
A écouter ou lire les éditoriaux de la presse française, on ne sait plus si on doit rire ou pleurer. Notre Conseil fédéral passe pour un groupe de tristes personnages à l'âme sournoise qui complotaient depuis des semaines contre un cinéaste brillant (donc forcément innocent) dans le but de négocier des remises sur facture après la débacle de la banque helvétique aux Etats-Unis, l'UBS. C'est en substance ce qu'affirmait Christophe Barbier dans son édito à l'Express. Bien que je n'ai pas eu l'occasion d'écouter France Culture ces derniers matins, je mets ma main (... gauche... pas fou....) à couper qu'Alexandre Adler y est aussi allé de son petit couplet...
Affirmer de telles niaiseries est faire preuve d'une méconnaissance crasse du système politique et judiciaire helvétique. Imaginer qu'un Conseiller fédéral puisse faire pression sur la justice afin de procéder à l'arrestation de Roman Polanski confine au ridicule. La Conseillère fédérale en charge de la justice, Eveline Widmer-Schlumpf n'a été avisée que le soir précédent l'arrestation. Pascal Couchepin, Conseiller fédéral qui s'occupe notamment de la culture s'est même retrouvé très embêté: il venait de boucler la laudatio du réalisateur invité à Zurich lorsqu'il a appris la nouvelle, le jour même. De son côté, Micheline Calmy-Rey en charge du département de l'extérieur regrettait "un manque de finesse" de la part de nos autorités judiciaires. Notre première diplomate s'est toutefois fait rapidement remettre à l'ordre par un Couchepin droit dans ses bottes : "Je ne vois pas quelle finesse on aurait pu introduire. Dans le droit, les choses sont claires", a confié le ministre au Temps de ce jeudi premier octobre. Ces petites chamailleries démontrent bien une chose: nos Conseillers fédéraux ne semblent pas suivre un plan bien établi. Peut-être serait-il de bon ton de rappeler également que la Suisse procède à la séparation des pouvoirs politiques et judiciaires, séparation dont on oublie un peu les fondements de l'autre côté de la frontière ?
.L'arrestation de Roman Polanski par les autorités suisses résulte du fait qu'il existe un accord d'extradition entre la Confédération helvétique et les Etats-Unis. Pourquoi ne pas l'avoir coffré plus tôt, alors ? Le réalisateur possède un chalet à Gstaad et s'y rend régulièrement. Il semblerait que cela résulte du fait que Polanski avait expressément annoncé sa visite à l'avance... en réclamant auprès des autorités une escorte... Il a été servi sur ce point précis ! Il faut également rappeler que les accords d'extraditions sont réglés par une législation des plus complexe. Il faut notamment que le délit pour lequel est recherché un suspect soit reconnu comme tel dans le pays où l'on procède à l'arrestation. En clair : si la Suisse avait voté contre l'imprescriptibilité des crimes sexuels l'année dernière, la situation aurait été complexe. Il aurait alors fallu savoir si oui ou non Roman Polanski pouvait bénéficier du droit à l'oubli. D'un côté les faits remontent à près de 30 ans. Mais d'un autre, l'action en justice a toujours été maintenue. Quoi qu'il en soit, la question ne se pose plus puisque la Suisse a rejoint la position des Etats-Unis en matière de criminalité sexuelle.Si, pour Polanski comme pour les fraudeurs du fisc américain, l'heure des comptes semble avoir sonné, ce n'est qu'un hasard de calendrier.
Guillaume Henchoz