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Billet de blog 20 avril 2022

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LE VENTRE MOU DES MEDIAS II,

LE VENTRE MOU DES MEDIAS II : "La France existentielle", tout un programme !

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Le ventre mou des médias, II
France Culture, La Grande Table,  animée par Olivia Gesbert
20 avril 2022
Invités : Laetitia Strauch-Bonart, Richard Werly et Julien Bisson 


Le titre de l'émission, "La France existentielle", donne l'occasion à des voix autorisées de parler dans le débat public, une nouvelle fois parce qu'ils ont écrit des livres.  Ils commencent à parler non pas de ce que vivent les Français eux-mêmes, mais d'abord des chefs, qui mettent "en scène, par exemple leur genre :  la féminité avec Marine Le Pen, la virilité, voire le virilisme, avec Emmanuel Macron".  Puis  il s'agit des "fractures", dont la journaliste affirme que tous autour de la table sont forcément d'accord sur leur existence, et qui se demande "combien y-en-a-t-il ?". Qui ne perçoit pas, déjà, le caractère articifiel de la mise en boîte de la question existentielle ?, celle qui a une parenté avec les sondages, les cases, les proportions, les chiffres....  Alors la libérale en chef, ici, Laetitia Strauch-Bonart, rappelle que les "fractures" ne datent pas d'aujourd'hui et qu'aux Etats-Unis, les "divisions sociologiques sont beaucoup plus fortes mais sont beaucoup moins mal vécues". On évite comme ça de parler des pauvres et de leurs misères réelles, probablement bien plus funs qu'au pays de la baguette et du pinard, on évite aussi de dire que  le "ressenti" d'une pauvreté peut-être parfaitement décorrélé de la réalité observable de celle-ci. Quand  vous naissez dans un monde d'esclavage en tant qu'esclave, vous avez de fortes chances de penser que le monde est ainsi fait, chacun est à sa place, on n'y peut rien changer, il faut s'y résoudre, et vous ne connaîtrez peut-être pas la rage et la révolte de ceux qui, dans des conditions historiques particulières, imaginent la liberté comme un horizon possible. Ou encore, pendant des millénaires, les  femmes ne se sont pas plaintes de leurs conditions d'existence, donc elles étaient plus courageuses qu'aujourd'hui et sans doute plus heureuses. Donc, la chef libérale aime bien le monde-anglo-saxon, en ce qu'il chouchoute la douce inégalité, quand en France "NOUS sommes obsédés par la division", "par l'idée de la place".  Pas par les mauvaises conditions de travail, pas par le chômage, pas par la faillite de l'hôpital ou de la justice, ce que les études confirment sans cesse, non, par la "division".  Il ne s'agit pas de nier qu'il y ait des divisions sociales, qu'il faudrait expliciter, il s'agit seulement de dire qu'il est stupide de prétendre qu'elle serait comme une lubie de tout un peuple. Pareil pour l'immigration.  

De la même manière que je critiquais Guillaume Erner sur les mêmes ondes deux jours avant, je pointerai encore et encore cet usage permanent du "nous", du "on" réducteur qui permet des détours simplistes de bon nombre de clercs qui s'expriment sur la société dans le débat public, alors mêrme qu'il ne cessent d'admettre "les divisions" et "les fractures". "ON est aussi obsédés par le classement" affirme la journaliste en se référant au livre de Strauch-Bonart. Et qui est le "on", cette fois  ?  : "Dominique de Villepin et cet esprit de cour".  Nous sommes à 5 mn 55 secondes du début d'une émission sur la France et le premier portrait est tiré. La France, c'est "nous", c'est "on", ce sont nos dirigeants ouvrant la bouche ou agissant de manière stupide.  "La place de la France dans le monde", "le déclassement" comme obsession des Français, c'est à pleurer  Olivia, à pleurer. Ceux qui se plaignent sans cesse dans les médias  de ce rang (à jamais perdu ??? horreur !!!), sont presque toujours de sinistres réactionnaires, de ceux qu'on forme depuis toujours dans notre pays, pour sa Gloire, son Rayonnement dans le monde. Et peu leur importe que les gens aillent bien ou non, c'est la puissance qui compte. "On se compare toujours à son voisin", sera la prochaine tirade de la journaliste en écho aux poncifs précédents. Oh là là, Olivia, c'est à pleurer,  vraiment, à pleurer. Oui, il y a des gens qui veulent avoir une plus grosse auto que leur voisin, un plus gros salaire que leur collègue, bien sûr, mais crois-tu qu'ils sont assez nombreux pour entrer dans ce "Nous" de la France existentielle que tu étais censée examiner ? Je ne crois vraiment pas, non. Moi le premier qui, comme beaucoup, sans doute,  ne me suis JAMAIS intéressé à cette question. Et peut-être que toi non plus, d'ailleurs, qui te ranges hypocritement dans ce nous pour ne pas conspuer une frange affligeante de nos citoyens.  "C'est très juste"...  répond la chef libérale aux remarques de la journaliste  sur le déclassement et la convoitise du voisin (c'est fou comme ils se congratulent beaucoup plus qu'ils ne s'opposent, sur les plateaux, non ?) :    "Sur le déclassement français... au lieu de NOUS réjouir de rester une puissance moyenne avec une influence internationale, pour reprendre les termes d'Hubert Védrine", Au lieu de nous plaindre d'avoir un logement vétuste, dit la libérale en substance, pensons que nous sommes cent fois plus heureux que dans un pays du Tiers-Monde où nous aurions un toit en tôle, un trou pour faire nos besoins, ou encore des hordes de fous furieux prêts à nous découper le lard avec des machettes. "NOUS NOUS flagellons, NOUS sommes absolument désespérés de ne plus être une grande puissance."  Ça te désespère ça,  Janine ?  Euh...non. Et toi Paulo ? Euh... pas vraiment. Ben non, ma cocotte, ça ne NOUS a jamais effleuré l'esprit. D'ailleurs, tu pourrais le savoir en jetant un oeil sur les différentes études qu'il y a sur NOUS. NOUS sommes préoccupés, tu diras "obsédés", par les fins de mois difficiles. Par le prix de l'énergie. Par le coût des loyers dans les grandes villes. Par le changement climatique. Perso, ça m'irait bien si la France était dernière de la classe et que tout le monde était bien content d'y vivre. Pas vrai Paulo ? Pas vrai  Janine ? Tu parles que c'est vrai, ils ont répondu.  Donc avec les gros mastodontes comme la Chine (quelle puissance, waouh !) "on devrait s'estimer heureux d'avoir une place assez honorable".   


Personne ne réagit.

Simplement Richard Werly rebondit "sur ce que dit Laeticia", sous-entendu le reste était parfait, du moins il n'y a rien à en redire. Le monsieur a besoin de Braudel pour montrer "la diversité des paysages, la diversité des terroirs, la diversité des cultures..." de la France. Vous en connaissez, vous, des pays avec un seul paysage, un seul terroir et une culture monolithique ?  On ne s'attardera pas sur cette France qui a "décidé de faire destin ensemble" qui est encore une vision élitiste du roman national et tellement caricaturale de l'histoire. Plus intéressant est de parler de la colère de tous ces gens face à toutes ces fractures "inévitables" dues à la mondialisation, à la place perdue des "cols bleus" dans la société, avec des industries "qui n'existent plus" (c'est mieux que détruites"), ou qui ont "émigré vers l'Asie", comme quelqu'un parti sous d'autres cieux pour vivre en tongues 300 jours par an, pas comme une activité délocalisée pour se faire plus de pognon en se moquant comme d'une guigne du travailleur. Ce qui rend tout cela invivable, ce n'est pas la misère sociale dont elle est la cause, non, c'est... la colère elle même, si, si. Alors, ce qu'on a vu dans la campagne, c'est non seulement la "volonté très très forte... de dire le mal-être, de le dire publiquement"  (quelle absence d'orgueil !) mais aussi de soigner ce mal-être "en prenant à l'autre. Et ça c'est quelque chose de très français".

La libérale saute sur le "prendre à l'autre" comme du pain bénit : "Vous avez dit quelque chose de très intéressant  Richard Werly..." Moi je ne sais pas ce que ça veut dire, mais elle si. D'emblée. Elle n'a pas besoin d'explication. Formidable, ces têtes pensantes, non ? Vous dites au beau milieu d'une conversation sur  les bienfaits de la balnéothérapie : "Les Français veulent prendre aux autres", et moi je réponds : tout à fait Thierry, tu as parfaitement raison, ça c'est typiquement français. Ne parlons même pas du fait que la proposition soit incorrecte grammaticalement, il en est beaucoup de très compréhensibles. Mais pas celle-là. Celle-là demande qu'on accepte une grille de lecture qui n'est pas de l'ordre du langage mais de l'idéologie.  En tout cas, prendre aux autres, c'est mal, dit l'invitée en substance. Parce que c'est du "ressentiment" ou de "l'envie sociale", selon la très probable disciple de Friedman et Hayek, "c'est à dire cette idée que, si l'autre va moins bien, vous irez mieux, même si vous n'en profitez pas directement. Et, malheureusement, on trouve souvent  ce genre de PENSÉE, de POLITIQUE, aux extrêmes, à gauche ou à droite".  Attention, elle n'a pas dit que les pauvres veulent se servir dans la poche des riches et que c'est très vilain, très sot  et que ça ne sert en plus à rien, elle l'a seulement fait comprendre. Elle n'a pas dit non plus que  la propriété privée est le dogme le plus sacré, le plus intouchable du libéralisme, non, elle l'a seulement suggéré.  

Donc, le propos de comptoir qui vient d'être tenu, serait une pensée solide digne de fonder une théorie politique ?  Je me retiens pour ne pas proférer les jurons qui me viennent à l'esprit et constate l'indigence profonde de ce moment, de l'idéologie manifeste, une fois de plus, de la part d'une personne d'évidence ultralibérale. Cette pensée, l'invitée l'appelle d'un coup "colère" à la phrase suivante, avec le qualificatif qui convient bien sûr :  "très malsaine. C'est-à-dire que c'est très mauvais pour une démocratie, eh bien, d'encourager ce genre de pensée, et puis même les transformer en politiques publiques, ça ne profite à personne, et ça peut conduire à des choses vraiment dommageables, l'histoire de France peut en témoigner aussi, la Terreur, c'était un peu ça". Plus j'entends la rhétorique libérale, plus j'ai l'impression d'un disque rayé, imposant à l'oreille une antienne sempiternellement répétée, censée accéder au statut de vérité  uniquement par la magie de la  répétition et de la force persuasive et pas du tout par son sens ou par l'argumentation qui la précède, totalement inexistante. Et ce depuis les débuts de la philosophie libérale, comme je l'ai montré ICI.  


Il y aurait quand même une colère légitime, dira Strauch-Bonart, "quand le système français semble ne pas réussir à faire passer certaines demandes du bas vers le haut, et c'est très problématique".  Alors, comment faire ? Le RIC, bien sûr, ce machin adopté par les gilets jaunes dont certains libéraux ont bien flairé la force du subterfuge. De la même façon qu'on s'arc-boute sur le suffrage universel qui n'empêche pas les forts de le rester, un peu de démocratie directe, comme en Suisse, calmerait un peu les Français sur deux ou trois sujets sans grande conséquence sur le trading à haute fréquence et la ruine, la misère ou le suicide d'un certain nombre de travailleurs. Avec le RIC, donc, ou encore "plus de parlement", "plus de contre-pouvoirs". La libérale joue ici une partie plus fine en apparence, mais en apparence seulement. Car, on ne voit pas ce que des changements dans le fonctionnement du Parlement, ou dans une plus grande décentralisation, apporte réellement au citoyen, si ce parlement comporte toujours autant d'inégalités en termes de représentation, ou si les citoyens disposent toujours d'aussi peu de marge de manoeuvre financière. Ils ne gagneraient rien, au contraire, ce serait à eux qu'on demanderait des comptes alors qu'ils ne décident pas de la manière de remplir leur porte-monnaie. On appelle ça de la poudre aux yeux, de la fumisterie, et c'est ce à quoi l'ultralibéralisme est passé maître, et la dame en est un vivant exemple. 


Et qu'en pense Werly ?  Pas très sûr que la décentralisation soit une bonne idée, car depuis qu'il bourlingue en France pour son métier, il constate qu'en discutant "avec les Français normaux, entrepreneurs et autres..." contrairement à ce que veut faire Mélenchon avec sa sixième République, "ils aiment les institutions,  l'élection du président de la république au suffrage universel, ils aiment l'idée d'avoir un chef, et ils aiment l'idée que le Parlement ça fonctionne..." Est-il vraiment sûr qu'il n'y ait pas, quelque part, un petit village de résistants attachés à ce que le Parlement ne fonctionne pas ? Sûr sûr ?  ON et ILS sont d'accord, tout va bien du côté des entrepreneurs et des gens normaux, mais quid des 7.7 millions de gens (au bas mot) qui en ont ras la casquette de cette mascarade, cet ersatz de pensée politique ? Quid des autres millions qui n'en ont plus rien à foutre de ces discours et qui ne votent pas ?  Et lui aussi s'engouffre dans l'idée du référendum, le référendum local en particulier, comme une "vanne" (la libérale avait parlé, quant à elle, de "soupape"). Plus de "projets publiques de proximité", "ça les remotiverait politiquement, ça leur  redonnerait un but immédiat", "ça ferait renaître les débats".  L'entourloupe commence à se dessiner plus clairement. Il ne s'agit pas de commencer de s'attaquer au fond de l'affaire sociale, comme voudrait le faire l'Union Populaire de Mélenchon, ou d'autres, mais de calmer la "colère" les velléités de ""désordre" du populo qui monte trop en chauffe : un thème archi-rebattu, là encore, par les libéraux, une ficelle utilisée et bien usée, que de lâcher ici ou là, dans les pires moments, un peu de lest pour tenir tranquille la populace. Par contre, attention, à partir du moment où on installe ce vote local, plus question de contester, nous dit  Werly. Hé hé, comme le suffrage universel, en somme : vous élisez un type qui affirme avec force "Mon ennemi c'est la Finance" et après, quand la Finance peut continuer ses petits jeux à haut rendement de pépètes parce que le prince, les fesses bien calées sur son trône, a déjà oublié toutes ces conneries, pas question de râler, sinon vous êtes un mauvais joueur, et ça, c'est mal. 

Ensuite, c'est parti pour la dernière charge ultralibérale de Strauch-Bonart, tout aussi éculée que les autres : "le citoyen français reçoit beaucoup en termes d'aide.." et la journaliste de lister elle-même, s'il vous plaît : "pour l'école, la santé, la culture.."  et l'invitée d'ajouter "les services publics, toutes les aides directes, les subventions".  Donc la journaliste souscrit, consciemment ou inconsciemment, au discours idéologique qui affirme que tout ce que les français réservent, avec leur PROPRE ARGENT, via leurs institutions, pour améliorer leur santé, leur  éducation, etc.. sont des AIDES. Là encore, il ne s'agit pas d'une pensée construite rationnellement, mais une pensée idéologique, factice, qui tronque la réalité au service de ses buts, ceux bien connus de l'effacement de l'Etat et de son remplacement par le puissant Marché. Et c'est parti pour un Français qui est "même un peu cocooné parfois" : Allez dire ça, madame, les yeux dans les yeux, aux millions de précaires, de chômeurs de longue durée, aux handicapés, aux retraités pauvres, bref, aux millions de gens qui ont du mal à vivre. Le problème n'est pas le nombre d'aides en soi. Oui, la France possède un système social plus protecteur que celui des Etats-Unis, et alors ? Est-ce un système qui permet de vivre une existence décente à l'ensemble de sa population ? Non et les aides,  ce n'est pas ce dont rêvent les gens, absolument pas. Une partie non négligeable de ceux qui sont éligibles au RSA ne le réclament pas. Pourquoi ? Parce qu'ils veulent vivre DIGNEMENT d'un travail. Les tenants de l'ultralibéralisme formulent leurs idées sans aucun compte de l'existence des hommes et des femmes et de leur réalité. Ils ratiocinent avec des outils idéologiques, pas du tout avec la raison, pas du tout avec des arguments rationnels.  En échange des   "aides", poursuit l'invitée, les citoyens accepteraient d'abandonner une partie de leurs droits politiques à l'Etat. Un raisonnement encore faussé, puisque primo,  son fondement, l'aide, n'est déjà pas recevable et secundo, il n'y aucun rapport entre les deux parties de la proposition. L'Etat coercitif privait de bien plus de droits ses habitants quand l'impôt universel ou toutes les aides n'existaient pas, l'argument est totalement dénué de fondement, il est seulement rhétorique.  Mais ce raisonnement fallacieux permet là encore de faire de l'Etat une bête immonde à abattre puisqu'il "s'immisce énormément dans nos vies", qu'il "nous appelle des administrés et qu'on travaille pour l'administration et pas le contraire"  : là encore, rhétorique ou conversation sur le zinc, on a le choix. Il ne s'agit pas ici de dire que l'Etat n'a pas besoin d'être critiqué, d'être pensé, mais il faut exposer la chose dans le cadre global du système politique et économique, sinon la chose n'a aucun sens. Car comment peut-on affirmer que les Français '"n'ont pas besoin de dépendre autant de l'Etat", dans une société où les inégalités se structurent dès la naissance de mille et une façons, où l'argent est le seul moyen de construire une vie matérielle, et alors même que sa redistribution est extrêmement injuste, puisque quelques centaines de familles possèdent près de la moitié de ce que possèdent des dizaines de millions d'autres ? Dans un tel système, seul l'Etat, justement,  permet de ne pas faire exploser la société. Et on voudrait qu'il disparaisse sans changer de système ? La belle affaire, en or massif pour les prédateurs de tout poil, qui, comme le fonds de pension américain BlackRock attend sagement de pouvoir un jour s'éclater la panse avec les retraites de nos petits vieux et qui susurre sa douce musique aux  oreilles du pouvoir. 

Ce que les ultra-libéraux réclament aux Français est tout bonnement criminel. Ils leur demandent d'accepter sans discuter la sujétion à un système qui enrichit de manière phénoménale les riches et appauvrit et fragilise de plus en plus sauvagement les plus faibles, qui voient leur espérance de vie diminuer.  C'est un scandale, une honte, un crime.  Mais ils n'en démordent pas. Ils font cela pour la "vivacité de la société civile, "pour que les gens soient libres dans leurs choix", continue la chef libérale, car "si les gens étaient plus indépendants de l'Etat, eh bien, l'espace des possibles serait beaucoup plus important" : Idéologie, encore et toujours, avec un flou total du discours, une logique nébuleuse entre des causes et des effets jamais clairement explicités. Et elle continue sur le même mode "L'économie a besoin de hasard, d'essais et d'erreurs, d'entrepreneurs un peu fous... " Vive la pluralité des décisions du marché contre "un Etat qui décide", comme si cette pluralité du marché conduisait à offrir pléthore de choix au citoyen, entre un journal et un autre appartenant tous les deux à un milliardaire, une énergie ou une autre appartenant à une multinationale qui ne cesse d'augmenter ses tarifs, entre une nourriture saine payée au lance-pierre à ses producteurs et une nourriture industrielle bon marché pleine de produits susceptibles de vous rendre plus gros ou malades... etc...etc...
Peu importe ce que la sacro-sainte économie libérale apporte en termes de malheurs sociaux, elle est un dogme absolu dans cette religion. C'est elle qui pose les conditions de la vie sociale, pas l'inverse,  alors que ce sont les attentes de la vie sociale qui devraient orienter le choix de tel  ou tel type d'économie. 

Plus son laïus avance, et plus le ton est détestable d'arrogance, qui veut que notre nature, si ancrée de "l'amour de l'Etat", il faudrait l'extirper, et nous convaincre de la "nocivité de cette pensée" pour parvenir à plus de libertés individuelles et collectives. 

La journaliste confirme le propos en revenant à une citation de l'ouvrage de Werny : "L'Etat nourricier nous a dénutri" : C'est la journaliste elle-même qui mâche le travail des invités, et par la forme qu'elle choisit, une nouvelle fois, elle entretient l'idée d'une connivence avec ses invités. C'est Werny qui termine ce tour de table avec des propos sur "la responsabilité" que doivent endosser les Français et surtout "qu'ils arrêtent de penser que l'égalité est l'objectif". Depuis des siècles, l'aristocratie libérale infantilise le petit peuple, qui doit arrêter de croire  à ses lubies égalitaires, il doit grandir, devenir raisonnable, donner la main à celui qui détient le savoir pour marcher dans ses pas.  Les tenants de la liberté vous donnent donc, Français, un impératif. Celui d'arrêter définitivement de croire qu'on peut éviter qu'il y ait des malheureux. Des millions de malheureux.  Car, poser  "l'égalité comme principe de base, quelque part, vous tuez tout", assène Werny.  Toujours pareil, aucun fait, aucune démonstration, seulement une injonction prophétique, sans queue ni tête.  "Il faut  accepter une forme d'inégalité".  Ce sujet est complexe, crucial dans la réflexion sur le progrès social, il ne peut être accepté ici tel quel, comme la conclusion d'autants de poncifs et de discours indigents. Entre accepter (en théorie) une différence qui n'empêche pas de vivre matériellement heureux, et un abîme qui sépare les pauvres des riches il y a des années-lumière de distance.


Pourquoi beaucoup de gens en France sont remontés contre les clercs, les "sachants" ?  Ou contre les  journalistes ? Parce que beaucoup commencent à comprendre qu'il ne suffit pas de faire de grandes écoles ou écrire des livres pour dire des choses intelligentes et réfléchies et que toute une palanquée d'intellectuels ne profère que des propos d'idéologues, déguisés en savants. Parce qu'ils commencent à comprendre que bon nombre de journalistes sont choisis pour être de bons défenseurs, de manière consciente ou non,  de la doxa ultralibérale, sans exercer sur elle un jugement éclairé, sans jamais leur opposer une ferme contradiction. 

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