Le racisme, qu’il prenne la forme d’un propos ou d’un écrit, d’un geste ou d’une caricature, qu’il se revendique comme une injure ou se pare des atours d’un supposé humour, n’est pas une opinion mais un délit puni par la loi du 1er juillet 1972, qui transpose dans la législation française les principes de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Tout comme le sexisme, il est prohibé par la loi sur la liberté de la presse de 1881, pourtant pilier de la liberté d’expression en France.
Agrandissement : Illustration 1
À un moment où une internationale fasciste, qui fait de l’inégalité entre les êtres humains la pierre angulaire de son idéologie, amplifie son emprise sur le monde, nous dénonçons avec la plus grande fermeté les effluves esclavagistes et colonialistes qui suintent du dessin que Riss a consacré, dans les colonnes d’un hors-série de Charlie Hebdo, à notre consœur Rokhaya Diallo.
Depuis octobre 2025, cette journaliste, réalisatrice et chercheuse à l’université Georgetown (Washington) aux États-Unis, autrice de plusieurs livres et documentaires de référence sur le racisme, le féminisme et la justice sociale, tient une chronique antiraciste mensuelle sur Mediapart. Déjà en 2015, elle avait animé, pour notre journal, six numéros de l’émission « Alter-égaux ».
Que la plume qui a conçu et réalisé ces traits soit celle du directeur du journal satirique lui-même redouble la stupéfaction : le message haineux prend la force de ligne éditoriale assumée.
Face à ce dessin, qui l’associe à la chanteuse et résistante Joséphine Baker, ceinture de bananes à la taille, se déhanchant devant des hommes blancs hilares, la journaliste Rokhaya Diallo, a fustigé, dans un billet sur Instagram, un journal qui « se montre incapable de confronter les idées d’une femme noire sans la réduire à un corps dansant, exotisé, supposément sauvage, serti de ces bananes qu’on lance à la figure des personnes noires qui osent se présenter dans la sphère publique ». « Ce dessin hideux vise à me rappeler ma place dans la hiérarchie raciale et sexiste », a-t-elle ajouté, soulignant par la même occasion le « manque de respect pour madame Joséphine Baker ».
Sur X, le journal, dont la rédaction a été la cible d’un attentat islamiste meurtrier perpétré par les frères Kouachi le 7 janvier 2015, se défausse à propos de ce dessin. Ce dernier illustre un article intitulé « Rokhaya Diallo, la petite fiancée de l’Amérique », publié dans un supplément sur « les fossoyeurs de la laïcité ». « Chacun pourra ainsi lire que nous y dénonçons les positions de l’essayiste contre la loi de 1905, qu’elle a toujours condamnée en lui préférant la culture communautariste américaine », affirme Charlie Hebdo. « Y voir une référence raciste est une manipulation [à laquelle] elle nous a malheureusement habitués », assure-t-il, en accusant notre consœur d’assigner « chacun à son origine ethnique et religieuse, contre l’universalisme républicain ».
Au déni s’ajoute ainsi l’inversion de la responsabilité, dans une stratégie de défense classique de celles et ceux qui, au nom d’une vision frelatée de la laïcité, sèment les graines de la division et du rejet. De son côté, Rokhaya Diallo a souligné que « la référence à Joséphine Baker [est] précisément ce qui est raciste », rappelant qu’il n’y a « aucun lien » entre elle et la chanteuse franco-américaine, entrée au Panthéon en 2021, près de cinquante ans après sa mort.
De l’humoriste Waly Dia, également chroniqueur à Mediapart, à la dessinatrice Pénélope Bagieu, en passant par des représentant·es politiques de LFI, des Écologistes et du PS, de nombreuses personnalités ont exprimé leur soutien à notre consœur. Parmi elles, l’ex-garde des Sceaux Christiane Taubira, victime elle aussi d’innombrables attaques racistes, dont une caricature, publiée en 2013, titrée « Maligne comme un singe, Taubira retrouve la banane ». Le journal avait été condamné en appel, à la suite d’une plainte déposée par SOS Racisme, la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) et le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP). Il s’agissait de Minute, qui a fini par disparaître en 2020, et dont la ligne éditoriale d’extrême droite ne se cachait pas derrière un prétendu universalisme.