De dizaines de milliers de manifestants se sont regroupés pour appuyer la marche des retraités qui se déroule tous les mercredis à Buenos Aires, demandant l’augmentation des pensions au gouvernement, un secteur qui a beaucoup perdu depuis que Javier Milei préside les destins des Argentins. Cette fois, les supporteurs d’une vingtaines de clubs de football se sont donné rendez-vous pour soutenir les retraités.
La Commission provinciale pour la mémoire (CPM) a mené une analyse détaillée de l'opération de sécurité déployée le mercredi 12 par Patricia Bullrich, la ministre de la Sécurité argentine. Le rapport fait état d'au moins 672 blessés , dont des journalistes, des défenseurs des droits humains, des personnes âgées, des retraités, des femmes et des jeunes, une répression considérée comme la plus violente depuis 2001.

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La CPM a rapporté qu'un total de 1 000 agents de toutes les forces de sécurité ont été déployés pour mener à bien l'opération de police la plus féroce de ces derniers temps et qui s'est terminée par une chasse à l'homme jusque tard dans la nuit. Bien que la mobilisation ait été convoquée pour 17 heures, la CPM a confirmé que la répression avait commencé à 15 h15, bien avant que la manifestation ne puisse commencer. L'intention, selon la commission, était d'« empêcher le rassemblement ». Les manifestants s'étaient approchés de la place du Congrès de manière pacifique », affirmant que les forces de sécurité ont tiré « des milliers de coups de feu avec des balles en caoutchouc », des dizaines de grenades lacrymogènes et qu'elles ont utilisé du gaz poivré et qu'au moins quatre camions à eau avaient aspergé des centaines de personnes pendant cette période.
Le rapport affirme également que des « dizaines de personnes ont été battues avec des matraques, des poings et des boucliers ». Au total, 114 personnes ont été arrêtées par la police fédérale et la police municipale. Parmi elles, un garçon de 12 ans et plusieurs personnes qui circulaient dans la zone sans lien avec la manifestation. Le lendemain, la juge Karina Andrade a ordonné la libération de tous les détenus accusant la police d'avoir fourni des informations inexactes sur les circonstances dans lesquelles les arrestations ont été effectuées. Elle a également déclaré que le droit à la liberté d'expression devait être garanti. Le ministère de la Sécurité a dénoncé la juge pour « prévarication, manquement aux devoirs d'un fonctionnaire et dissimulation aggravée ».
Le portail d’information LPO dévoile à travers des vidéos que la répression de la semaine dernière devant le Congrès a mis en lumière les actions de Patricia Bullrich en montrant des infiltrés qui apparaissaient dans les réseaux sociaux en train d’incendier des poubelles, des camions-bennes avec des pierres installés ce matin-là sur l’avenue Hipólito Yrigoyen, des policiers qui ont placé des armes par terre et d'autres qui ont laissé des voitures de police abandonnées à des points stratégiques.
Selon le CELS (Centre d’Études Légales et Sociales), vingt personnes gravement blessées ont été hospitalisées, dont Beatriz Bianco, de 87 ans, poussée violemment par un policier, sa tête heurtant l'asphalte ; elle a été secourue par des manifestants et emmenée à l'hôpital. Les policiers ont tiré des grenades lacrymogènes sur les manifestants sans respecter les protocoles établis. Le photojournaliste indépendant Pablo Grillo, qui couvre habituellement les manifestations et fournit des images aux médias, fut atteint à la tête par une cartouche lorsqu’il faisait une photo, lui provoquant une fracture du crâne avec perte de masse cérébrale. Son état est critique. L’auteur du tir, Le caporal Guerrero, qui appartient à l'unité mobile n° 6, a pu être identifié grâce au collectif « Mapa de la policía » en reconstituant le moment par des nombreuses images vidéo.

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Dérive policière ou dérive autoritaire ?
Lors du colloque international du 10 et 11 mars de l’Observatoire de l’Argentine Contemporaine à Paris, le politiste David Copello est intervenu en essayant de définir la nature du gouvernement Milei. Sous le titre « Quel autoritarisme ? Le triangle de fer de la politique argentine », Copello soutient qu'il existe une véritable tentation autoritaire dans ce gouvernement de Javier Milei qui représente une forme de rupture avec un certain nombre d'institutions démocratiques, mises en place dans le pays depuis 1983. Une forme particulière d'autoritarisme qui s’installe de manière un peu inattendue et qui rend la réplique assez difficile.
Pour Copello, le triangle de fer de l'autoritarisme renvoie à trois directions ou trajectoires possibles d'une évolution non-démocratique. La première de ces trajectoires, c'est le renforcement du pouvoir des forces armées, assez limité comme analyse de ce qui est en train de se passer en Argentine. Une deuxième direction, c'est le renforcement du pouvoir exécutif et une forme de déséquilibre entre les pouvoirs. Puis une troisième direction relève d'une forme d'anomie, d'évidement et de chaos institutionnel, qui est en train de se mettre en place depuis plus d’une année en Argentine et qui apparaît comme le point le plus saillant de cet autoritarisme miléiste.
Un des aspects intéressants de ce gouvernement, c'est que le Parlement lui-même a voté pour auto-limiter son propre pouvoir en renforçant celui de l’exécutif. Ce qui n'a pas empêché une forme d'agressivité très marquée de la part du Président traitant les parlementaires de l’opposition et les journalistes de « ratas inmundas » (rats immondes) ou bien de maltraiter physiquement un membre de « l’opposition light » lorsqu’il brandit la Constitution argentine accusant Milei de la bafouer.
Le point le plus intéressant de l’exposé de David Copello est la dimension a-institutionnelle de ce à quoi on est en train d'assister à travers ce gouvernement. « L'autoritarisme, on l'associe généralement à une centralisation du pouvoir dans un groupe militaire, dans un leader, etc. Mais l'autoritarisme, il peut aussi passer par la dynamique inverse de la centralisation... Une situation politique dans laquelle on assiste à un conflit permanent entre différents secteurs et membres de l'élite politique qui aboutit sur une désinstitutionnalisation de l'État, sur une privatisation finalement du pouvoir ». Copello nous donne quelques exemples significatifs :
- D'abord le turnover impressionnant des membres de la haute administration publique : selon le décompte du politologue Pablo Salinas, il y a eu 123 démissions dans la très haute fonction publique de Milei, ça veut dire une démission tous les quatre jours, résultat de conflits entre les différents secteurs du miléisme.
- Une partie importante du pouvoir se déplace vers des lieux non institutionnels. Santiago Caputo et Karina Milei sont des belles incarnations de cette dynamique. Santiago Caputo est une des personnes les plus puissantes aujourd'hui en Argentine : il n'est pas ministre et ne fait pas partie du gouvernement ; il est simplement un consultant externe qui facture ses prestations à la présidence, échappant complètement à l'ensemble des règles qui permettent de réguler les conflits d'intérêt dans la politique argentine et qui pourtant exerce un rôle complètement central. C'est lui qui a pris contact avec le juge García Mansilla qui vient d'être nommé à la Cour suprême. Garcia Mansilla n'a eu aucun contact direct avec Javier Millet, c'est Santiago Caputo qui l'a convoqué et qui lui a proposé d'être membre de la Cour suprême et nommé par Milei à travers un décret inconstitutionnel sans passer par le Parlement.
- Karina Milei, secrétaire générale de la présidence, en plus d'être la sœur de Javier Millet et dont les fonctions dépassent très largement les attributions officielles, est fortement soupçonnée d’avoir touché un certain nombre de commissions financières pour organiser des rencontres avec le président ainsi que par son implication dans le « cryptogate », la gigantesque fraude qui touche aussi le président Milei à propos de son appui à la la cryptomonnaie $LIBRA.
Le 19 et le 24 mars
Selon le journal Página 12, les syndicats et les organisations sociales se préparent à accompagner les retraités dans leur manifestation de mercredi 19 prochain. Les deux CTA, l'UTEP (Union des travailleurs de l'économie populaire), les partis et les mouvements piqueteros de gauche, qui ont appelé à retourner au Congrès le 19 mars, parlent de se mobiliser avec plus de prudence, face à la violence des forces de l'ordre et pour éviter d'être la proie d'arrestations arbitraires. Plusieurs syndicats de la CGT, comme La Bancaria et la Federación Gráfica Bonaerense, ainsi que la jeunesse syndicale de la centrale syndicale, ont confirmé qu'ils s'y rendraient. Dans la journée, l'Association des travailleurs de l'État appellera à un arrêt de travail à partir de midi afin que ses membres puissent se joindre à la mobilisation. La Coordinadora de Derechos Humanos del Fútbol Argentino, a annoncé qu'elle participera également. Dimanche dernier, ses membres - des supporters de toutes les équipes - se sont rassemblés sur la Place de Mai afin de demander justice pour le photographe Pablo Grillo, qui se trouve toujours dans un état critique.
Javier Milei devra faire face aussi à la mobilisation du 24 mars, la plus massive de l'année et qui, à cette occasion, en plus de l'exercice historique de mémoire, répudiera également le gouvernement d’extrême droite pour le démantèlement des sites de Mémoire et les attaques aux organisations de défense de droits humains. C’est lors de cette semaine que la CGT pourrait annoncer la date précise de la grève générale prévue autour du 9 ou le 10 avril.