Face à l’un des plus grands scandales de violences scolaires que la France ait connus, plutôt que d’affronter ses responsabilités, le premier ministre se mue en victime et s’attaque au messager.
Lors de son audition devant la commission d’enquête parlementaire, où il a été interrogé cinq heures durant mercredi 14 mai, François Bayrou, en plus de torpiller le pouvoir législatif et une lanceuse d’alerte, s’en est pris frontalement et à répétition à Mediapart, à l’origine des mises en cause les plus graves à son égard.
Après trois mois de déni et de mensonges, que nous avons factuellement et patiemment documentés (voir notre dossier), il a poursuivi sur sa lancée, en accusant à tort notre journal – qu’il affirme ne pas lire « par hygiène mentale » – d’avoir publié des informations qu’il n’a pas publiées. « Je considère qu’il y a dans Mediapart beaucoup de déformation de la réalité et beaucoup de diffamation », a-t-il asséné, en nous imputant un délit, alors même qu’il a admis avoir renoncé à porter plainte contre notre journal pour ne pas servir « ceux qui portent le scandale ».
En donnant la parole aux (vraies) victimes et en enquêtant sans relâche sur les responsabilités des uns et des autres, Mediapart n’a fait que remplir la mission qui est la sienne : publier des informations d’intérêt général en visibilisant des témoignages silenciés et en plaçant celles et ceux qui auraient pu arrêter la machine à broyer face à la réalité de leurs actes. Que cette commission ait été créée et que le premier ministre doive s’y présenter devant la représentation nationale ne fait qu’apporter la preuve de l’impact de notre travail.

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Ce travail, nous l’avons réalisé, comme toutes nos enquêtes, honnêtement, en respectant scrupuleusement les règles déontologiques qui régissent notre profession. Parmi celles-ci, le secret des sources, bien sûr, mais aussi le respect du contradictoire, comme le reconnaît François Bayrou quand il se vante de ne pas avoir répondu à notre « questionnaire ». Ce qu’il omet de dire, c’est que nos questions, outre qu’elles lui donnaient la possibilité de s’expliquer, auraient dû l’alerter sur la nature des faits reprochés et lui permettre d’éviter de se perdre en dénégations devant les député·es, comme il l’a fait le 11 février en déclarant imprudemment n’avoir « jamais été informé de quoi que ce soit, de violences, ou de violences a fortiori sexuelles. Jamais ».
Contrairement à ce qu’il suggère, nous ne prétendons être ni « une autorité de la République », ni « la Bible et les Prophètes ». Nous ne nous prenons ni pour des juges ni pour des saints. En revanche, nous revendiquons haut et fort, ne lui en déplaise, notre rôle de contre-pouvoir. Notre seul credo, pour reprendre le lexique religieux dont il s’est gargarisé de manière problématique lors de son audition, c’est la vérité des faits. Donner aux citoyens et aux citoyennes des informations sur les décisions prises en leur nom, voilà le cœur de notre mission démocratique.
En publiant des enquêtes qui dérangent celles et ceux qui nous dirigent, Mediapart ne s’attend pas à recevoir en retour des brassées de roses. Si la réprobation du premier ministre nous honore plutôt qu’elle ne nous offusque, nous considérons, à l’ère de la post-vérité insufflée par les régimes autoritaires, que ses attaques sont dangereuses pour la liberté d’informer. Au moment où Donald Trump, à la tête de la première puissance économique et militaire mondiale, dénigre les journalistes, qu’il qualifie d’« ennemis du peuple », à l’heure où « la démocratie meurt dans l’obscurité », le premier ministre de la France gagnerait à se distinguer en défendant la liberté de la presse, et plus précisément la liberté d’enquêter, y compris quand elle s’exprime à ses dépens.
Attaquer le messager pour éviter d’affronter le message : cette stratégie dilatoire de discrédit n’a pas toujours été la sienne. En 2008, François Bayrou soutenait la création de Mediapart en défense d’une « information crédible ». L’année suivante, dans son livre Abus de pouvoir, il saluait le « récit très documenté » de l’un de nos cofondateurs. Ce revirement pourrait amuser s’il n’était symptomatique d’un autre déni, démocratique celui-là, qui intervient au pire moment, celui où plus que jamais les dirigeant·es des régimes démocratiques ont une responsabilité, celle de ne pas perdre la boussole du droit de savoir.