partis avec le plus gros budget et donc la plus grande présence médiatique sont ceux qui font les meilleurs scores. De plus, il écrit en affirmant constamment que la société évolue rapidement et c’est pour faire face à cette mutation qu’il propose de tels changements ; ses idées sont donc toujours d’actualité. Ce qui étonne est surtout la modernité de la vision de Mendès-France; il avait en effet tout de suite perçu les failles de ce système politique et appelait ses contemporains à se mobiliser pour un changement. De tels hommes politiques, ayant une réelle vision d'avenir sont trop rares aujourd'hui, et un changement ne pourra se réaliser que s'il est porté par des hommes et des femmes de la même envergure.
On peut finalement déplorer que cet ouvrage n'a plus été édité depuis 1965, on ne peut donc que le trouver d'occasion; mais il est très enrichissant et permet aux lecteurs de se formuler des réflexions sur le système politique actuel et sur la démocratie et la responsabilité des citoyens en général.
- LM -