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Billet de blog 16 septembre 2009

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Le supplice de Madoff

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C'est une vieille histoire qu'on se racontait quand on était gamin. Dans une auberge toute pourrie trois voyageurs (aux nationalités diverses et dépendantes de vos humeurs du moment) demandent chacun une chambre. L'aubergiste leur rétorque qu'il a bien trois turnes à leur proposer, malheureusement ces dernières sont infestées de fourmis. Pas grave, les pérégrins sont bien content de dormir au chaud. Ils paient et montent pioncer. Le lendemain matin. deux d'entre eux se retrouvent au petit déj'. Ils n'ont pas fermé l'oeil de la nuit. Les fourmis ne leur ont accordé aucun répit. Le troisième larron les rejoint bien plus tard, frais comme un glardon. Comment est-ce possible. N'a-t-il pas été lui aussi victime des fourmis ?

- Oh non, j'en ai chopé une, l'ai écartelée et laissée bien en vue de ses congénères qui ne m'ont pas dérangé de la nuit, explique-t-il à ses petits camarades, incrédules.

Avec les fourmis, je ne sais pas mais avec les humains, ça marche très bien. Michel Foucault nous le rappelle dans Surveiller et punir. Avant la révolution, la justice royale avait développé une gamme de peines assez croquignolesques. L'emprisonnement était peu courant et réservé à des personnes de la haute qui pouvaient allonger une pension. Les individus tombant sous le coup de la loi étaient généralement condamnés à des peines qui relevaient du châtiment physique. Passons rapidement sur les développements du philosophe qui voyait dans l'administration de la peine un moment particulier de l'exercice du pouvoir royal. En contrevenant à la loi, c'est au roi lui-même que les individus s'opposaient. Le rituel du supplice permettait de rétablir l'ordre perturbé, l'équilibre. Les supplices n'ont toutefois pas disparu. Ils ont toujours cours dans certains pays. Ici l'adultère mène à la lapidation, là le vol à la perte de la main qui a commis le larcin. Mais à priori, cela n'arrive pas chez nous. Nous sommes des personnes civilisées et nous avons des prisons pour enfermer nos criminels. nos bandits, nos assassins et nos escrocs. Je pense pourtant qu'un pays qui colle 150 ans à un criminel en col blanc n'a rien à envier à un royaume du Moyen-Orient qui pratique encore la lapidation.

Bernard Madoff, car c'est bien de lui dont il s'agit, a, pour ainsi dire, passé sa vie à arnaquer les gens. Le journal Le Temps recense près de 1341 victimes. Le montant global de la facture s'élève à près de 65 milliards de dollars, autant d'argent que le financier aura fait perdre à ses clients. Madoff inaugure une nouvelle figure de la criminalité en col blanc : le serial-escroc. Bernard Madoff est devenu le Hannibal Lecter de la finance. Respect. Comme les tueurs psychopathes (enfin... ceux des séries), il a fini par se faire serrer. Verdict: le septuagénaire est condamné à un siècle et demi d'emprisonnement. Ce type de peine me semble renouer avec l'ancienne justice royale sur deux points au moins.

Tout comme le supplice, la peine s'affranchit de la vie du condamné. Dans le cas du supplice, un rituel extrêmement codifié s'applique au corps de l'individu. Le supplice est en fait souvent une succession de différents sévices corporels qui correspondent à certains types de transgression légale. Un exemple: une personne condamnée pour lycanthropie, viol et meurtre se verra passée au supplice de la roue avant d'être écartelée puis brûlée. Gageons que le malheureux aura déjà défunté à la fin du premier round. Qu'à cela ne tienne, le processus continue et l'ordre n'est rétabli qu'à la fin du rituel. Les 150 ans incompressibles que se paie Madoff relèvent du même paradigme: peu importe s'il meurt avant la fin de sa peine, La somme de ses crimes est estimée à ce chiffre-là. On aurait pu penser qu'il fût condamné à la prison à vie, mais non. L'économie de la peine ne prend pas en compte la vie humaine dans son calcul.

La justice royale pouvait se prévaloir d'une certaine cruauté, d'une violence dans son administration qui choquerait à présent. Elle était d'autant plus violente que les mailles du pouvoir n'étaient pas aussi resserrées que de nos jours. Il était auparavant plus facile d'échapper à la justice, si bien que, quand on chopait un criminel, c'était un peu la fête. Je ne peux pas m'empêcher de penser que c'est également le cas dans le procès de Madoff. Non content de représenter le "bad guy", le grand méchant à cause de qui on se prend une crise financière dans les dents, Bernard Madoff est un des seuls financiers sur lequel on a un dossier béton ... à charge. Celui-là va payer pour ceux qui sont passés entre les mailles du filet de la justice. Comme dans l'histoire des fourmis, on le cloue au pilori en espérant que ça effraie un peu les autres. Après tout ça marche bien dans les histoires pour divertir les petits enfants...

Guillaume Henchoz


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