Pour tenter d’effacer les traces de la première guerre génocidaire menée en direct sur les réseaux sociaux, Israël élimine les uns après les autres les journalistes palestinien·nes, qui, jour après jour, risquent leur vie sous les bombes, pour recueillir des témoignages et des images qui font le tour du monde.
« Au rythme où l’armée israélienne tue les journalistes dans la bande de Gaza, il n’y aura bientôt plus personne pour vous informer » : Mediapart s’associe pleinement au message d’alerte lancé ce lundi 1er septembre par Reporters sans frontières (RSF) et l’ONG de cybermilitantisme Avaaz. Soutenue par plus de 150 médias, parmi lesquels +972 Magazine (Israël/Palestine), Local Call (Israël), Al Jazeera (Qatar), Daraj (Liban), L’Orient Le Jour (Liban), The Independent (Grande-Bretagne), The New Arab (Grande-Bretagne), Forbidden Stories (France), L’Humanité (France), Le Soir (Belgique), InfoLibre (Spain), RTVE (Espagne), Frankfurter Rundschau (Allemagne), Der Freitag (Allemagne), Intercept Brasil (Brésil), Media Today (Corée du Sud), New Bloom (Taïwan), Photon Media (Hong Kong), Le Desk (Maroc) et La Voix du Centre (Cameroun), cette action (lire le communiqué) vise à rappeler que le droit de savoir des citoyen·nes, partout sur cette planète, est en jeu.
Alors que les médias internationaux sont empêchés par Tel-Aviv d’accéder à Gaza depuis le 7 octobre 2023, et face à la propagande israélienne, les journalistes palestinien·nes sont essentiel·les à la recherche de la vérité des faits.
« Ensemble, nous dénonçons le meurtre des journalistes par l’armée israélienne dans la bande de Gaza. Ensemble, nous demandons aux autorités israéliennes de permettre un accès indépendant de la presse internationale dans la bande de Gaza », déclarent les médias participants, dont la solidarité se traduit par des pages entièrement ou partiellement noires en une des journaux, des bannières sur les sites d’information en ligne et des messages audio ou vidéo diffusés par les radios et les chaînes de télévision.
« À huit jours de l’ouverture de la 80e Assemblée générale des Nations unies, nous exigeons une action forte de la communauté internationale afin de stopper les crimes de l’armée israélienne contre les journalistes palestiniens », ajoutent-ils, dans la lignée de l’appel signé en juin et auquel Mediapart s’était joint.
L’été a été particulièrement meurtrier pour la profession. Dans la nuit du 10 au 11 août, l’armée israélienne a tué six journalistes dans une frappe ciblée et revendiquée contre le correspondant d’Al Jazeera Anas al-Sharif (lire notre article et le parti pris d’Edwy Plenel). Ce crime collectif a été assumé par l’affirmation de l’armée israélienne, assortie d’aucun début de preuve, qu’Anas al-Sharif aurait été un chef de cellule du Hamas.
Ces derniers jours, encore, le bombardement de l’hôpital Nasser de Khan Younès, le principal établissement de santé du sud de la bande de Gaza, a fait, le 25 août, au moins vingt morts, dont cinq journalistes : Hussam al-Masri, qui travaillait pour Reuters comme caméraman, Mariam Abou Dagga, photojournaliste qui collaborait avec Associated Press, Mohammad Salama, employé par la chaîne qatarie Al Jazeera comme photojournaliste et caméraman, Moaz Abou Taha, le correspondant de la chaîne états-unienne NBC, et Ahmed Abou Aziz, reporter indépendant qui collaborait avec le média numérique Quds Feed. Journaliste pour le quotidien palestinien Al-Hayat Al-Jadida, Hassan Douhan a été tué le même jour alors qu’il se trouvait dans une tente de déplacé·es dans le village d’Al-Mawasi à Khan Younès.
Depuis février 2024, Mediapart s’efforce de montrer les visages de ce carnage qui dépasse le décompte de 200 journalistes tué·es. En accès libre, notre panoramique a été mis à jour, à la suite des dernières vagues de décès.
Selon des données militaires israéliennes obtenues par le quotidien britannique The Guardian, le média israélien Local Call et notre partenaire +972, l’offensive à Gaza a fait au moins 83 % de morts civils.
Les journalistes palestinien·nes sont les yeux et les oreilles de ces victimes de la guerre. C’est pour cette raison que l’armée israélienne, au mépris du droit international, cherche non seulement à les éliminer, mais à les éliminer au plus vite en les visant expressément.
Outre RSF, qui a déposé quatre plaintes auprès de la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes de guerre commis par l’armée israélienne, la question du ciblage est abordée frontalement par Forbidden Stories et Forensic Architecture, notamment dans son rapport sur le meurtre de la photoreporter Fatma Hassona. Disparue le 16 avril 2025, cette photojournaliste dont Mediapart a publié un portfolio est au centre d’un documentaire de Sepideh Farsi, Put Your Soul on Your Hand and Walk, à voir au cinéma à partir du 14 septembre. Ses photographies et quelques-uns de ses poèmes sont rassemblés dans un livre, Les Yeux de Gaza, publié le 24 septembre aux éditions Textuel, avec le soutien d’Amnesty International et Mediapart.
Cette insupportable hécatombe doit cesser. Il en va de la liberté d’informer, pour le présent et l’avenir. Tuer des journalistes revient à faire disparaître des preuves. Sans elles et sans eux, il deviendra plus difficile, voire impossible, de documenter la famine, les deuils, les destructions. Sans elles et sans eux, l’anéantissement du peuple palestinien se poursuivra, sans que ne nous parviennent plus les appels au secours de celles et ceux, qui, encore parfois, nous fixent au travers des objectifs et, ce faisant, nous interpellent sur nos responsabilités.

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