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Billet de blog 4 septembre 2024

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Un avocat d’extrême droite nommé à la tête de la Maison de l’Argentine à Paris

Santiago Muzio, avocat franco-argentin est aussi l’associé de Marion Maréchal Le Pen dans son « école » de formation ISSEP. Il participera le jeudi 5 et vendredi 6 septembre à la « Rencontre régionale du Forum Madrid », l’internationale de l’extrême droite, organisée à Buenos Aires.

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L'avocat franco-argentin Santiago Muzio était présent en octobre 2023 à l'hôtel Libertador, où Milei avait installé son bunker. Muzio fait partie de l'Institut de Sciences Sociales, Economiques et Politiques (ISSEP) de Madrid, une initiative conjointe avec Marion Maréchal, petite-fille de Jean-Marie Le Pen ; un espace sponsorisé par VOX, le parti d’extrême droite espagnol. « Il y a sept ans, un texte de Muzio avait suscité un grand intérêt parmi les secteurs ultra conservateurs d'Argentine lorsqu'il avait écrit : « Tous les musulmans ne sont pas des terroristes, mais tous les terroristes sont des musulmans ».

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Santiago Muzio et Marion Maréchal © Infobae

« Notre objectif n'est pas de formater les intelligences pour qu'elles aient une vision unique, comme c'est le cas dans les systèmes totalitaires », explique Santiago Muzio au journal argentin Infobae dans une interview sous forme de questionnaire écrit. En ce qui concerne sa biographie, Muzio explique : « Je suis franco-argentin. Un étrange mélange de mondes à la fois très proches et très différents. Avocat en France et en Argentine, je suis marié et père de cinq enfants. De par ma formation et mon expérience professionnelle, j'essaie depuis longtemps de créer des liens entre le monde hispano-américain et la France. »

Il estime dans ce même interview que les universités d'Europe occidentale sont devenues « un champ de bataille idéologique » où « les théories importées des États-Unis, telles que le néo-féminisme, les questions de genre ou l'immigration, prospèrent ».

Bien qu'il nie sa relation avec VOX, son message coïncide sur plusieurs points : « La classe dirigeante actuelle en Europe occidentale ressemble à une caste. Il faut du sang neuf dans les élites », affirme Muzio. Il dénonce une « persécution » contre la communauté chrétienne dans le monde. « Je suis catholique et la situation de mes frères et sœurs chrétiens, souvent réduits au silence, me préoccupe ».

Muzio répète le discours de Marion Maréchal qui s'attaque à « la dictature du politiquement correct, de la mondialisation et du multiculturalisme » tout en revendiquant l'identité des régions, les racines chrétiennes du continent et en mettant en garde contre « l'islamisation dangereuse » des sociétés.

L'idée d'étendre l'école au-delà de la France, vers l'Espagne, est née de la rencontre de Marion Maréchal avec Gabriel Ariza, l'un des stratèges en communication de VOX. Ce journaliste est l'un des confidents du leader du parti d’ultra droite espagnol, Santiago Abascal. Un autre nom qui apparait sur la liste de professeurs à l'ISSEP est celui du communicant Kiko Méndez-Monasterio, également membre du cercle d'influence de VOX, jouant un rôle central dans les négociations pour la formation d'un gouvernement après les élections des communautés autonomes espagnoles de 2022 et 2023.

Réunion de l’internationale d’extrême droite

Selon les organisateurs, la IIIe réunion régionale du Forum de Madrid "Río de La Plata 2024", qui aura lieu les 5 et 6 septembre au « Palacio Libertad » (anciennement « Centro Cultural Kirchner », rebaptisé par Milei), réunira à Buenos Aires plus de 1 000 personnes pour assister aux différents panels auxquels participeront plus de 40 intervenants de 15 nations

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Santiago Abascal et Javier Milei © Infobae

Parmi les participants figurent les ministres argentins des Affaires étrangères et de la Défense Diana Mondino et Luis Petri ; Manuel Adorni, porte-parole de la présidence de la nation argentine ; Ernesto Araújo, ancien ministre des Affaires étrangères du Brésil et conseiller de l'Espace international de la Fondation Dissens ; José Antonio Kast, fondateur et président du Parti républicain du Chili ; l'écrivain vénézuélien Alejandro Peña Esclusa ; Hermann Tertsch, député européen et vice-président du groupe Patriotes pour l'Europe du Parlement européen ; José María Figaredo, secrétaire général du groupe parlementaire VOX ; Mark Klugmann, rédacteur de discours de Ronald Reagan ; et Alberto Benegas Lynch, président de la section des sciences économiques de la Académie nationale des sciences de Buenos Aires.

L'événement comprendra huit panels qui porteront sur des questions telles que l'importance de consolider les réseaux conservateurs entre l'Europe, les États-Unis et l'Amérique latine ; l'état de la guerre culturelle contre la gauche ; et l'engagement envers le droit d'Israël à exister et à se défendre.

La réunion soulèvera également des débats sur l'instrumentalisation de la justice par la gauche et les stratégies que les forces conservatrices doivent suivre avec Mike González et Andrew Olivastro de The Heritage Foundation.

Le président de la République argentine, Javier Milei, inaugurera les journées. Milei, signataire de la Charte de Madrid, sera le premier chef d'État en exercice à participer à une réunion régionale du Forum de Madrid.Le président de VOX et de la Fondation Disenso, Santiago Abascal, et Jorge Martín Frías, directeur de la Fondation et député européen, accueilleront le président Milei au « Palacio Libertad ».

Selon le programme, Santiago Muzio interviendra le jeudi 5 sur les « Dix mois de la gestion Milei : liberté et prospérité »…

La Maison de l’Argentine à Paris

La Maison de l’Argentine, inaugurée en 1928 est l’une des plus anciennes résidences de la Cité internationale de Paris. Elle est la première bâtie par le gouvernement d’un pays non francophone et jusqu’à 1933, la seule prévue pour accueillir des Latino-Américains. À cette époque, les universités et les grandes écoles françaises mettent en œuvre une politique de « diplomatie universitaire » dont l’objectif est de participer au rayonnement intellectuel de la France à l’étranger. Ainsi, la Maison de l’Argentine est un témoin des relations entre gouvernements et mondes universitaires argentins et français au long du XXe et XXIe siècle. Son histoire est affectée par les évolutions politiques et sociales en Argentine (le Péronisme, les dictatures militaires des années 1960-1970-1980, les mouvements sociaux de la fin des années 1960…) et le produit des intentions des plus hauts représentants des deux états.

Le mémoire de l’universitaire Nino Lima sur l’histoire de la Maison de l’Argentine sous le titre  « L’occupation de la Maison de l’Argentine à la Cité internationale » illustre l’importance de ce lieu pendant la révolte de mai 68.

« Au mois de mai 1968, alors que les mobilisations ouvrières et étudiantes prennent de l’ampleur partout en France, un groupe d’Argentins résidant à Paris, composé dans sa majorité d’artistes, décide d’investir et d’occuper la Maison de l’Argentine à la Cité internationale universitaire de Paris. Cette occupation, qui dure presque deux mois, a le caractère d’un double arrimage, à la fois au contexte de Mai 68 à Paris et à celui de la situation politique de l’époque en Argentine. Elle débute le 21 mai, alors que grèves dans les usines et manifestations étudiantes ont commencé depuis la fin du mois de mars, et se sont fortement amplifiées environ dix jours auparavant, et se termine mi-juillet. »

« Pour ce qui concerne le contexte argentin, elle est dans le prolongement de la lutte menée dans le pays par les opposants à la dictature du général Onganía, au pouvoir de 1966 à 1970. En effet, la Maison était à l’époque dirigée par un personnel directement nommé par le gouvernement, et dans des conditions qui rappelaient les doctrines du pouvoir militaire. Insistant sur le lien entre la direction de la Maison et le gouvernement, les occupants, au travers de cette mobilisation, visaient la dictature en Argentine. »

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Panneau mai 68 © Antonio Seguí

« Les occupants s’installent au rez-de-chaussée et organisent un atelier de fabrication de pancartes avec des « textes revendicatifs, utopiques », le tout dans une ambiance de « campement pacifique, improvisé, bon enfant ». Ils construisent un panneau avec le nouveau nom de la Maison, « Pavillon Che Guevara », qu’ils installent à l’entrée et Antonio Seguí et Roberto Matta, aidés par Mario Gurfein, peignent sur une façade du bâtiment la représentation d’un militaire, s’envolant de son cheval, celui-ci se tenant debout, appuyé sur une patte, en équilibre, au-dessus d’un piédestal. La peinture peut représenter le général San Martín, héros de l’indépendance du pays, une déformation de la statue du général sur son cheval installée en 1960 dans le Parc Montsouris, juste en face de la Maison. Il peut aussi s’agir du général Onganía, aucune source ne nous permettant de trancher entre ces deux hypothèses… »

Depuis le retour de la démocratie en Argentine en 1983, plusieurs directeurs et directrices sont passé par « la Maison ». Je me souviens de quelques uns.es comme Diana Saiegh, Nora Hochbaum, Alejandra Birgin, Marcelo Balsells, Miguel Angel Estrella (décédé en 2022) et Francisco Benito qui ont fait un travail remarquable et laissèrent aux résidents des bons souvenirs. Seul bémol, le directeur nommé par Mauricio Macri, Juan Manuel Corvalan Espina, qui en 2018, après avoir expulsé plusieurs résidents et licencié l’administratrice, avait prohibé un rassemblement en faveur de la loi pour l’IVG en Argentine. En réaction, la maison a été prise d’assaut par les résidents et finalement évacuée par la police.

La communauté argentine en France est très préoccupée par la nomination d’un représentant de l’extrême droite comme directeur de cette historique Maison qu’on appelle tous « la Casa » et à laquelle nous sommes très attachés. Les résidents ont-ils raison de s’inquiéter des persécutions et des censures probables ? Que deviendront les activités culturelles, tables rondes, concerts, expositions, programmées par les responsables actuels ?

La nomination de Santiago Muzio à Paris est bien le parfait reflet de la politique d’extrême droite menée par Javier Milei en Argentine.

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