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Billet de blog 1 janvier 2025

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Milei continue les attaques contre les Centres de Mémoire

Le gouvernement argentin vient de fermer le Centre culturel de la Mémoire Haroldo Conti. Le secrétaire aux droits de l'homme, Alberto Baños, a annoncé aux travailleurs le 31 décembre par WhatsApp, que le Conti fermait et qu'ils ne devaient pas aller travailler à partir du 2 janvier. Les travailleurs dénoncent qu’ils continuent à recevoir des télégrammes de licenciement.

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Le message de Alberto Baños est arrivé vers 14 heures le 31/12  : « Le Secrétaire aux droits de l'homme informe tout le personnel du Centre culturel Haroldo Conti qu'il sera fermé à partir du 2 janvier 2025, ceci afin d'assurer une restructuration interne adéquate, la reconstitution des équipes de travail et l'analyse de la programmation pour l'année à venir. Le personnel est en « garde passive » (sic) à leurs domiciles respectifs, attentif aux appels qui seront émis par étapes ».

Selon le journal Tiempo Argentino, Ana González, travailleuse du Conti et déléguée de ATE (Association des Travailleurs de l’État), a déclaré que pendant 2024, le Centre culturel « a fonctionné sans direction ni budget », que la programmation « était exclusivement à la charge des travailleurs » et que la seule chose que Baños a fait à l'égard du Conti « a été de censurer le Séminaire international sur les politiques de la mémoire il y a deux mois ». « C'est ainsi que nous terminons l'année, en annonçant que le Conti est fermé pendant tout le mois de janvier et que nous ne savons pas ce que nous allons trouver en février », a conclu González.

L'annonce des nouveaux licenciements intervient après que le ministre de la justice, Mariano Cúneo Libarona, a laissé sans emploi quelque 2 400 travailleurs embauchés dans le cadre d'un accord avec l'organisme de coopération ACARA, dont plus de 400 font partie du Secrétariat aux droits de l'homme. L'Entité ACARA, qui collecte l'argent pour l'immatriculation et le brevetage des voitures, paye les salaires des employés embauchés en dehors de l'Administration Publique Nationale. Les syndicats dénoncent qu'il s'agit des licenciements déguisés, sans versement des indemnités correspondantes.

Illustration 1
Mobilisation devant la ex-ESMA

Ces attaques ont donné lieu à plusieurs affrontements avec les travailleurs. Vendredi 27 décembre dernier, des organisations de défense des droits de l'homme, des travailleurs et des organisations politiques et sociales ont embrassé symboliquement l'Espace de mémoire et de droits de l'homme Ex Esma pour protester contre les licenciements au Secrétariat des droits de l'homme et le démantèlement des politiques publiques liées à la mémoire, à la vérité et à la justice par le gouvernement de Javier Milei. Paradoxalement, ce même jour, les Grands-mères de la place de Mai annonçaient la récupération du 138e petit enfant approprié par la dictature.

L’ex ESMA et le Centre Culturel Haroldo Conti

Déclarée patrimoine mondial de l’Unesco en 2023, L'ESMA (Escuela de Mecánica de la Armada) fut un centre de torture emblématique devenu « musée de la mémoire ». Cet immense parc arboré abrite l'ancienne École supérieure de formation des sous-officiers de la Marine, une trentaine de bâtiments utilisés comme centre de détention et d’extermination sous la dictature (1976-1983), le plus important de l'époque.

Enlevés clandestinement, les disparus étaient d'abord emmenés dans la cave située sous le salon doré, lieu de planification des enlèvements : une salle mal éclairée et subdivisée en cellules, équipées pour les séances de torture. C’est dans ces lieux de mort qui ont transité, de mars 1976 à novembre 1983, quelque 5 000 « disparus », beaucoup d’entre eux jetés vivants dans la mer par les tristement fameux « vols de la mort ». Seulement une centaine des séquestrés ont survécu et ont pu témoigner de l’horreur.

En 2004, le président Néstor Kirchner répond à l'extraordinaire mobilisation, menées depuis 1977 par des mères et grands-mères de « disparus » et lance le projet de ce centre. Mais il a fallu attendre plus de trois ans pour que la Marine argentine accepte de quitter les locaux. Les organisations des droits de l'homme ont œuvré à la réhabilitation de ces lieux, transformés en lieu de mémoire.

Le Centre culturel Haroldo Conti, du nom du célèbre écrivain argentin, « disparu » en 1976, occupe l'un des bâtiments de l'ESMA. Il a été inauguré le 31 mai 2008 et dirigé par l’écrivain et militant Eduardo Jozami (1) (1939 -2024) jusqu’à 2015. Le « Conti » est devenu un espace de rencontre et de réflexion sur l'histoire argentine et latino-américaine, sur la mémoire et pour la défense de la démocratie en accueillant des spectacles de théâtre et de danse, des concerts, des festivals, des ateliers, des conférences, des projections, des récitals de poésie et des visites d'étudiants.

Selon une enquête de l'Association des travailleurs de l'État (ATE), depuis le début de l'année, le Secrétariat des droits de l'homme a subi plus de 800 licenciements dans des secteurs clés, ce qui pourrait entraîner la paralysie des anciens centres de détention clandestins devenus lieux de mémoire, de la Commission nationale pour le droit à l'identité (CoNaDi) et des Archives nationales de la mémoire, entre autres sites. En même temps, selon eux, près de soixante mille contrats dans l'ensemble de l'administration publique arrivent à échéance dans les prochains jours.

Les travailleurs des Sites de Mémoire (Olimpo, Atlético, Orletti et Virrey Cevallos) ont appelé jeudi 2 janvier à « accompagner les travailleurs dans leur entrée à l'ancienne ESMA. « Face aux licenciements massifs au Secrétariat des Droits de l'Homme et au Ministère de la Justice, à la destruction des politiques des Droits de l'Homme et à la fermeture imminente des Sites de Mémoire, nous avons besoin du soutien de tous pour continuer à défendre notre Mémoire collective et les politiques qui la préservent », ont-ils déclaré au journal Página 12.
Pour sa part, la direction du syndicat de travailleurs du Ministère de la Justice a publié un communiqué appelant au rassemblement devant la porte du siège du Secrétariat des Droits de l’Homme, dans l'ancienne ESMA, jeudi 2 janvier à 10 heures, « afin d'entrer tous ensemble et de tenir une assemblée unifiée. Ensuite, nous nous rendrons au ministère en bus pour rejoindre le reste des organisations pour protester contre l’ensemble des attaques du gouvernement Milei".

Ceux qui vantent en France la soi-disant réussite économique du « Trump de la Pampa » « oublient » de mentionner la destruction du tissu social, de l’État de droit et social argentin que provoque sa politique de haine, répressive et réactionnaire. « Je suis la taupe qui détruit l’État de l’intérieur » déclarait Milei dans un de ses discours. Les élections intermédiaires de cette nouvelle année 2025 permettront de voir si son plan réussi. Tout dépendra de la volonté politique d’une opposition toujours divisée et surtout de la capacité des Argentins de se mobiliser massivement. A suivre...

1- Eduardo Jozami, "2922 jours", Editions du Pont 9

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