
Cette salle, dotée de 40 places, inaugurée par l’ambassadeur argentin Leonardo Costantino, - avec la présence de Paula Vázquez, directrice des Affaires Culturelles de la Chancellerie Argentine - fait partie du réseau international de l’INCAA (Institut national du cinéma et des arts visuels). Le public présent a largement débordé sa capacité et a beaucoup apprécié la décoration de la salle réalisé par Eduardo Carballido, également responsable de la Galerie Argentine. La ministre Carolina Ghiggino, chargée de la culture à l’ambassade, a beaucoup œuvré pour que cette salle puisse exister grâce au soutien de la Direction des Affaires Culturelles et de l’INCAA.

Après les discours, un court métrage sur le cinéaste Fernando « Pino » Solanas fut projeté. Cinéaste, intellectuel, militant politique, Ambassadeur en charge de la Délégation Argentine auprès de l'UNESCO à Paris, Pino Solanas est décédé la nuit du vendredi 6 novembre 2020 après plusieurs semaines d'hospitalisation dues au coronavirus.
Argentina, 1985, l’histoire émouvante du combat pour juger les crimes de la dictature argentine.
Argentina, 1985, de Santiago Mitre (auteur remarqué d’El Presidente) reconstitue les cinq mois d’enquête de l’avant-procès, pendant lesquels des milliers de témoignages de victimes ont été recueillis, à travers tout le pays. Grâce au film, on revit le procès lui-même, retentissant, historique, qui a duré d’avril à août 1985.

Le film se concentre sur la figure du procureur Julio Strassera - porté par Ricardo Darín - qui a mené à bien l'accusation contre les dirigeants de la dernière dictature militaire (1976-1983), dont Jorge Rafael Videla, Emilio Eduardo Massera, Orlando Ramón Agosti, Roberto Viola et Leopoldo Galtieri, pour crimes contre l'humanité. Il était secondé par Luis Moreno Ocampo – porté par Peter Lanzani. Jamais dans l'histoire du monde, un tribunal civil n'avait jugé une junte militaire.
Strassera, aidé d'une équipe de jeunes avocats, s'est attaché à démontrer la mise en œuvre d'un plan systématique d'enlèvements, de tortures et de disparitions de dissidents dans le but de mettre fin aux organisations « subversives ». Les autorités judiciaires ont fait face à des menaces, des pressions politiques et au regard suspicieux d'une partie importante de la société qui n'était pas informée de ce qui s'était passé dans les dizaines de centres de détention clandestins du pays.
Le témoignage de Adriana Calvo - joué par Laura Paredes - survivante et cofondatrice de l'Association des Ex Détenus Disparus (AEDD) agit dans le film comme un tournant pour la société argentine, qui ne pouvait plus fermer les yeux sur l'horreur de ce qui s'était passé dans les camps de concentration de la dictature. Elle est la personne qui a fait dire à la mère de Luis Moreno Ocampo : "J'aime (Jorge Rafael) Videla, mais vous avez raison : il doit aller en prison". Cette femme, qui allait à la messe avec le dictateur, n'a pas apprécié que son fils, un trentenaire issu d'une famille de militaires, se lance dans l'accusation des membres des trois premières juntes qui ont exercé un pouvoir de vie et de mort.
Toutefois, sa perception a changé lorsqu'elle a lu dans un article du journal La Nación le calvaire qu'Adriana Calvo avait vécu depuis son enlèvement en février 1977 et comment elle avait donné naissance à sa fille Teresa dans une voiture de patrouille en marche alors qu'elle était transférée - les yeux bandés et menottée - d'un centre clandestin à un autre. À ce moment-là, Adriana a également fait une promesse : si elle et sa petite fille vivaient, elle ne cesserait pas un seul jour de réclamer justice.
Adriana Calvo (décédée en 2010) est devenue la première survivante à témoigner devant le tribunal fédéral de Buenos Aires, qui jugeait les neuf commandants. Sa déclaration, vive et précise, a réussi à faire taire les avocats de la défense qui, quelques minutes auparavant, harcelaient le journaliste Robert Cox, ancien rédacteur en chef du « Buenos Aires Herald » et l'un des rares rédacteurs en chef à avoir osé publier les dénonciations des organisations de défense des droits humains pendant les années de terrorisme d'État.
Les commentaires d’un juge de l’époque
Ricardo Gil Lavedra, ancien membre du tribunal qui a mené le procès des juntes, a donné son sentiment sur le film Argentina, 1985 et a avoué qu'"il est bien fait, attrayant et bien situé dans l'époque", même s'il a admis qu'"il est possible que les scénaristes aient voulu le dépolitiser un peu, car il est destiné à être un produit commercial".
Lors d'une interview accordée à IP Noticias, l'ancien juge fédéral a rappelé le procès des juntes militaires et a déclaré qu'à l'époque "nous étions tous derrière le 'Plus jamais ça' et le oui à la démocratie". "Beaucoup nous ont demandé si nous allions terminer le procès. Nous avions peur que cela devienne incontrôlable", a-t-il admis. Gil Lavedra se souvient que "lorsque j'avais devant moi Videla et tous ceux que nous devions juger, j'étais un peu curieux de savoir ce qui leur passait par la tête. Certains vous regardaient d'un air de défi et avec des gestes provocateurs, comme Massera et Viola, et d'autres baissaient la tête avec soumission".
Sur le rôle que le film donne aux juges, il a déclaré que "le tribunal était l'architecte du procès. Beaucoup de gens se demandent comment un procès aussi monumental a pu être mené à bien en si peu de temps". "Le film est un hommage approprié, parce que l'accusation est extraordinaire...Je n'ai que des éloges à faire, ainsi que pour le travail des procureurs qui ont formé une grande équipe", a-t-il souligné.
Le contexte actuel
Argentina,1985 de Santiago Mitre est devenu un succès au box-office malgré le boycott des grandes chaînes de cinéma locales et le fait que le pays traverse, comme d'autres parties du monde, une période de forte polarisation dans laquelle la révision des événements des années 1970 et 1980 est devenue un terrain de dispute politique.
De nombreux parents contemporains du procès historique de la junte militaire trouvent dans ce film l'occasion de sensibiliser leurs enfants à un événement fondateur pour la démocratie argentine après l'une des dictatures la plus féroce d'Amérique latine et que bizarrement le cinéma local n'avait pas abordé si précisément.
Depuis sa première, fin septembre, Argentina, 1985 a été vu par plus de 900 000 spectateurs, ce qui en fait le début cinématographique le plus réussi de ces deux dernières années au niveau national, malgré le fait qu'il ne s'agit que de projections dans des salles indépendantes.
Le public n'a pas non plus cessé de le voir sur grand écran, malgré le fait qu'il soit déjà disponible sur la plateforme de streaming Amazon Prime Video. On peut regretter que ce document historique d’une grande valeur ne voit jamais de distribution dans les salles françaises, le géant Amazon et sa plateforme ayant une exclusivité sur ce film produit par leurs studios. La force des mots du procureur Strassera à la fin du procès, aurait sans nulle doute résonné plus fort dans une grande salle obscure.

Le film Argentina, 1985 a récemment été choisi par l'Académie des arts et des sciences cinématographiques d'Argentine comme candidat à l'Oscar du meilleur film international. Le cinéma argentin a déjà reçu deux statuettes pour La historia oficial (1986) et El secreto de sus ojos (2010), des films qui traitent aussi de la violence politique des années 1970. Mais elle survient à un moment où émergent des groupes d'extrême droite enracinés dans la jeunesse et qui revendiquent les actions des forces armées, remettent en cause le chiffre de 30 000 disparus rapporté par les organisations de défense des droits humains.
Selon Conrado Yasenza, journaliste, directeur/rédacteur de La Tecl@ Eñe. : « Argentina, 1985 devient un film très nécessaire car il intervient à un moment politique complexe où le négationnisme semble avoir gagné trop de terrain politique en même temps que l'avancée des groupes d'ultra-droite qui, comme pendant la dictature civico-militaire, émergent pour soutenir un régime capitaliste de plus en plus inhumain et vorace dont le langage et les pratiques, tant en dictature qu'en démocratie, sont ceux de la mort. Et c'est également nécessaire si nous pensons à ceux qui sont nés en démocratie, car si la mémoire historique n'atteint pas les jeunes, elle se cristallise et s'arrête. En ce sens, le film est une mémoire en mouvement et en débat, non pas un patrimoine définitivement conquis mais un territoire en dispute, en tension; et les faits le démontrent. »

J’ai attendu cette projection à l’ambassade car je voulais voir le film avec du public et partager l’émotion que plusieurs passages ont suscité parmi les présents. J’ai versé quelques larmes et elles ont rejoint celles de ma nièce Solana, une belle et sensible trentenaire qui m’a écrit après avoir vu le film à Buenos Aires :
« Je voulais te dire qu'hier je suis allée voir 1985, j'ai adoré, j'ai pleuré pendant tout le film, et vous étiez tous très présents, ma belle, noble et courageuse famille. »