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Billet de blog 14 juin 2025

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Condamnation de Cristina Kirchner: la revanche de l’oligarchie

L’ancienne présidente argentine, principale dirigeante de l'opposition au gouvernement d'extrême droite et actuelle secrétaire générale du Parti Justicialiste (péroniste) vient d’être condamnée à 6 ans d’emprisonnement et inéligibilité à vie. Massives mobilisations contre la décision de la Cour Suprême en pleine période électorale.

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Après la décision de la plus haute juridiction, les procureurs Diego Luciani et Sergio Mola ont demandé l'arrestation immédiate de Cristina Kirchner. Cependant, le Tribunal Oral Fédéral (TOF) N°2 a rejeté la demande et a ratifié qu'elle a cinq jours pour se présenter à Comodoro Py (Tribunal de la capitale fédérale de l'Argentine), c’est à dire le mercredi 18 juin. Pour l'instant, l'ancienne présidente reste dans son appartement dans le quartier de Constitución à Buenos Aires ou se concentrent des milliers de personnes manifestant leur solidarité.

Les avocats de Cristina Kirchner, Carlos Beraldi et Ary Llernovoy, ont demandé au TOF 2 de l'assigner à résidence pour diverses raisons. Outre le fait qu'elle soit âgée de plus de 70 ans - une des conditions de l'assignation à résidence -, les avocats ont souligné qu'elle devrait être autorisée pour des raisons de sécurité, pour avoir été Présidente de la Nation et pour avoir été victime d'une tentative d'assassinat pour laquelle elle devrait bénéficier d'une surveillance continue. La justice n'a jamais fait toute la lumière sur la responsabilité intellectuelle de l'attentat impliquant le député Gerardo Milman, lié à la ministre de la sécurité Patricia Bullrich, responsable du Service Pénitentiaire Fédéral, c'est-à-dire celle qui serait en charge de la détention de Cristina.

Le sondage national, réalisé par Zuban-Córdoba les 11 et 12 juin sur la base de 1200 cas, montre une polarisation marquée de l'opinion publique concernant la condamnation de Cristina Kirchner qui avait annoncé il y a dix jours qu'elle serait candidate aux élections législatives de la troisième section électorale de la province de Buenos Aires. La majorité des personnes interrogées (53%) pensent que CFK est coupable du délit d'administration frauduleuse au détriment de l'État, tandis que 40,8% pensent qu'elle est innocente. Les 6,2 % restants ne savent pas. Les résultats de l'enquête ont également révélé une profonde crise de légitimité qui affecte le système judiciaire : 46,5 % des personnes interrogées estiment que le pouvoir judiciaire a agi de manière malhonnête dans l'affaire « Vialidad » et 56,6 % ne sont pas d'accord avec l'idée qu'« en Argentine, nous sommes égaux devant la loi ». Le pouvoir judiciaire continue d'être l'une des institutions ayant la plus mauvaise image du pays", indique le rapport Zuban-Córdoba.

L’affaire « Vialidad »

La « Causa Vialidad » (L’affaire voirie), promue par l’ex président Mauricio Macri par l'intermédiaire de l'ancien ministre de l'énergie, Javier Iguacel, a été le dispositif juridique mis au point par le pouvoir politique, économique et communicationnel pour supprimer le kirchnerisme, cette expérience politique qui a eu des effets concrets sur l'amélioration de la vie économique, sociale, politique et culturelle de l’Argentine. En effet, les gouvernements de Néstor et Cristina Kirchner entre 2003 et 2015, ont contribué à la redistribution des richesses, la récupération des droits du travail et des entreprises pour l'État national, à l'expansion des droits civils et culturels, la promotion de l'éducation, de la science et de la technologie. La désastreuse gestion du président Alberto Fernández, incapable de maîtriser l’inflation et les luttes internes dans son gouvernement ont permis l’élection du libertarien Javier Milei en 2023 érigeant Cristina Kirchner comme sa principale adversaire.

Selon Luis Bruchtein, journaliste de Página 12, « les anti-péronistes ont pris l'habitude d'utiliser le mot « chorra » (voleuse) chaque fois qu'ils se réfèrent à Cristina Kirchner. Cela ne figure ni dans la condamnation, ni dans les motifs de celle-ci. Cette condamnation discutable n'est même pas pour « chorra », car ils n'ont pas pu produire la moindre preuve à l'appui de cette accusation. Le mot « vol » ne figure nulle part car le chef d'accusation est « administration frauduleuse au détriment de l'État ». Nulle part il n'est dit qu'elle a gardé un peso, car les propriétés et le capital de l'ancienne présidente sont connus, justifiés et légaux. On n'a pas trouvé de comptes à l'étranger selon ses accusateurs, on n'a pas trouvé de trésors enfouis en Patagonie ou dans les murs de sa maison, selon les mensonges d’un journaliste aujourd'hui décédé, appartenant au groupe Clarín. ». Cristina Fernández de Kirchner est accusée d'avoir confié des travaux publics à la province de Santa Cruz à « un ami de la famille », par l'intermédiaire de l'entreprise de construction de Lázaro Báez. L'accusation d'avoir « dirigé l’administration frauduleuse » est une conjecture en raison de son caractère de présidente. Mais les juges n’ont pas pu montrer la moindre directive écrite ou verbale à cet effet car les travaux n’ont jamais figurés pas dans l'organigramme de la Présidence.

Sur les juges 

Selon le journaliste Sebatian Lacunza, le processus de « Vialidad » a été entaché d'irrégularités. "Un procès qui a d'abord un juge fédéral, puis un appel, puis le tribunal de cassation, qui est l'appel de l'appel, et enfin la Cour Suprême. Or, presque tous les magistrats, du premier juge qui a pris l'affaire jusqu'aux juges de la Cour suprême, ont des problèmes derrière eux qui font qu'il est impossible de les considérer comme impartiaux". Tout au long de la procédure, il est apparu, grâce à certains médias, que de nombreux juges impliqués dans l'affaire étaient des proches de Mauricio Macri. Ils n'ont pas seulement joué au football ou au tennis avec l'ancien président, mais l'ont également rencontré, « et ces réunions ont parfois eu lieu des semaines ou des jours avant qu'ils ne prennent des décisions importantes concernant Crisitna Kirchner ». « Si 16 juges au total sont intervenus, 11 ou plus sont des amis de Macri, qui les a triés sur le volet ou ils sont liés au groupe Clarín », explique le journaliste argentin au Huffington Post considérant difficile de défendre la transparence du procès. Selon lui, les juges de la Cour suprême, qui sont aussi « en désaccord entre eux, ont mille irrégularités dans leur vie institutionnelle et publique et leur « inimitié » à l'égard de Kirchner est très connue ». Lacunza compare également la rapidité avec laquelle Kirchner est condamné à l'indifférence dans « des affaires plus graves comme la crypto-arnaque de Javier Milei ou les comptes de la famille Macri au Luxembourg ou au Panama ». "Tout ce qui concerne Macri, par exemple, n'avance pas d'un pouce devant les tribunaux. »

Les conditions de détention

Illustration 1
Cristina Fernández de Kirchner © Maximiliano Luna

Cristina Fernández de Kirchner se rendra mercredi 18 juin prochain au tribunal de Comodoro Py mais elle ne le fera pas seule. Une mobilisation massive se prépare pour l’accompagner depuis son appartement jusqu'aux tribunaux du Retiro. Le Parti Justicialiste a déjà recueilli les premiers soutiens syndicaux : l'ATE (syndicat de fonctionnaires) a appelé à la grève pour le même jour, tandis que les deux CTA (centrales de centre gauche) et des syndicats comme La Bancaria, l'UOM et Smata ont confirmé leur participation à la caravane. Il ne reste plus qu'à attendre la définition formelle de la CGT, à laquelle différents dirigeants syndicaux demandent de se joindre par un arrêt des activités qui permettra une mobilisation véritablement massive.

Le péronisme est entré en résistance et ne compte pas s'arrêter tant que Cristina ne sera pas rentrée chez elle, assignée à résidence et sans les mesures proposées pour durcir les conditions de détention comprenant l'interdiction d'utiliser les réseaux sociaux, un contrôle strict des personnes autorisées à lui rendre visite et l'interdiction de sortir sur le balcon, sans parler de prononcer des discours.

Myriam Bregman, dirigeante trotskiste et adversaire politique de Cristina Kirchner soutien dans un post sur Instagram : « Depuis les mêmes bureaux politiques, judiciaires et médiatiques d'où aucun mot n'a été prononcé contre les conditions de détention des répresseurs [assignés à résidence avec beaucoup de libertés], on discute maintenant de la soi-disant « assignation à résidence » [de Cristina Kirchner] et de ses conditions. Ils ont lancé une véritable croisade réactionnaire. Cela s'explique : depuis des années, une partie des classes dirigeantes tente de convaincre les majorités populaires que les crimes liés à la corruption sont infiniment plus graves que les génocides, les persécutions et les assassinats à caractère politique. Leur vie en dépend, leurs profits monstrueux dépendent, en partie, de l'installation de cette idée »

Luis Ignacio García, docteur en philosophie, explique dans la revue Anfibia : « Cristina n'est pas condamnée pour ce qu'elle a pu faire de mal ; Cristina est condamnée pour ce qu'elle a fait de bien. Le déroulement obscène de cette procédure judiciaire le montre très clairement. L'arrêt de la Cour suprême est le point culminant d'une longue bataille avec les pouvoirs en place qui a commencé dès le début de son premier gouvernement. En fin de compte, Héctor Magnetto a gagné, le patron du groupe Clarín, le visage visible de ces pouvoirs, la figure qui articule de manière paradigmatique le pouvoir économique concentré, traite de la politique et du journalisme de guerre dans un seul front de guerre civile qui a mobilisé tous les leviers émotionnels, médiatiques, politiques et institutionnels de l'anti-péronisme contre les secteurs populaires du pays. La décision judiciaire est avant tout la grande revanche de classe dont l'oligarchie rêvait et macérait depuis 2008, et qu'elle a finalement réussi à consommer dans le cadre du nouveau rapport de force obtenu par le gouvernement néo-fasciste de Javier Milei. »

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