Oui les journalistes se battent pour entrer dans les centres de rétention administrative (CRA) et les zones d’attente (ZA). Non pour y être enfermés (ah ah – voir les commentaires à mes précédents billets et articles sur le sujet par exemple ici et là), mais pour enquêter ! Un projet de décret que Mediapart a pu consulter vient détailler les modalités d’accès de la presse à ces lieux où sont privés de liberté des étrangers pour défaut d’autorisation d’entrée ou de séjour sur le territoire.

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Ces dispositions, prises en application de la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France, sont le résultat de plusieurs années de bras-de-fer avec l’administration, qui, jusqu’à présent, s’efforçait d’être la plus discrète possible sur les conditions de vie des personnes retenues.
Elles s’inscrivent dans le cadre d’une campagne européenne, Open Access, lancée en octobre 2011 notamment par le réseau Migreurop, demandant aux États européens d’ouvrir les portes de ces structures aux journalistes et aux activistes. Les premiers ont finalement été entendus, les seconds toujours pas.
L’article 4 de la loi concerne les zones d’attente, où sont orientées les personnes lorsqu’elles débarquent en France, le plus souvent par la voie aérienne. L’article 28 les centres de rétention, où sont dirigés les étrangers en situation irrégulière vivant depuis un certain temps sur le territoire et dont l’absence de papiers a été révélée à l’occasion d’un contrôle d’identité.
Tout d’abord le décret en préparation prévoit que les journalistes ne puissent être refoulés des zones d’attente, des centres de rétention et des locaux de rétention s’ils accompagnent un parlementaire. « Le responsable (des lieux) ne peut s’opposer à l’entrée de journalistes titulaires de la carte d’identité professionnelle (…) accompagnant un député, un sénateur ou un représentant au parlement européen élu en France que pour des motifs impératifs liés au maintien de l’ordre et de la sécurité publique. »
Dans cette configuration, jusqu’à cinq journalistes peuvent être présents, dont deux utilisant du matériel de prise de vue ou de son. Alors que les établissements pénitentiaires prévoyaient déjà une disposition de ce type, ce n’était pas le cas pour les lieux d’enfermement des étrangers. Il m’est ainsi arrivé à deux reprises de rester à la porte d’un CRA (Mesnil-Amelot et Vincennes), malgré les demandes formulées par les élus que j’accompagnais.
Le décret respecte le droit à l’image des personnes retenues et du personnel. « Lorsque les productions des journalistes sont de nature à permettre l’identification des étrangers, des personnels et des intervenants dans les zones d’attente, ceux-ci doivent consentir par écrit à la diffusion ou à l’utilisation de leur image ou de leur voix », indique-t-il. « Un mineur ne peut être filmé, enregistré ou photographié qu’avec l’autorisation conjointe des titulaires de l’autorité parentale ou représentants légaux », précise-t-il. « Dans tous les cas, les journalistes devront veiller à ce qu’aucun élément concernant l’identité ou la personnalité qui permettrait d’identifier les mineurs ne soit, de quelque manière que ce soit, révélée. »
Ensuite, les journalistes peuvent obtenir une autorisation pour entrer de manière autonome. Pour cela, ils doivent s'adresser à l’autorité administrative compétente (jusqu’à présent, il n’existait aucune procédure, si bien que les demandes restaient sans réponse), à savoir le préfet de département (le préfet de police à Paris). Tout refus d’accès devra désormais être motivé. « Les journalistes ont accès, dans le respect des règles sanitaires et de sécurité, aux locaux accessibles aux personnes maintenues ainsi qu’aux locaux mis à disposition des intervenants, avec l’accord de ces derniers », indique le texte. Aucune salle, donc, ne devrait échapper au radar des journalistes.
En revanche, l’accès à la parole des étrangers est problématique, puisqu’il dépend de la bonne volonté du responsable. « La possibilité pour les journalistes de s’entretenir avec les personnes maintenues en zone d’attente est subordonnée à l’autorisation du responsable ou de son représentant et, s’agissant d’un mineur, des titulaires de l’autorité parentale ou représentants légaux », souligne le décret qui précise que les journalistes pourront s'entretenir avec les personnels présents : le responsable des lieux, le chef des services de contrôle aux frontières (en zone d'attente) et, lorsqu’ils sont présents, avec les agents de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), ainsi qu’avec les administrateurs ad hoc chargés d’assister les mineurs et les représentants agréés du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (en zone d'attente). Ils pourront également échanger avec l’équipe médicale, sous réserve du respect du secret médical, et avec les représentants des associations habilitées à accéder à ces zones.
Cette nouvelle possibilité pour les journalistes de faire leur travail correspond davantage à un rattrapage qu'une avancée par rapport à une situation d'opacité qui portait atteinte non seulement à la liberté d’information – consacrée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme – mais aussi à la liberté d’expression des personnes retenues – prévue à l’article 551-2 alinéa 3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers.