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Sociologue spécialisée dans la problématique du genre et conflits armés, activiste, chercheuse associée au LEGS (Paris 8), directrice de 'FemAid'et 'Women in War'.

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Billet de blog 12 octobre 2023

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Ce que soutenir le Hamas veut dire

En appui supposé au « Sud Global », la gauche paraît aujourd’hui soutenir un jihad multiforme contre des « incroyants » de toute espèce, déguisé en combat pour la liberté (on se demande bien laquelle) - un comble tout de même venant de ceux qui prétendent s’inspirer de Marx et à Che Guevara. Le tout renforcé de déclamations tonitruantes, d’images sanglantes et de fake news le plus abjecte.

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Illustration 1
Manifestation en soutient au peupole israëlien à Paris, 9 cotbre 2023 © C.Mann

Depuis samedi dernier, Hamas publie sur ses réseaux sociaux d’atroces images des exactions commises par leurs militants contre la population israélienne : rien ne nous est épargné, assassinats en direct, viols, décapitations, actes de brutalité extrême, envers des jeunes femmes, des bébés, des vieillards. Tout rappelle les exécutions mises en scène et filmées par l’État islamique en Syrie en 2015.

Et pourtant, en parcourant les différents (ex) ‘Tweet’ depuis samedi, force est de noter une absence notable de critiques ou de dénonciations de ces terroristes - qu’on hésite à nommer de la sorte dans un bon nombre de pays dits du Sud Global. Le soutien au Hamas semble acquis auprès de la plupart des pays qui composent le BRICS (à l’exception de l’Argentine et l’Inde), mais aussi la Chine et la Russie, nostalgique du pouvoir soviétique sur les pays dits en voie de développement, aujourd’hui cibles de la propagande de Moscou. S’y ajoutent bien entendu tous les pays à population arabe ou musulmane comme le Pakistan et la Turquie ainsi que les richissimes pays du Golfe dont le Qatar, un des principaux financiers du Hamas  avec l'Iran. Sans oublier, bien entendu, les chaleureuses félicitations des Talibans, ce qui n’est guère surprenant puisque l’idéologie du Hamas, leur vision des droits humains, en particulier ceux des femmes ou des dissidents est en tout point comparable à la leur. Le régime de Kaboul n’a pas oublié qu’en prenant le contrôle de la bande de Gaza, en 2006, le responsable du Hamas, Nizar Rayyan avait proclamé la fin de la laïcité et de l'hérésie sur son territoire  qui est tout à fait en accord avec leur programme. Mais qu’en est-il d’une aide et un appui réel à la population palestinienne. Outre le UNRWA et des actions caritatives poce nctuelles, seuls les pays de l’Occident honni paraissent offrir par exemple des bourses d’études à des étudiants palestiniens. On n’a pas vu des avions venir des pays du Golfe pour emmener des enfants de Gaza vers la sécurité pendant que les combats font rage.

Si les gouvernements occidentaux ont en bloc manifesté leur solidarité avec Israël, leurs opposants, dans un apparent soutien au ‘Sud Global’ ont voulu blâmer Israël en évitant de mentionner le Hamas. Ainsi se positionnent ceux qui se définissent à gauche dont notre inénarrable Mélenchon, Jeremy Corbin en Grande Bretagne, Yolanda Diaz de Sumar (Podemos) en Espagne, Yanis Varoufakis en Grèce. Amnesty International a brillé par le même type de discours. Seul Lula, selon le politologue Bertrand Badie a soutenu le combat palestinien tout en condamnant le meurtre de civils israéliens

Le pire c’est que désormais la cause palestinienne, valable entre toutes, est confondue, voire synonyme avec un soutien au Hamas ce qui exonère le groupe islamiste (nullement un parti structuré) de tout crime perpétré au nom du malheureux peuple palestinien de Gaza, dont les deux millions d’habitants sont incarcérés dans une prison à ciel ouvert. Force est de remarquer que les instances qui justifient le Hamas sont souvent les mêmes qui soutiennent Poutine dans son impitoyable guerre de conquête contre l’Ukraine, désormais reconfigurée en guerre sainte. Il devient de plus en plus urgent de mener à bien la désatanisation de l'Ukraine déclarait Alekseï Pavlov, secrétaire adjoint du Conseil de sécurité russe Après avoir épuisé le registre de lutte contre le nazisme, Poutine est passé à la phase mystique, sa croisade contre l’Antéchrist dont la rhétorique ressemble en tout point à celle de l’Iran et du Hamas. Le Satan pour Poutine lui-même serait l’OTAN, les valeurs occidentales, en particulier les droits égalitaires, la liberté d’expression, la dissidence, l’homosexualité, les minorités religieuses. Programme en tout point semblable, pour ne pas dire identique à celui qui sous-tend le jihad islamique. On se s’étonne pas que lors de la manifestation à Paris en soutien aux victimes des exactions du Hamas, on a noté une forte présence d’exilés iraniens. Eux au moins savent dans leur chair ce que soutenir un pouvoir islamiste signifie.

Tout compte fait, la gauche paraît soutenir un jihad multiforme contre des ‘incroyants’, déguisé en combat pour la liberté (on se demande bien laquelle)- un comble tout de même venant de ceux qui prétendent s’inspirer de Marx et à Che Guevara. Le tout renforcé par des déclamations tonitruantes, d’images sanglantes et de fake news. La propagande choisie de façon opportuniste est devenue l’opium du peuple.

Le résultat des actions du Hamas était entièrement prévisible et leurs instances dirigeantes y comptaient bien. La vie humaine du menu peuple- israélien ou, in fine, palestinien compte peu quand la cause est divine et les comptes sont appelés à être réglés dans l’au-delà . Comme le déclarait Leila Shahid ex-ambassadrice de la Palestine auprès de l'Union européenne "rien ne justifie de s'en prendre à des civils, mais c'est le prix à payer lorsque les conflits ne sont pas résolus par les instances dont la raison d'être est de faire la paix". Comment accepter une pareille fatalité ? Les victimes civiles ne seraient - elles que des dommages collatéraux d’un échec politique ? Certes Leïla Shahid commentait de façon pour le moins cynique les pogroms contre les citoyens israéliens, mais admettrait-elle que sa déclaration s’appliquerait également aux Palestiniens, victimes entre tous et cela depuis des années ?

La situation s’est bien entendu aggravée depuis qu’Israël attaque impitoyablement avec tous les moyens démesurés à sa disposition, dont les plus cruels : coupure d’eau, d’électricité et de vivres, bombardements incessants qui ne prennent que la suite de la situation effrayante dans laquelle les habitants de cette bande sinistrée survivent tant bien que mal depuis trop longtemps. Là tous ceux qui ont gardé le silence lors des meurtres terroristes sur les civils par le Hamas pousseront des cris d’orfraie- ce qui en soi est justifié mais pas sans expliquer le contexte immédiat qui a agi comme déclencheur.

On peut désormais s’attendre au pire à Gaza, Israël est convaincu de façon peut-être justifiée de lutter cette fois-ci pour sa propre survie et son gouvernement, déjà fanatisé à outrance par la droite au pouvoir avec (eux aussi) des extrémistes religieux, mettra tout en œuvre pour anéantir le Hamas et les malheureux qui le soutiennent, par manque d’option alternative ou simplement par désespoir. Chaque Israélien connaît une des personnes assassinées, torturées et enlevée et réclame une vengeance. Chaque Palestinien, poussé à bout, vit exactement la même expérience et n’en peut plus de colère et de dépit. Et cela depuis longtemps.

Michael Sfard, l’avocat du groupe militaire dissident israélien ‘Breaking the silence’ résume bien la situation dans un article paru dans Ha'aretz, le quotidien israélien de gauche du 11 octobre : Les crimes de guerre peuvent être commis non seulement par des personnes munies de kalachnikovs circulant dans des camions Toyota. Ils peuvent également être commis depuis le quartier général de la défense à Tel Aviv, ou depuis le siège du pilote d'un avion de chasse ou d'un hélicoptère. Notre perception de la cruauté peut être différente lorsque l'agresseur ne regarde pas sa victime dans les yeux, mais la douleur de la perte d'une mère, d'un père, d'un enfant, d'un frère ou d'une sœur ou d'un conjoint est tout à fait la même.

C’est ainsi que ces bébés décapités, ces jeunes filles violées plus assassinées, les crimes barbares commis par cette entité terroriste islamiste seront rapidement oubliés par les médias au profit de la vengeance inéluctable que ceux-ci ont attirée. Et on continuera à traiter ces terroristes au service du Hamas de combattants valeureux pour une juste cause, alors que le peuple de Gaza est réellement sacrifié, pris en étau entre des islamistes qui ne les respectent pas et un État israélien à présent engagé dans un cycle de violence mortifère.

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