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Sociologue spécialisée dans la problématique du genre et conflits armés, activiste, chercheuse associée au LEGS (Paris 8), directrice de 'FemAid'et 'Women in War'.

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Billet de blog 22 avril 2017

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Un attentat providentiel… pour la droite

L'attentat sur les Champs-Elysées du 21 avril dernier est tombé à point nommé pour les candidats de droite et d'extrême-droite qui peuvent instrumentaliser la psychose du terrorisme exacerbée par les médias qui en même temps bénéficie à Daech en perte de vitesse...

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Illustration 1
Sur les Champs Elysées, jeudi soir © Denis Allard pour Libération

L'attentat qui a eu lieu le 21 avril sur les Champs-Elysées à Paris est tombé à point nommé pour les candidats de droite et d'extrême droits à l'élection présidentielle. Ceux qui ont inscrit au centre de leur programme la triade insécurité-terrorisme-immigration, l'amalgame érigé en origine de tous les maux qui assaillent la France. François Fillon et Marine Le Pen n'auraient pas pu rêver d'un plus beau cadeau que cet attentat ultra-médiatisé : en vérité, ils n'auraient pu faire mieux même si leurs propres directeurs de la communication avaient rêvé ce qui est devenu le plus sinistre des coups publicitaires, à trois jours du premier tour.

Car bien plus que les malheureuses victimes, un jeune policier tué à bout portant et deux collègues entre la vie et la mort, c'est le spectre du terrorisme omniprésent qui est surtout brandi en épouvantail par les médias à la veille des élections, autrement dit la menace d'une invasion extrémiste, venue de l'étranger et s'infiltrant par tous les pores du pays. Comme si l'action d'un délinquant quasiment professionnel ayant des comptes à régler avec la police ne pouvait agir que sous les ordres de commanditaires étrangers, notamment l'État Islamiste, dit Daech.

 Alors que toute la presse publie à la une que l'attentat a été revendiqué par Daech comme si cela allait de soi, personne ne semble avoir remarqué que l'organisation djihadiste n’a revendiqué l'attaque des Champs-Élysées par son organe de propagande Amaq qu'à 23h34, autrement dit presque trois heures après les faits et surtout environ dix minutes après la brève allocution du président Hollande. On pourrait croire que c'est le discours présidentiel qui leur a appris l'existence de l'attentat

 Tous les rapports convergent pour démontrer que Daech est en perte de vitesse, voire en plein déclin. En 2016, ils ont perdu un quart de leur territoire, ainsi que des batailles importantes. On enregistre un nombre croissant de défections vers des groupes jihadistes rivaux. Sans oublier les désertions, toujours plus nombreuses 

 C'est ainsi, que pour se redorer le blason, Daech se retrouve à revendiquer à postériori des attentats de façon opportuniste sans qu'il n'y ait de preuve véritable. Il a été de même pour l'attaque de Nice, revendiqué le lendemain des événements. Cette imputation systématique à Daesh du moindre crime ou forfait a donné naissance au hashtag #DaechRevendique qui a fait rage l'été dernier sur Twitter (par exemple Daech Revendique les choux de Bruxelles, ces fdp et autres). Il en fut de même pour l'attaque au Louvre en février dernier où l'on y vit initialement la main de Daech (à travers un tweet), avant que ça ne fut démenti par le principal intéressé. Le manque d'interrogations de la part des médias ne peut que servir Daech, avide de publicité de ce type qui démontrerait leur apparente invincibilité.

Que dire du billet "trouvé" sur les Champs-Elysées que l'assaillant aurait laissé tomber ? Cela ne constitue pas plus une preuve que n'importe quel billet laissé par un criminel pour signer son forfait. Ici — comme ailleurs, la colère aveugle, le désir de vengeance et la folie s'affublent d'une cause que le meurtrier voudrait grandiose. Ce n'est pas nouveau… La sinistre banalité du personnage a été renforcée par le résultat des enquêtes publié aujourd'hui.

 Et pourtant les médias surenchérissent sur le terrorisme, poussant à la psychose nationale. On nous présente un danger omniprésent, comme si nous étions à Alger dans les années noires, à Kaboul ou à Mossoul. De quoi décourager les visiteurs et porter un coup sérieux contre le tourisme, industrie française majeure à présent en crise. Et conforter les électeurs indécis mais durablement apeurés dans un choix considéré sécuritaire alors qu'il ne garantit nullement l'évacuation du crime dans notre pays.

 En vérité, les journalistes, friands de sensationnalisme, se sont levés comme un seul imbécile pour faire une fois de plus un joli coup de pub à Daech, lui conférant un pouvoir que l'organisation n'a plus. Et par la même occasion réalisant la plus belle campagne de com gratuite à Fillon et le Pen qui leur devront une fière chandelle si par malheur ils passaient au second tour. Là, pour le coup, c'est le terrorisme d'Etat, véritablement terrifiant, qui nous menacerait...

Carol Mann, sociologue, chercheure associée au LEGS à Paris 8, spécialiste du genre et conflit armé, dirige l'association Women in War

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