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Billet de blog 10 avril 2024

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La défense de l’éducation publique s’organise contre les attaques de Javier Milei

L’ensemble de la communauté éducative argentine a appelé à une grande marche le 23 avril contre les attaques de Javier Milei à l’éducation. Classes de philo dans les rues de Buenos Aires, grèves et manifestations, certaines fortement réprimées, se déroulent cette semaine en défense de l’éducation publique et contre l'augmentation exorbitante du coût de la vie.

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Le 9 avril, étudiants, enseignants, chercheurs, travailleurs universitaires, et autorités académiques, ont manifesté à la Faculté des sciences exactes et naturelles de l’Université de Buenos Aires pour rejeter l'ajustement budgétaire que le gouvernement national applique à ce secteur comme à d’autres. "Face au désengagement des universités nationales, nous embrassons le bâtiment « Cero + Infinito » en défense de l'éducation publique et de la science argentine", a déclaré le doyen de la faculté, Guillermo Durán. Il a estimé que "plus de 2 500 personnes" ont participé à la manifestation contre "l'ajustement féroce des universités nationales et du système scientifique et technologique national".

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Etreinte symbolique devant la fac © Página 12

Le Centre des étudiants de la Faculté de philosophie et lettres (CeFyL) mènera également une série d'actions tout au long de cette semaine. Cette mesure est prise en collaboration avec toutes les autres facultés qui se trouveront sans ressources à partir du mois de mai. En outre, elle coïncide avec la grève de 48 heures et les journées de protestation convoquées par les syndicats du personnel enseignant et non enseignant des universités les mercredi 10 et jeudi 11 avril.

Des centaines d'étudiants ont assisté à des cours publics le mardi 9 avril dans la rue devant le bâtiment de la Faculté de la rue Puán 480, dans le quartier de Caballito. Plus de 100 classes se tiendront en public jusqu'au 13 avril entre 10h et 20h pour exiger une augmentation du budget afin de garantir l'année universitaire aux enseignants et aux étudiants. La communauté éducative dénonce le gel du budget de l'UBA par le président Javier Milei, mais aussi la perte de salaire du personnel enseignant, de près de 50%.

On se croirait dans le film -prémonitoire ?- « El profesor » dont le titre original « Puán » (du nom de la rue de la Faculté de Philosophie et lettres), est sortie en 2023 en Argentine, et réalisé par María Alché et Benjamín Naishtat. Le film, qui sortira en France début juillet, montre comment la crise économique provoque la fermeture de la faculté et les étudiants reçoivent les cours dans la rue dans une ambiance presque insurrectionnelle, confrontés à la répression policière.

Illustration 2
Classe de philo dans la rue Puán © Constanza Niscovolos

Les recteurs et les syndicats contre les coupes budgétaires

Les recteurs des universités nationales ont décidé de se joindre à l'appel à une grande marche nationale , mardi 23 avril, pour la défense du système de l'enseignement supérieur public et contre l'ajustement des fonds appliqué par le gouvernement. La mobilisation est organisée par les syndicats d'enseignants et de travailleurs non enseignants, ainsi que par les centres des étudiants, regroupés au sein de la Fédération universitaire argentine (FUA). Avec le vote unanime de tous ses membres, le Conseil National Interuniversitaire (CIN) a approuvé la participation à la manifestation qui aura lieu dans la ville de Buenos Aires et a exigé que l'envoi des ressources soit normalisé.

"Aujourd'hui, il est nécessaire que la société en général et la communauté universitaire en particulier se joignent à notre revendication. Il s'agit de la défense de la société argentine dans son ensemble qui, si elle veut résoudre ses problèmes structurels, doit donner la priorité à l'éducation publique qui nous rend libres et égaux, à l'éducation universitaire d'excellence et à l'investissement dans la science et la technologie", a déclaré le CIN. Le secteur universitaire compte 300 000 travailleurs, dont des enseignants et du personnel non enseignant, et 2,5 millions d'étudiants.

Le syndicat des enseignants, CTERA, s'est déclaré préoccupé par les "mesures antidémocratiques" déployées par Milei. "Nous dénonçons la répression, la censure et la persécution qu'il exerce contre les enseignants". L'Argentine, rappelle le syndicat, n'a plus de Ministère de l'éducation mais un secrétariat qui avec d’autres, intègre le « Ministère du Capital Humain » visant à "détruire les écoles publiques" et à favoriser les écoles privées. Le gouvernement a lancé un programme de « vouchers » (bons éducatifs) pour soutenir les familles qui envoient leurs enfants dans des écoles en dehors du système public. "En plus de toutes les mesures d'austérité, de dégraissage, de précarité et de violation des droits, il y a maintenant la menace qui pèse sur les enseignants. Croire que lorsqu'un enseignant enseigne, il endoctrine, c'est manquer de respect non seulement aux enseignants, mais aussi aux élèves.»

A ce sujet, Alejandro Alvarez, le sous-secrétaire des politiques universitaires, du Ministère de Capital humain, , a envoyé le 21 mars au recteur de l’Université Nationale de La Plata, Martín Aníbal LÓPEZ ARMENGOL, la missive suivante :

« Je vous écris au sujet des ressources allouées à cette université pour un montant de 38.628.972.00, (l’équivalent de 38 000 euros) afin de couvrir les dépenses encourues pour la mise en œuvre du projet CENTRE UNIVERSITAIRE RÉGIONAL UNLP POUR LA MÉMOIRE ET LES DROITS DE L'HOMME (CREU UNLP - EX ESMA)... Vous êtes informé que la poursuite du financement est suspendue au motif qu'il s'agit d'un centre d'endoctrinement idéologique. »

Un bilan désastreux

Selon Laura Velasco, éducatrice, ancienne élue de l'Union pour la Patrie de la ville de Buenos Aires (opposition), « en seulement trois mois, Milei a retiré aux provinces le Fonds d'incitation à l'enseignement (FONID), ce qui représente une perte de 20 % des salaires, il a réduit le budget de l'éducation et en particulier le service de restauration scolaire, gelé le budget des universités, laissant les centres d'études au bord de la fermeture. Il a démantelé des programmes tels que « Conectar Igualdad », le « Plan national de lecture », le « Plan ENIA » pour la prévention des grossesses non intentionnelles chez les adolescents, l'éducation sexuelle complète, l'Institut national de formation des enseignants. Il a aussi proposé de modifier la loi nationale sur l'éducation 26206 dans le style de Bolsonaro contre l'"endoctrinement", ce qui constitue une censure explicite de la liberté académique... »

Alberto Benegas Lynch, député de la province de Buenos Aires pour le parti au pouvoir « La Libertad Avanza », a remis en question le rôle de l'État et a proposé que les parents décident si les enfants doivent aller à l'école. Dans une interview radiophonique il a déclaré : "Je ne crois pas à l'enseignement obligatoire. C'est la responsabilité des parents. Vous voulez donner à votre enfant ce qu'il y a de mieux". Il a ajouté : "Il arrive souvent dans les exploitations agricoles, surtout en Argentine, que l'on ne puisse pas se permettre d'envoyer son enfant à l'école parce qu'on a besoin de lui dans l'atelier avec le père qui travaille et qu'on ne peut pas l'envoyer à l'université". Vu le tollé provoqué par ses propos, le président lui même s’est vu dans l’obligation de s’exprimer : «c’était une expression malheureuse »…

L'enseignement public obligatoire garanti par l'État est une loi promulgué en 1884 sous le gouvernement de Julio Argentino Roca (1843-1914), et à la suite promu par le président Domingo Faustino Sarmiento (1811- 1888) et l’éducatrice Juana Manso (1819-1875), directrice de la première école mixte en Argentine, qui ont œuvré pour l'inclusion des filles dans l'enseignement primaire gratuit et laïque. Les politiques publiques soutenues par les différents gouvernements ont permis à l'Argentine d'avoir, en cinquante ans, le taux de scolarisation le plus élevé et le taux d'analphabétisme le plus bas d'Amérique latine.

Ce n'est qu'en 2006 que la loi nationale 26206 a étendu l'enseignement obligatoire à l'enseignement préscolaire et secondaire. Cette même année a été crée l'ESI (Programme national d'éducation sexuelle intégral) qui a permis d’éviter l’éloignement des filles de l’enseignement dont les principales raisons sont les tâches familiales et les grossesses non désirées. Le plan ENIA (Plan national de prévention des grossesses involontaires) a été lancé sous le gouvernement de Mauricio Macri en 2017, approfondi sous l'administration d'Alberto Fernández et pourrait maintenant disparaître. Il est un modèle en Amérique latine pour ses résultats : en cinq ans, il a permis de réduire le taux de fécondité des adolescentes de 49 à 27 %.

« Concernant les garçons, la principale raison d’absentéisme est qu'ils partent à la recherche d'un travail afin d'aider leur famille sur le plan économique. Face à ce problème, alors que plus de la moitié de nos enfants pauvres ne parviennent pas à terminer leur scolarité, la proposition de Milei est de consolider cette exclusion et cette pauvreté en tant que "liberté", explique Laura Velasco dans son article du 9 avril sur le site « Info Pais ».

Cette semaine l’opposition s’organise pour voter la nullité du DNU (Décret de nécessité et d’urgence) à la Chambre des députés, déjà rejeté au Sénat. Un nouveau bras de fer que doit affronter le gouvernement pendant que le président Milei est en voyage à Miami où il sera reconnu comme "Ambassadeur international de la lumière" par la communauté ultra-orthodoxe juive, Habad Loubavitch. Il rencontrera également Elon Musk, le propriétaire de Tesla et du réseau social X, un lot de consolation après le refus du président Biden de le rencontrer. La tournée de Javier Milei s'achève, avec une brève escale dimanche 14 à Paris, au Danemark, pays qui a réussi à se débarrasser des F-16 obsolètes achetés par l'Argentine.

Le gouvernement négationniste de Javier Milei persiste et signe.

Le 24 mars, journée Nationale de la Mémoire, la Vérité et la Justice, des centaines de milliers d’argentins ont commémoré le 48e anniversaire du dernier coup d’Etat dans les rues de la capitale et dans tout le pays. Le même jour, le gouvernement d'extrême droite diffusait une vidéo où deux sinistres personnages s'évertuaient à nier le chiffre consensuel des 30 000 disparus.

Le 2 avril, utilisant les cérémonies en l'honneur des soldats tombés pendant la guerre des Malouines (2 avril 1982), le président a revendiqué le rôle des forces armées appelant « à la réconciliation », insinuant l’inclusion des militaires condamnés pour crimes contre l’humanité dans cette "réconciliation". 

Javier Milei continue d’appliquer par décret une politique d’ajustement sauvage provoquant plus de 15000 licenciements de fonctionnaires dans les organismes publiques, ainsi que des fermetures d’usines, augmentant le chômage et envoyant dans la misère des couches importantes de la population. Pendant qu'une épidémie de dengue sans précédent s'abat sur le pays, le gouvernement délègue la responsabilité des soins de santé au libre marché. Entre-temps, une partie de l’opposition réclame la destitution de Javier Milei pour « rupture constitutionnelle, démantèlement de l'État, dénationalisation des ressources stratégiques, privatisation des biens sociaux des Argentins et négation des crimes contre l'humanité".

(Pour plus d'information: www.dekrypt.ar )

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