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Sociologue spécialisée dans la problématique du genre et conflits armés, activiste, chercheuse associée au LEGS (Paris 8), directrice de 'FemAid'et 'Women in War'.

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Billet de blog 23 février 2017

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Marine Le Pen se dévoile

L'arrogance néo-colonialiste de Marine le Pen qui refuse de s'acquitter d'un geste de politesse élémentaire lorsqu'elle s'invite chez un chef religieux, est d'autant plus outrancière quand on connaît son attitude envers le foulard islamique en France, dont elle veut interdire la présence dans l'espace public au nom du respect des valeurs nationales. C'est bien la digne héritière de son père...

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Illustration 1
Marine Le Pen en visite chez le premier ministre Saad Hariri à Beyrouth © RTS

Lorsque Marine le Pen en visite à Beyrouth cette semaine s'est rendue chez le grand mufti de la République libanaise, Abdellatif Deriane, pour un rendez-vous qu'elle avait demandé, la presse a fait grand cas du fait qu'elle refusait de mettre un foulard pour la rencontre. A Florian Philippot, vice-président du Front National, de s'extasier dans un tweet : Un magnifique message de liberté et d’émancipation envoyé aux femmes de France et du monde entier.

 Sans doute ce rendez-vous (bidon) avait été pris en prévoyant la mise en scène théâtrale de ce refus qui devait soutenir une position supposément féministe que le Front National met en avant. Effectivement, Marine Le Pen courtise l'éléctorat féminin avec des simulacres de prises de position. On l'a vue, à divers moments, se prévaloir de Simone de Beauvoir d'Élisabeth Badinter même de Simone Veil, instrumentalisant leurs combats pour déclarer, après les agressions de Cologne dans une tribune de janvier 2016: C’est comme femme française libre, qui a pu jouir toute sa vie durant des libertés très chères, acquises de haute lutte par nos mères et nos grands-mères, que je tiens à alerter sur une nouvelle forme de la régression sociale, humaine et morale que nous impose la crise migratoire, crise qui n’est pas une fatalité, mais l’œuvre d’une politique voulue, effrayante par son aveuglement

 On peut se demander quelle est la place réelle des femmes dans le programme du Front National. On y évoque vaguement un salaire maternel et l'égalité salariale mais sans en préciser les modalités. Marine Le Pen espère-t-elle vraiment passer pour le porte-drapeau des droits des femmes, elle qui, de façon à peine moins voilée que sa nièce Marion Maréchal-Le Pen, condamne l'avortement et le remboursement de l'IVG et s'oppose aux subventions des centres du planning familial. Qu'est ce que ce soi-disant parti féministe qui interdirait aux femmes la gestion de leur propre corps et qui propose actuellement de couper les subventions allouées au Centre Hubertine Auclert, centre francilien de ressources sur l’égalité femmes-hommes.

Le féminisme se résumerait-il à un choix vestimentaire : outre le refus du foulard, la cheftaine du FN, que l'on voit toujours en pantalon en France, a choisi la minijupe et les talons aiguille pour sa visite à un pays arabe !

 Comment articuler cette parade féministe avec une véhémente attitude xénophobe et raciste ? Migrants économiques, immigrés, réfugiés de guerre, dont plus de la moitié est composée de femmes et d' enfants, tous dans le même sac ? Tous primitifs, rustres et misérables parce que pas blancs ?

 A Beyrouth, Marine Le Pen aurait pu constater le gouffre entre l'accueil parcimonieux et avare de la part de la France et celui, certes loin d'être parfait, mais réellement généreux du Liban, dépassé économiquement et socialement par les flux incessants de réfugiés de la Syrie voisine.

 Pourtant, les rapports entre le pays du Cèdre avec le Front National ont déjà un passé lourd. Pendant la guerre civile, des liens étroits se sont tissés : Michel Aoun, aujourd'hui président, voyait régulièrement Le Pen père, lorsqu'il représentait la cause chrétienne à l'époque de son exil à Paris. Dans un article paru dans le Monde, Jean-Marie Le Pen avouait:  Nous avons une tendresse particulière pour le Liban, et c’est réciproque, je pense, évoquant des parallélismes idéologiques et politiques avec les chrétiens libanais.  Est-ce pour faire faire plaisir au président maronite et aviver les tensions intercommunautaires tant au Liban qu'en France que Marine Le Pen a mis en scène cette performance ? Solidarité chrétienne/Laïcite/Islamophobie, même combat ? Pas sûr que ce soit un cadeau pour la présidence libanaise qui a déjà assez de problèmes sans les frasques de la candidate de l'extrême droite française sur son territoire.

 L'arrogance de Marine le Pen qui refuse de s'acquitter d'un geste de politesse élémentaire lorsqu'elle se rend chez un religieux, est d'autant plus outrancière quand on se souvient de son attitude indécrottable envers le foulard islamique en France dont elle veut interdire la présence dans l'espace public. Autrement dit, c'est aux musulmanes pratiquantes de se conformer à l'idée que Marine le Pen se fait de la laïcité, et de montrer du respect pour ce qu'elle estime être des valeurs françaises. De toute évidence, cette recommandation ne s'applique pas à la dirigeante du Front National quand elle se rend chez des hôtes étrangers, surtout musulmans. Aurait-elle fait la même chose si elle avait demandé une audience au pape ? Peu probable : elle aurait sorti la voilette comme tout le monde, vraisemblablement agenouillée sur son prie-Dieu.

 Cette suffisance dégage des relents colonialistes, ce qui montre qu'elle est bien la digne héritière de son père. Elle arrive dans ce pays jadis administré par la France sous mandat avec la même attitude de supériorité, que jadis son propre père démontrait en Algérie. Si ce dernier maniait allègrement la gégène, fifille use d'un mépris semblable. Celui exercé par la race qui s'estime celle des seigneurs, hier ceux qui se décrivaient comme des 'aryens' antisémites, aujourd'hui les dictateurs tels que Assad, Erdogan voire Trump et Poutine et ceux des droites extrêmes qui cherchent à se faire élire, tous unis, déclarés chez les uns, presque cachés chez les autres, dans cette admiration sans bornes que la famille Le Pen voue à l'idéologie nazie. Si le père jadis traînait ouvertement avec d'anciens SS et des collabos notoires, la fille cherche à fédérer l'extrême droite européenne souvent proche des neo-nazis, dont elle s'estime l'égérie et sans doute la muse, et d'entraîner dans leur sillon collectif une population frustrée, réunie dans l'islamophobie, l'antisémitisme et la xénophobie la plus toxique.

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