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Billet de blog 18 juillet 2017

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La photographie d’Eikoh Hosoe, « Another language »

Les photographies des corps d’Eikoh Hosoe n’ont pas pour objectif de renforcer une corporalité japonaise à opposer à une corporalité occidentale ou autre. Le corps est engagé tout entier, qu’il soit d’ici ou de là-bas. Il est un territoire infini, un véhicule de la pensée du photographe mais aussi de celle des spectateurs.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

           Eikoh Hosoe, est l’un des tenants de la photographie de l'intime. Dans les années 70 le récit par la photographie n'est plus de mise. Le corps individuel, charnel va l’intéresser et sera présent dans l’ensemble de son travail. Partir de cela va à l’encontre des préoccupations de la société japonaise, qui sont celles liées au corps familial, au corps d’entreprise ou bien encore au corps syndical. C’est-à-dire tout sauf le propre corps en tant que matière, en tant que vie ayant sa propre unicité.

      Sa série Man and Woman, ou Otoko al Onna (1959-1960) dans sa langue maternelle, évoque ce point de départ, cet ancrage que le photographe a pris et cette lutte qu’il a entrepris, par et avec le corps, souvent photographié nu. Il passe ici par des corps individuels, deux corps de danseurs, et les « capture » dans toute leur sensualité. Ivan Vartanian, spécialiste des livres de photographies japonaises, s’exprime au sujet de cette série : “Hosoe n’a pas centré son propos sur le désir sexuel entre deux individus, mais plutôt sur l’énergie universelle que véhicule la sexualité”. Hosoe part bien d’histoires et de corps individuels, mais c’est une lutte universelle qu’il souhaite effleurer, celle de la survie face au passage du temps, celle de l’énergie vitale plus simplement.  Lorsqu’il réalise ce travail photographique, le Japon se trouve dans ses années « post » bombes atomiques. Nagasaki et Hiroshima ont alors détruit la société et ses corps. Les nus, sortant de l’esprit du photographe apparaissent comme un lieu paisible, constructif, voire réparateur. Ils sont comme des pansements posés sur les plaies de la société japonaise. Chaque étreinte faîte apparaît comme une victoire sur la mort.

     Cette représentation très libérée proposée par Eikoh Hosoe est en partie due à des raisons historiques. Lorsque ce dernier commence la photographie, le Japon sort d’une défaite difficile à accepter, celle de la Guerre du Pacifique. Le mythe de l’empereur se trouve de plus à sa fin, accentué par l’occupation américaine qui durera sept années. Cette ère qui s’achève pour la société japonaise ouvre la porte à des personnes comme Hosoe, pour explorer des nouvelles approches et un nouveau langage artistique. L’expérimentation et la liberté seront les mots les plus fréquents pour décrire sa démarche photographique. Après les bombes, le monde, les corps sont à reconstruire, tout est alors possible pour lui. Dans Navel and the Atomic Bomb (1960), Hosoe représente le corps dans tous ses états sans utiliser de narration. Les corps eux, sont mis en scène. Eux seuls ont et sont une histoire. Cette série comme beaucoup d’autres, comme Etreintes (1971) par exemple, nous positionne, nous en tant que corps témoins, spectateurs, dans un univers onirique, fictionnel qui permet de se connecter à nos pensées intérieures profondes et ancrées.

Son style est qualifié de « révolutionnaire baroque ». Outre cette appellation purement liée à l’intellect, ses photographies surprennent, déstabilisent et rompent avec nos grilles de lecture que l’on peut dresser sur la vie, sur les autres qui nous entourent et sur notre propre corps. Par ses photographies, c’est comme si tout était à (re)découvrir : la peau, sa texture, ses plis et ses formes apparaissent comme des entités étrangères et connues à la fois. 

Je vous invite à découvrir ses clichés !

Bibliographie 

Walter Benjamin, L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Allia, Petite coll, 2011, 96 pages 

Bernard Bernier, « Présentation. Le Japon, la modernité et l’anthropologie ». Anthropologie et Sociétés, vol. 22, n°3, 1998, p. 5-12.http://www.erudit.org/revue/as/1998/v22/n3/015555ar.pdf  

Chie Nakane, La société japonaise, A.Colin, 1974, 199p

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