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Ce 3 décembre, le gouvernement afghan par la voix du leader suprême le Mollah Akhundzada a annoncé que tous les centres d’apprentissage des métiers de la santé, réservés aux femmes, étaient désormais fermés et que les étudiantes devaient derechef rentrer chez elles. Depuis le retour des Talibans au pouvoir, en août 2021 toute forme d’instruction au-delà de l’école primaire a été interdite aux filles, soit le collège, le lycée et les études supérieures. Néanmoins un certain nombre d’académies privées, évaluées à 150, enregistrées auprès des autorités et payant des redevances, ont pu donner des cours. La demande auprès des lycéennes ou des étudiantes expulsées de leurs études au retour des Talibans était et demeure énormes.
Bien entendu, le niveau de l’enseignement est forcément très bas dans ces académies, pompeusement appelées universités. Le personnel féminin le plus qualifié a quitté le pays- quand cela a été possible - ou travaille encore dans les rares hôpitaux admettant des femmes. Ainsi, les cours sont donnés par des anciennes étudiantes qui ont pu suivre un cursus universitaire sous l’ancien régime républicain. Au bout de deux ans d’études, on pouvait acquérir un diplôme dans 18 métiers liés à la santé, permettant aux lauréates de devenir- à un niveau rudimentaire certes, infirmières, sages-femmes, psychologues, anesthésistes et ainsi de suite. Mais dans un pays dépourvu désormais de tout système de santé viable, c’est déjà énorme.
Ces académies proposaient- force est de parler désormais au passé un avenir à des milliers de filles condamnées à rester dans ce pays puisqu’il leur est interdit de se déplacer seules, de voyager ou de partir. Je n’ai cessé de recevoir aujourd’hui des mails et des messages de jeunes femmes au désespoir. Ce dernier décret, qui s’ajoute à près d’une centaine d’autres visant les femmes, n’est non seulement vexatoire mais paraît réellement suicidaire à un niveau national. Pourquoi viser des métiers essentiels dans un pays où le taux de mortalité maternelle et infantile sont parmi les pires du monde ? A cause de la misère et le fait que la dot est versée au père de la mariée, le nombre de mariages (et donc d’accouchements) précoces sont en augmentation et une hécatombe d’adolescentes en couches est prévisible à court terme.
De tout côté on parle de l’urgence de reconnaître l’apartheid de genre qui se pratiquerait en Afghanistan. Mais il me semble que le terme est inexact, en tout cas en-dessous d’une réalité unique au monde. Le régime d’apartheid en Afrique du Sud (1948-1991) était fondé sur une politique de rigoureuse ségrégation, séparant de façon quasi étanche les populations noire et blanche, au nom du « développement séparé ». La minorité blanche n’a cessé d’écraser la population autochtone avec une violence inouïe, lui interdisant toute participation à la vie publique ou à la gestion du pouvoir et la condamnant à la misère. Jusqu’ici, on voit des parallèles avec la situation afghane.
Cependant, la population noire était scolarisée, avait accès, pour une minorité, aux études supérieures. Les soins, certes inadéquats comparés à ceux administrés à la population blanche, n’étaient pas interdits puisque des médecins et le personnel médical noir était formé dans des universités qui leur étaient réservées.
C’est toute la différence avec la situation en Afghanistan qui va bien au-delà de l’apartheid. Naître de sexe féminin aujourd’hui est devenu une condamnation à une mort précoce. Qui aidera une jeune parturiente à accoucher dans les années à venir, puisqu’il n’y aura plus de sage-femme ou d’obstétricienne ? Aucun homme n'a le droit de la soigner. Qui vaccinera, soignera et assistera ces femmes contraintes à souffrir toute leur vie durant, enfermées chez elles, esclaves domestiques réduites au silence ? Déjà interdites d’étudier, de se promener, de sortir, de voyager, de pratiquer du sport, de la danse, de chanter même de prier tout haut, désormais seule la douleur serait autorisée. Mais les hommes seront soignés de leur côté puisque le système de santé leur sera réservé.
L’application de ces décrets sauvage est variable- nettement pire, par exemple dans les quartiers Hazara de Kaboul particulièrement opprimé. L’organisation des Talibans, pour le moment du moins, n’a pas l’efficacité de la Gestapo. Mais force est le remarquer, l’esprit s’en rapproche. En Allemagne nazie (puis en France sous Vichy) les Juifs étaient progressivement exclus de la vie publique, des études, du travail, des soins. On connaît la suite. Les décrets de Nuremberg seraient-ils la référence du pieux Mollah à la tête de cet émirat fou- cependant tacitement reconnu par un nombre croissant d’états ? Sans aller imaginer un Auschwitz afghan destiné à la gent féminine, on peut tout de même se demander à quoi sert un programme quasiment exterminatoire. Il est certain qu’à ce rythme, une bonne partie de la population féminine sera éliminée
Il faut peut-être se tourner vers l’instruction que reçoivent la majorité des garçons. Ceux qui ne deviendront pas les médecins, informaticiens, businessmen dont le pays a besoin, même si cette élite subit néanmoins le lavage de cerveau idéologique de rigueur.
Dans les madrasas et par des contenus Tik-Tok ciblés, mollahs, influenceurs et enseignants peaufinent une conception extrémiste de la domination patriarcale légitimée par un totalitarisme islamiste, le tout vraisemblablement complété par un entraînement aux armes. Quelle peut être l’image des femmes qu’ils reçoivent si ce n’est celle d’un être honteux par définition servant uniquement à la fabrication de futurs djihadistes ?
Dans un monde qui vire à la droite extrême et au suprématisme religieux, de l’Amérique à la Russie en passant par l’Iran, l’Inde, la Turquie, une bonne partie de l’Europe, tous ces pays où les droits des femmes sont revus à la baisse doit-on s’étonner de l’orientation mortifère prise par le régime de Kaboul ?