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Billet de blog 30 décembre 2017

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Une amnistie déguisée pour le génocidaire Miguel Etchecolatz

La principale ville balnéaire d’Argentine est en émoi : l’ancien directeur de la police de Buenos Aires de la dictature argentine (1976-1983), âgé de 88 ans, est sorti de prison et a été installé dans sa maison de la ville de Mar del Plata, malgré les six condamnations à la réclusion à perpétuité pour crimes contre l’humanité.

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Le jeudi 28 décembre la décision du Tribunal Oral Fédéral (TOF 6) constitué par les juges José Martínez Sobrino, Julio Luis Panelo y Fernando Canero accordant au génocidaire de purger sa peine à son domicile, a provoqué une vague de protestations.

Miguel Etchecolatz, bras droit du général Ramon Camps, chef de la police de la province de Buenos Aires, a été en charge des 21 prisons clandestines entre mars 1976 et fin 1977, créées dans ce district. En septembre 1976 il a supervisé la séquestration, la torture et l'exécution d'un groupe de

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Miguel Etchecolatz © Infobae

lycéens de la ville de La Plata au cours d'une opération devenue tristement célèbre sous le nom de « la Nuit des Crayons ». *

Il fut condamné en 1986 à 23 ans de prison pour avoir exécuté et torturé 91 personnes, mais cette peine fut annulée par la Cour suprême en raison de la loi d'amnistie dite de l'obéissance due votée le 4 juin 1987 sous le gouvernement de Raúl Alfonsín. Celle-ci n'amnistiait toutefois pas l'enlèvement de bébés, et il fut à nouveau arrêté en 2001, incarcéré à la prison de Devoto et condamné à sept ans pour avoir séquestré le bébé d'une disparue et lui avoir donné une fausse identité. Il réussit toutefois à obtenir une assignation à résidence à son domicile de Mar del Plata jusqu'à ce qu'on trouve chez lui un pistolet 9 mm et qu'on le mette en prison en juin 2006.

En septembre 2006, grâce à l’abrogation des lois d’amnistie du gouvernement de Néstor Kirchner en 2005, Miguel Etchecolatz fut condamné à la prison à perpétuité pour six assassinats et huit enlèvements accompagnés de torture, qualifiés de crimes contre l’humanité, "des délits commis dans le cadre du génocide" selon le verdict des juges Carlos Rozanski, Horacio Insaurralde et Norberto Lorenzo. Deux jours après sa condamnation à la prison à perpétuité le principal témoin, Jorge Julio López est porté disparu et à ce jour il n’a toujours pas été retrouvé.

Jorge Julio López était plaignant dans l'affaire et sans doute un témoin-clé puisque ses déclarations visaient au moins 62 policiers et militaires. Il disparut à La Plata sans laisser de traces le 18 septembre 2006, quelques heures avant son dernier témoignage. On soupçonne des sbires d’Etchecolatz responsables de son enlèvement et de son assassinat. Son fils, Rubén Lopez a déclaré « "C'est comme libérer Hitler, Etchecolatz est un nain fasciste, le fils d'Hitler ». Puis il continue : "Ils ramènent Etchecolatz chez lui pendant qu’on emprisonne des dirigeants politiques sans preuve, il est évident que le pouvoir politique exerce une pression sur les juges. Il a participé aux tourments subis par mon père et a commandé l'opération de son enlèvement pendant la dictature », et il a ajouté : "Nous pensons tous qu'il était l'idéologue de sa dernière disparition ». (Ambito.com du 18/12/2017)

Stupeur et mobilisation à Mar del Plata

Déclaré « persona non grata » en 2001 par la ville, le transfert du répresseur a commencé jeudi 28 décembre au soir et s'est terminé le vendredi 29 au matin, avec son arrivée à sa maison située dans la forêt de Peralta Ramos et à seulement quatre pâtés de maisons de l'un des habitants qui avait été enlevé et torturé par Etchecolatz. En raison de ce fait, une proposition a été faite pour que l'ancien commissaire ne soit pas emmené à cet endroit, mais la Chambre de La Plata a rejeté cette demande.

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Maison du génocidaire © Pagina 12

Un grand nombre d’associations, partis et dirigeants politiques se sont prononcés contre cette amnistie déguisée. Guillermo Sáenz Saralegui, président du Conseil municipal de Mar del Plata lors de sa conférence de presse s’est exprimé en ces termes : "Nous sommes ici convoqués par une décision qui implique l'un des pires personnages de la dernière dictature argentine. Nous répudions ce qu'il a fait et ce qu’il représente. Nous sommes heureusement dans un contexte de paix. Nous voulons que justice soit faite ". Etaient présentes la députée Fernanda Raverta du Front pour la victoire, les Mères de la Plaza de Mayo Angela Barili de Tasca et Emilce Flores, et la responsable locale des Grands-mères de la Plaza de Mayo, Ledda Barreiro.

Les déclarations de deux associations de familles, fils et filles de répresseurs, est particulièrement frappante : "Les génocidaires qui sont ou qui étaient nos parents, reviennent chez eux, dans nos quartiers, à cause de juges sans scrupules" et qui "ont perdu conscience et mémoire". "Le cauchemar revient dans le quartier", déplorent-ils et ajoutent : "Aujourd'hui, nous sentons à nouveau l'odeur de la terreur ».

La fille de Etchecolatz, Mariana D. qui fait partie d’une des associations, avait expliqué au journal Página 12 du 13/08/2017, pourquoi elle avait demandé en 2014 à changer son nom de famille : …jusque-là il était lié à « l’horreur, le génocide, la disparition des gens, la violence et à la période la plus tragique que ce pays n’ait jamais vécu. En tant qu'individu et personne unique, j'ai le droit de faire que ce nom de famille ne me représente plus parce que je n'ai aucun rapport avec l'idéologie, bien sûr, ni avec les crimes commis. "

Emilce Moler, survivante de la » Nuit des Crayons » et victime de Miguel Etchecolatz, a déclaré : "Je souffre que mes enfants et mes petits-enfants vivent à Mar del Plata avec un génocidaire". "Etchecolatz continue d’être un criminel en se taisant sur le sort des disparus, c'est comme s'il poignardait des gens, parce qu'il continue à commettre le crime de disparition", El Destape du 30/12/2017.

Le jour même du transfert du génocidaire vers sa maison on apprend la restitution de la 127ème petite-fille que les Grand-mères cherchaient depuis quarante ans. Née en captivité dans le plus grand centre de tortures, l’ESMA, la fille de María del Carmen Moyano y Carlos Poblete vient de retrouver sa véritable identité.

Plus que jamais la détermination des organismes de défense de Droits de l’homme est indispensable pour contrer la politique régressive et négationniste du gouvernement macriste, qui est par ailleurs le plus répressif depuis 1983. En effet, d’après le rapport annuel de la CORREPI (Coordonnateur contre la répression policière et institutionnelle) durant les 712 jours de gouvernement Macri il y a eu 725 morts dus à des tortures et bavures policières.

* À partir d'un témoignage de Pablo Díaz, un survivant de cette opération de répression illégale. Cette histoire fit l'objet d'un film: "La Noche de los lápices" d'Héctor Olivera (1987)

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