Le 9 octobre dernier, Mediapart saisissait la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada) pour savoir quels étaient les « 210 débits de boisson, 15 lieux de culte, 12 établissements culturels et associatifs et quatre écoles » soupçonnés de dérives religieuses « séparatistes » et fermés par l’administration pour des entorses à diverses normes. Ce décompte avait été rendu public fin août par Marlène Schiappa, ministre déléguée à la citoyenneté, mais son ministère refusait d’entrer dans le détail.
La réponse fut aussi rapide que décevante. Dans un avis adopté le 10 décembre (lire ci-dessous) et notifié le 7 janvier, la Cada estime que cette liste est bien assimilable à un document administratif, mais fait partie de ceux qui ne sont « communicables qu’à la personne intéressée ».
« Ne sont pas communicables aux tiers les documents ou mentions de documents relatifs à un comportement dont la divulgation serait susceptible de nuire à son auteur.
Entrent dans cette catégorie, les documents qui mettent en évidence un manquement à la réglementation ou infligent une sanction administrative (voir par exemple CE, n° 392711, 21 octobre 2016 à propos des lettres de l’inspection du travail ; CE, n° 421615 3 juin 2020 à propos de la liste des entreprises sanctionnées pour non-respect de l’égalité salariale entre femmes et hommes).
Ainsi, à supposer que la liste sollicitée existe, ce qu’elle n’est pas en mesure d’apprécier faute de réponse de l’administration, la commission ne pourrait qu’émettre un avis défavorable à la demande. »

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Comme le souligne la présidente suppléante de la Cada, Marie-Françoise Guilhemsans, le ministère de l’intérieur ne s’est même pas donné la peine de répondre à sa demande.
Depuis que le projet de loi contre le « séparatisme » est en préparation, le gouvernement vante la politique volontariste mise en place à partir de 2018. Avec l’installation des cellules départementales de lutte contre l’islamisme et le repli communautaire (Clir), les préfets sont invités à user de leurs pouvoirs de police pour sanctionner, par des moyens détournés, des personnes ou des lieux (commerces, associations, écoles, lieux de culte, clubs de sport) soupçonnés de « séparatisme », quel que soit le sens du terme.
Sur la base de signalements adressés aux autorités par les services de renseignement ou par d’autres acteurs (Éducation nationale, élus, associatifs), il s’agit pour l’administration de déclencher des contrôles de toute nature, sans invoquer la dimension religieuse mais en cherchant une faille dans laquelle s’engouffrer. Une entorse aux normes d’hygiène et de sécurité, au droit du travail, au droit des étrangers, ou le non-paiement des impôts et cotisations sociales (CAF, Urssaf, etc.) permettent de motiver une fermeture administrative ou un redressement.
D’après le dernier bilan établi par le ministère de l’intérieur, en décembre 2020, 394 structures qualifiées de « séparatistes » ont été fermées, à l’issue de 16 741 contrôles.
Faute de savoir quels établissements ont fait l’objet de ces mesures, il est impossible d’effectuer un travail journalistique sérieux : contacter les responsables des lieux fermés, s’y rendre, analyser les motifs invoqués, voir dans quelles conditions ils ont pu rouvrir ensuite. Bref, confronter la communication aux faits.
Comme nous l’écrivions en octobre, seules certaines de ces fermetures ont fait l’objet d’une communication gouvernementale explicite. C’est le cas de plusieurs établissements scolaires comme l’école MHS, dans le XIXe arrondissement de Paris. Ou, plus récemment, de neuf mosquées et salles de prières.
Dans un dossier de presse élaboré en octobre (lire ci-dessous), le ministère de l’intérieur semblait enclin à donner quelques exemples : des bars à chicha à Agen, dans l’agglomération d’Orléans ou au Pontet (Vaucluse), un magasin de cannabidiol à Saint-Brieuc, une « mosquée non-déclarée » à Poussan (Hérault), un cabinet de médecine prophétique à Noisiel (Seine-et-Marne), etc.

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Tous ont été fermés pour des motifs de droit commun mais contrôlés sur la base d’un soupçon de « séparatisme », sans que les personnes ou organismes sanctionnés ne puissent s’en défendre. La plupart ne sont même pas au courant qu'ils figurent dans cette liste. Si la Cada se montre extrêmement prudente sur la capacité de « nuisance » d’une telle information, la communication gouvernementale a de beaux jours devant elle.