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Sociologue spécialisée dans la problématique du genre et conflits armés, activiste, chercheuse associée au LEGS (Paris 8), directrice de 'FemAid'et 'Women in War'.

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Billet de blog 3 mai 2024

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Et si les Jeux Olympiques de Paris faisaient plaisir aux Talibans?

Alors que la jeune championne de Taekwondo d’Afghanistan, Marzieh Hamidi , était pressentie pour participer aux Jeux Olympiques dans la catégorie « Réfugiés », le 2 mai, contre toute attente, la décision tombe comme un couperet : l’athlète et militante pour les droits des femmes de son pays n’est plus considérée comme admissible…et sera remplacée par deux garçons.

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Illustration 1
© dr

« La seule chose dans tout ce tumulte qui m’a réjouie en quittant Kaboul c’est que j’allais à Paris. La ville des Jeux Olympiques, mon rêve » raconte Marzieh, âgée aujourd’hui de 21 ans.

 Le Taekwondo, elle l’a découvert à 14 ans, quand elle était encore réfugiée en Iran. Très rapidement, c’est devenu une véritable passion et quand sa famille est revenue d’exil en Afghanistan, les entraînements se sont démultipliés et les succès ont a suivi au rythme de son acharnement : 6 médailles d’or, 1 en argent et 1 en bronze, dans les compétitions aux niveaux départemental et national, puis en 2021, elle intègre l’équipe nationale d’Afghanistan. 

« Ce n’était pas facile d’aller m’entraîner tous les jours. J’ai refusé de porter le foulard et je partais en jogging et tee-shirt. Bien sûr, dans la rue, on m’a injuriée sans arrêt, mais ça m’était égal et je suis fière de n’avoir jamais porté de foulard. De plus, mes parents m'ont toujours soutenue»

 Un tel soutien familial est aussi rare que l'arrogante indépendance des sœurs Hamidi : de plus, la sœur de Marzieh, Ziba est une rappeuse connue qui passait souvent à la télévision. Les deux sœurs, ont incarné le scandale absolu dans les yeux des (innombrables) conservateurs, même à l’époque de la république : en Afghanistan, une pareille soif de liberté n’a jamais été acceptable

« Oui, le taekwondo est un sport, mais je me bats pour les droits des femmes afghanes, avant dans mon pays et maintenant ici en France. Chaque coup donné est dirigé contre les Talibans ». Et c’est bien ainsi qu’elle est perçue en Afghanistan comme dans les communautés exilées : ces filles à qui elle insuffle le courage et l’espoir composent la plupart de ses 35 000 followers sur Instagram. Elles l’ont vue se battre en compétition, puis manifester contre les Talibans quand elle était encore en Afghanistan : en vérité elle représente un idéal de liberté aujourd’hui complètement écrasé dans son pays. Et son cœur est demeuré avec elles. « Sur mon téléphone, je vérifie tous les jours la météo à Kaboul, parfois je me réveille et je ne sais pas où je suis. Je dois avouer que je me sens coupable de profiter de cette liberté quand les autres filles afghanes doivent souffrir autant »

Cette solidarité avec la lutte de ses contemporaines n’a cessé de la motiver depuis son arrivée en France. Après un an dans un club à Vincennes (entrecoupé d’innombrables rendez-vous à la préfecture, histoire de mettre en ordre ses papiers de demandeuse d’asile), elle est recrutée dans l’équipe mondiale de réfugiés et aussi dans l’équipe de France de Taekwondo avec qui elle s’entraîne tous les jours, même quand elle s’est blessée. Pour rien au monde ne raterait-elle une séance. Et elle participe à des nombreuses compétitions internationales ; entre deux elle manifeste, parle inlassablement dans des réunions, des conférences, reçoit la médaille d’honneur de l’Assemblée Nationale en octobre dernier.

 L’annonce de la sélection officielle pour les JO arrive. L’équipe des réfugiés dont celle du Taekwondo doit respecter la parité ; dans sa catégorie, les -57kg, il y aura (en principe) deux garçons et deux filles. La première des filles pressentie vient d’obtenir obtient la nationalité du pays où elle s’est établie, ce qui la disqualifie puisqu’elle a perdu son statut de réfugiée. Reste Marzieh. Et voilà que circulent toutes sortes de bruits à son sujet : elle n’aurait pas participé à suffisamment de compétitions internationales. Et pour cause : blessée deux fois,  retenue par ces interminables rendez-vous administratif, bloquée par une histoire de visa parce qu’elle est, justement, réfugiée, tout cela est passé sous silence. Entre le 1 et 2 mai, toutes sortes d’explications contradictoires sont invoquées. Selon la dernière en date, d’un coup elle n’aurait soudain plus le niveau, alors qu’elle vient encore d’obtenir une médaille d’argent il y a quelques jours. Ce qu’on ne sait pas encore quand cette raison est invoquée, c’est que Marzieh et la participante absente ont été remplacées en douce par…deux garçons.
Marzieh est atterrée : « Jamais je n’aurai cru que j’aurai à lutter pour mes droits ici en France : l’équipe de réfugiés est totalement bancale, de toute évidence, même ici on veut invisibiliser les femmes. J’ai l’impression de retomber chez les Talibans »

 Il reste l’option du Wild Card, une clause dans le strict règlement des Jeux Olympique qui permet d'accepter des athlètes qui n’ont pas suivi toutes les étapes- c’est ainsi que des Saoudiennes sans expérience se sont retrouvées à concourir aux derniers J.O. Cette ‘Wild Card’ est généralement attribuée par solidarité à des athlètes persécutés. Ce qui est bien évidemment le cas de Marzieh Hamidi… On ose encore espérer...

 Car si le comité persiste dans son refus, c’est bien l’éthique égalitaire et démocratique des Jeux Olympiques qui est  durablement entachée. Qui plus est en France, pays qui a vu naître la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Une telle décision ne peut que réjouir les Talibans qui, eux, y verraient une justification supplémentaire et bien encourageante (made in France)  de leur politique d'apartheid de genre à l'encontre des femmes d’Afghanistan...

Illustration 2
Marzieh Hamidi © CM

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