La salle Jorge Luis Borges était pleine. Mille invités avaient pris place deux heures avant le début de la présentation dans l’espace de la « Sociedad Rural », le lieu emblématique de l’oligarchie argentine, ou se tient tous les ans le Salon du Livre (1 180 000 visiteurs, 477 exposants sur 45 5000 m² d’exposition). Entourée de la présidente du Salon et de son éditeur, Crisitina Kirchner a parlé pendant 34 minutes de son livre.

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Des écrans géants ont été installés à l’extérieur du salon et sur l'avenue Sarmiento. Sous une pluie torrentielle, des milliers de personnes ont suivi la présentation en scandant « nous allons revenir » et « Cristina présidente ». Le discours a été transmis par les principales chaînes de télévision, par de sites web sur youtube et regardé par des millions d’Argentins.

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En pleine crise économique, le succès du livre de l‘ex présidente est un phénomène sans précédent. Son discours a montré une femme apaisée, loin de la confrontation et centré, comme il se doit, sur les motifs qui l’ont amené a l’écrire. Aucune phrase n’indiquant qu’elle serait candidate mais beaucoup d’analystes s’accordent à qualifier l’événement comme une préparation à sa participation aux prochaines élections présidentielles. Les derniers sondages la donnent gagnante, soit au premier tour le 27 octobre prochain, soit au ballottage prévu le 24 novembre 2019 contre l’actuel président Macri, qui brigue -pour l’instant- un deuxième mandat.*
Le philosophe Ricardo Forster explique : "Le livre suppose un contraste, un clair-obscur avec Mauricio Macri, avec un gouvernement lié à la fable, au mensonge, à la construction d'une Argentine qui, bien que relatée comme merveilleuse, a sombré dans la catastrophe... Le livre a pour objectif de montrer les différences entre un projet tel que le macrisme, construit selon des techniques publicitaires, qui a soulevé l'idée de changement et basé sur la logique de la fraude et de la simulation ainsi que celui de la pure cosmétique, face à une expérience politique, celle de douze années du kirchnerisme. »
Lors de la lecture on peut remarquer certaines phrases significatives :
"Ce livre n'est ni autobiographique, ni une énumération de réalisations personnelles ou politiques. Il s'agit d'un regard et d'une réflexion rétrospective visant à dévoiler certains faits et chapitres de l'histoire récente de notre pays et leur impact sur la vie des Argentins et de la mienne."
"J’avais décidé de prendre ma retraite parce que j’avais le sentiment que tout était très vertigineux, peut-être trop intense, nous devions nous reposer: moi des Argentins et les Argentins de moi, car gouverner ce pays ... mamita!"
"Si quelqu'un me demande de définir Mauricio Macri en un seul mot, le seul auquel je puisse penser c’est: le chaos ; oui, Mauricio Macri c’est le chaos et c'est pourquoi je crois fermement que l'Argentine doit être réorganisée."
L’écrivain et psychanalyste Mario Pujo commente : « Il est surprenant qu’au cours de la quatrième année du gouvernement de Mauricio Macri, l’événement politique le plus marquant ait été l’apparition d’un livre. Un livre de souvenirs, un livre de réflexions. Et ce livre a enflammé des centaines de milliers de personnes provoquant l’enthousiasme, la joie, l’espoir, le désir. Je retiens le concept principal du livre: « il [Mauricio Macri] aurait pu choisir d'être un président à succès, un capitaliste moderne, d’un pays sans dette, avec un marché intérieur dynamique et un faible taux de chômage, sans faim, avec une croissance de 2,7% par an ». Mais il a choisi d'être un carancho [rapace] de la spéculation financière. Un vautour parmi les vautours. »
Le sociologue Horacio González, en analysant le livre et le discours de Cristina Kirchner a estimé que « Au cours de la présentation il a été chanté la prise en charge par Cristina de sa candidature à la présidence. L'auteure du livre se tut. Le public, c’est-à-dire des militants et des figures politiques notoires, se constitue en même temps comme un groupe d'acteurs par le biais d'un livre...les lecteurs ayant assisté à l'événement avaient "lu" - comme on dit parfois en guise de synonyme d'interprétation -, que dans les jours difficiles à venir, Cristina décidera sans aucun doute de sa candidature, de répondre aux attentes qui, entre autres choses, ont provoqué un livre. »

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Le contrat social
Cristina Kirchner a appelé dans une partie de son discours à «un contrat social des Argentins ; un contrat social de citoyenneté responsable. Un accord auquel sont appelés les chefs d'entreprise, les dirigeants syndicaux, les intellectuels, les travailleurs qui exercent leur citoyenneté, les membres de coopératives qui créent leurs propres emplois. Il est nécessaire que nous tous déployions des efforts pour générer du travail authentique. Il n’existe aucune possibilité de croissance économique sans un fort marché intérieur", a déclaré l’ex- présidente lors du passage de son discours le plus concret qui a été entendu au Salon du livre. Cette phrase pourrait devenir la proposition centrale de son éventuelle campagne électorale.
*Le 22 juin est la date limite d’inscription des candidatures. Le 11 août se tiendront les PASO (les Primaires ouvertes, simultanées et obligatoires). Le 27 octobre, le premier tour de l’élection présidentielle, l’élection des gouverneurs et des parlementaires (députés et sénateurs).
« Sinceramente », 600 pages, éditorial Sudamericana (Penguin Random House)