Carine Fouteau (avatar)

Carine Fouteau

Journaliste, présidente et directrice de la publication de Mediapart

Journaliste à Mediapart

31 Billets

5 Éditions

Billet de blog 2 octobre 2024

Carine Fouteau (avatar)

Carine Fouteau

Journaliste, présidente et directrice de la publication de Mediapart

Journaliste à Mediapart

Liberté de la presse : le Royaume du Maroc perd en cassation contre Mediapart

Impliqué dans l’affaire Pegasus, l’État marocain, qui avait porté plainte en diffamation contre Mediapart et Edwy Plenel pour avoir affirmé qu’il avait espionné notre journal, a été définitivement débouté et même condamné à nous verser des frais de procédure.

Carine Fouteau (avatar)

Carine Fouteau

Journaliste, présidente et directrice de la publication de Mediapart

Journaliste à Mediapart

Pour faire diversion à l’affaire Pegasus, dans laquelle il est impliqué, le Royaume du Maroc avait porté plainte en diffamation contre Mediapart et son fondateur Edwy Plenel, alors directeur de la publication. Il nous reprochait d’avoir affirmé qu’il avait espionné notre journal. La manœuvre a échoué : la Cour de cassation vient de le débouter définitivement et de le condamner à nous verser la somme de 2 500 euros. 

Ce faisant, la juridiction la plus élevée de l’ordre judiciaire français confirme la décision de la cour d’appel de Paris, datée du 12 avril 2023, ainsi que celle de la 17e chambre du tribunal correctionnel, prononcée le 25 mars 2022. Celle-ci avait déclaré la plainte irrecevable en ce qu’elle méconnaissait l’une des règles les plus élémentaires du droit de la presse en France, qui interdit à un État de poursuivre en diffamation.

« Un État étranger est irrecevable à agir en diffamation publique envers un particulier, que ce soit en son nom propre ou pour le compte de ses administrations publiques dépourvues de la personnalité morale », rappelle la Cour de cassation dans son arrêt du 10 septembre 2024. « En droit interne comme au sens de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la liberté d’expression est une liberté fondamentale qui garantit le respect des autres droits et libertés, et les atteintes portées à son exercice doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi », insistait, pour sa part, le tribunal correctionnel. 

Nous ne pouvons que nous réjouir de l’aboutissement en France de la procédure, pour laquelle nous avons été défendus par Mes François de Cambiaire et Emmanuel Tordjman. Selon L’Informé, le royaume chérifien envisagerait une saisine devant la Cour européenne des droits de l’homme, ce qui peut paraître cocasse de la part d’un pays classé au 129e rang du classement sur la liberté de la presse réalisé par Reporters sans frontières. Cocasse, si les enjeux démocratiques n’étaient pas si graves. 

Car ne nous y trompons pas, cette plainte attentatoire à la liberté de la presse n’a eu d’autre but que de faire taire. Pas seulement Mediapart, mais l’ensemble de la profession puisque plusieurs titres ont été poursuivis, parmi lesquels Le Monde, France Info, France Inter, France Culture et L’Humanité. En nous attaquant devant la justice, l’objectif du Royaume du Maroc était de faire contre-feu à ce que révélait l’affaire Pegasus : dans un article du 19 juillet 2021, Mediapart apprenait à ses lectrices et ses lecteurs que les numéros des téléphones portables de Lénaïg Bredoux (aujourd’hui codirectrice éditoriale) et d’Edwy Plenel figuraient parmi les dix mille numéros que les services secrets du Maroc avaient infectés, en 2019 et 2020, en utilisant le logiciel espion fourni par la société israélienne NSO. « Pendant plusieurs mois, l’appareil répressif du royaume chérifien a ainsi violé l’intimité privée de deux journalistes, porté atteinte au métier d’informer et à la liberté de la presse, volé et exploité des données personnelles et professionnelles », écrivions-nous, tout en annonçant notre intention de saisir la justice. 

Dans ce scandale d’espionnage d’envergure internationale, révélé le 18 juillet 2021 par Forbidden Stories, Amnesty International et seize médias, le Royaume du Maroc n’était pas le seul État pointé du doigt. Au moins dix autres pays à travers le monde étaient mis en cause pour avoir utilisé, sans le moindre contrôle, le logiciel espion surpuissant commercialisé par NSO pour obtenir des renseignements sur des membres de la société civile : des journalistes, des opposants de tel ou tel régime ou des activistes. Et, parfois, des diplomates, des magistrats, des avocats, voire des hommes et femmes politiques de premier rang.

La plainte que nous avons déposée le 19 juillet 2021 auprès du procureur de la République de Paris, au nom de notre journal, de Lénaïg Bredoux et d’Edwy Plenel, a donné lieu à l’ouverture d’une enquête judiciaire confiée à un juge d’instruction. Alors que nous déplorons le manque de réaction des autorités françaises, nous sommes attentifs au devenir de la procédure. Une telle atteinte aux libertés fondamentales, menée par une puissance étrangère à l’égard d’un journal indépendant, ne peut pas rester impunie. Et nous soutenons nos consœurs et nos confrères marocains : les agissements du Royaume du Maroc à notre égard ne peuvent que nous alerter sur le sort qui leur est réservé dans leur pays.