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En quatre ans de domination des talibans, un des régimes les plus répressifs de la planète, le gouvernement islamiste a disloqué le renouveau de l’éducation péniblement mis en place sous le bref gouvernement républicain (2001-2021). La fermeture massive des écoles et universités aux filles, l’interdiction de l’enseignement de toute matière ayant trait aux sciences sociales, les droits humains et la culture n’ont pas agi en faveur de la crédibilité internationale de Kaboul- sans parler du désastre économique et social que toutes ces suspensions ont entraînées.
Cependant, l’Émirat taliban a fini par accepter qu’il fallait tout de même assurer un certain niveau d’instruction pour sa population tout en se rendant compte qu’il ne pouvait pas répliquer entièrement le système mis en pratique par feu le Mollah Omar. Il fallait donc viser au-delà de la madrasa rudimentaire et y intégrer un certain niveau de matières dites modernes, pour les garçons, mais aussi les filles.
Comment trouver l’équilibre entre l’endoctrinement religieux et une approche acceptable du monde contemporain qui ne risquerait pas de heurter les ultras-islamistes et les pousser vers l’État Islamique, présent en Afghanistan ainsi que la totalité des groupes islamistes du Moyen-Orient et d’Asie centrale ? En dépit des promesses tonitruantes de Doha Trahissant allègrement ces accords, les talibans coopèrent avec tous ces groupes (entre autres E-I-K, l’État islamique afghan, Al-Qaeda, TTP - les talibans pakistanais-, des Syriens du E.I et affiliés) mais tiennent à conserver le pouvoir. De plus, ces factions extrémistes ont recruté des dizaines de milliers djihadistes du monde entier parqués pour le moment dans des villages reculés, mais prêts à attaquer le Pakistan, voire pour Al-Qaeda de planifier des attentats en Occident.
Il faut aussi trouver un compromis avec la population afghane qui, même chez les plus conservateurs, a pu prendre la mesure de la valeur de l’éducation dans le monde moderne du travail. Tel est le double problème central que le Ministre de l’Éducation doit résoudre.
Les bâtiments autrefois scolaires sont transformés en « madrasas du Djihad » 22,972 collèges coraniques ont été construits entre fin 2021 et mi 2025 selon par Ministre de l’Éducation. Il semblerait qu’ils seraient financés par les pays du Golfe. Un institut important par district peut loger 2 000 garçons, tous revêtus de tunique et pantalon façon Pakistan, surmonté d’un lourd turban, même les petits. Tout à fait le système élaboré pendant la guerre contre les Soviétiques quand des pensionnats d’endoctrinement islamiste ont été établis par centaines tout le long de la frontière afghano-pakistanaises, formant la génération des premiers Talibans. Aujourd’hui, il y aurait 85 établissements religieux pour chaque école.
Le gouvernement tient à exhiber une image du taliban moderne, en introduisant les matières scientifiques pour créer une génération d’ingénieurs et de médecins, voire de commerçants suffisamment fanatisés par le passage à la madrasa pour enfiler des vestes bourrées d’explosifs si on le leur demandait. Des études[3] ont montré qu’un pourcentage important de kamikazes (originaires du Liban, Palestine ou les Pays du Golfe) a un niveau d’éducation élevé (contrairement aux salafistes d’origine européenne) et ne sont pas motivés par la misère mais plutôt par idéalisme[4].
Et les filles ?
Puisque la planète réclame à cor et à cri la re-ouverture des écoles pour les filles l’Afghanistan étant est le seul pays au monde à interdire toute forme d’éducation ou de formation professionnelle aux filles, il se révèle urgent d’imaginer un scénario crédible (même si ce n’est que de l’esbroufe). Certes, les pays qui ont des relations officielles avec le gouvernement taliban comme la Chine, l’Iran, le Myanmar, les Émirats, la Russie qui est le premier pays à avoir reconnu l’Afghanistan, ou l’Inde qui en bonne voie pour faire de même, ne sont pas regardants sur la question des droits humains, mais il faut au moins une parade pour attirer les investisseurs.
Peu à peu les écoles primaires sont remplacées par des madrasas où les fillettes ânonnent les versets du Coran en arabe qu’elles ne comprennent pas, et il n’y a pas de limite d’âge pour y accéder. Selon une de nos enseignantes, une de ses jeunes élèves avait quitté son cours pour une madrasa, puisqu’une croyance populaire veut que si une fille apprend les 6 236 vers Coran entier par cœur, ses parents iront directement au paradis (ce qui n’est pas garanti pour leur filles).
Selon une enquête entreprise conjointement par le site afghan féministe « Zan » et « The Guardian[5] », ces madrasas souvent situées dans le sous-sol des mosquées, seraient dirigées par des mollahs encouragés financièrement par les autorités à recruter un maximum des filles. Comme l’aide alimentaire passe par ces mêmes mollahs, ces derniers exigent que les bénéficiaires se rendent à leurs écoles coraniques, ce qui ne garantit nullement l’obtention de l’aide.
Le niveau suivant des établissements dits scolaires, supposés remplacer collège et lycée appelés les Darul uloom, dispense une scolarité rudimentaire, avec quelques vagues notions scientifiques, parfois de l’anglais enseigné par des jeunes diplômées de madrasa, dépourvues de la moindre compétence, sachant parfois à peine lire. Durant le régime républicain, il existait un bon nombre de ce type d’institutions (estimées à 1500) mais elles étaient privées.
Les talibans durant l’été 2025 ont commencé à sporadiquement interdire l’anglais (voire pendant un temps toutes ces écoles religieuses) pour que les filles se concentrent uniquement sur les hadiths et les enseignements moraux axés sur le rôle des sexes, de la modestie et la soumission inconditionnelle aux hommes afin de les préparer à devenir des mères de futurs djihadistes.
Les livres de classe sont en pashto, importés du Pakistan, ce qui crée des problèmes presque insurmontables pour ceux et celles qui ne connaissent que le dari (60% de la population). Et du coup, les Shias (la population hazara) sont discriminés dans ce programme d’un sunnisme ultra-rigoureux qui exclut totalement leurs pratiques.
Au niveau primaire, les petites filles de sept à onze ans, vêtues de pied en cap en hijab noir, passent la matinée à la madrasa et, si les parents sont d’accord, l’après-midi à l’école primaire. Les enseignantes, toutes fonctionnaires d’État, dans les deux systèmes sont payées pareillement, mais celles du primaire sont tenues d’assister à une heure de cours de propagande quotidienne, non payée. Selon une enseignante qui travaille à la fois pour nos écoles secrètes et une structure primaire «Tous les jours on doit lire des textes qui où on nous explique pourquoi le djihad contre les kafirs (impies) américains est une grande victoire pour l’islam qui nous sauve du lavage de cerveau occidental qu’on aurait subi pendant vingt ans. Les Talibans cherchent à se justifier par tous les moyens».
C’est ainsi qu’un véritable chantage à l’éducation religieuse est en train de reconstruire le paysage intellectuel et social du pays.
Les filles à l’étape du secondaire passent souvent six heures par jour dans ces établissements, masquées gantées même par temps de canicule, mais en sortent avec un diplôme désormais requis pour le moindre emploi, ce qu’aucune école secrète ne peut offrir. Pour les filles qui s’y rendent, c’est la seule façon de quitter la maison et de prétendre d’avoir un minimum d’interaction sociale. Mais échapperont-elles à l’endoctrinement ? Si les talibans ferment ou censurent massivement l’accès à internet, c’est un risque certain. De plus, tous les employés du gouvernement, hommes et femmes, du préposé aux passeports à la femme de ménage d’un ministère, sont tenus de passer un examen de connaissance religieuse (version talibane), par écrit s’ils sont alphabétisés, à l’oral pour les illettrées.
Aujourd’hui, quelque 300 000 élèves sont inscrits dans des écoles religieuses dont 216 000 garçons et 91 000 filles. Nous sommes en présence d’une population (dont l’âge moyen est de 17 ans) en voie de fanatisation. Et en vue du contexte, avec la présence de toutes les factions islamistes de la région et un régiment de mercenaires et commandos kamikaze bien formés, le fait de reconnaître officiellement l’Afghanistan (et par conséquent ses institutions) constitue un danger mondial, voire mondialisé, mais ce n’est pas le seul. L’ouverture d’ambassades talibanes constitue un premier pas vers la reconnaissance, comme en Turquie et Indonésie, ce qui était prévisible, mais que dire de celles en Norvège, les Pays-Bas, l’Espagne, la Bulgarie, la République tchèque et depuis peu un consulat en Allemagne ? Le silence de l’UE laisse pantois, à moins que ces implantations soient acceptées pour mieux renvoyer les demandeurs d’asile afghans, ce qui semble être le cas dans ces pays en plein processus de droitisation extrême. Bien entendu, c’est le seul moyen d’obtenir un visa pour les journalistes, mais était-ce nécessaire d’en ouvrir un tel nombre, à une heure d’avion l’une de l’autre ?
C’est désespérant. Que faire ? Attendre un attentat en Europe pour envahir, comme les Américains l’avaient fait après l’attaque des Tours Jumelles (le ‘9/11’de septembre 2001) avec les résultats que l’on sait ? La solution, c’est d’encourager et de financer la résistance de l’intérieur, non pas celle qui dépend des armes et des bombes, mais de la résistance des femmes et des jeunes filles qui tiennent au prix de risques mortels à poursuivre une éducation véritable. Ce type de résistance n’enrichit guère les marchands de canon, certes, mais a l’avantage de maintenir et de permettre la transmission de la liberté de penser et la réflexion critique, seuls remparts contre l’obscurantisme mortifère. C’est inestimable.
Depuis le retour des Talibans au pouvoir, des associations humanitaires différentes du monde entier tiennent à aider les Afghans sur place à mettre en place une alternative éducative gratuite, poursuivant le programme scolaire établi par la République. Elles payent les enseignantes, le matériel scolaire et l’installation dans un lieu tenu secret. Les principales associations en France sont le tandem Femaid Nayestane qui assure la scolarité de 3 000 collégiennes, ainsi que Afrane qui depuis 1980 maintient une aide humanitaire continue à ses bénéficiaires en Afghanistan.
Il est possible de contribuer à ces projets par le biais de la plateforme HelloAsso
Carol Mann est sociologue, spécialisée dans l'étude du genre et conflits armés, présidente de l'association Femaid, est en train de terminer une étude de la situation des femmes en Afghanistan après le retour des Talibans.