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Sociologue spécialisée dans la problématique du genre et conflits armés, activiste, chercheuse associée au LEGS (Paris 8), directrice de 'FemAid'et 'Women in War'.

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Billet de blog 30 août 2015

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Les réfugiés à la rescousse de l'Europe cacochyme ?

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La découverte effroyable du camion macabre en Autriche a remis à l'ordre du jour l'urgence de prendre en charge l'afflux incessant des réfugiés, toujours plus nombreux, qui échouent quotidiennement en Europe, de Syrie, de l'Irak, de l'Afghanistan de la Libye, de la Corne de l'Afrique, poussés par des guerres dont l'Europe et les États Unis portent une bonne part de responsabilité.

  La réticence massive des instances européennes, exprimées par la presse populiste fait écho à la phobie de l'invasion éprouvée par un bon nombre d'habitants d'Europe, exploitée par l'extrême-droite et leurs alliés. Des mesures punitives et coercitives sont proposées bien plus souvent que des plans pour recevoir ces réfugiés qui sont bel et bien en train de devenir des migrants.

Parmi les nombreuses objections figure en bonne place la question du coût. Car chaque réfugié dont le statut a été reconnu par l'octroi d'un récépissé, va bénéficier d'un minimum de prise en charge, par les services de santé encore généreux en France, de prestations sociales, y compris celui du droit au logement et d'un revenu minimum. Du moins sur papier, selon la législation en vigueur. À ceux-là s'ajoutent les migrants au statut incertain qui, eux aussi, tentent de bénéficier de ces dispositifs. Sans oublier les sans-logis et SDF du terroir, eux aussi toujours plus nombreux. La concurrence de ces groupes pour les mêmes aides se fait chaque jour plus vive et ne manquera pas de mener à la violence.

À Paris, force est de constater que les services sont débordés. Les hébergements d'urgence sont souvent incapables de répondre aux appels, pour la bonne raison que les dispositifs n'ont jamais été pensés pour des demandes qui vont en s'accroissant de façon aussi dramatique.

L'Europe ne peut pas régler ce problème en érigeant des murs et des clôtures en fil de fer barbelés. Ni en expulsant les demandeurs d'asile. Le problème des passeurs de mieux en mieux organisés ne se réglera pas rapidement, d'autant qu'ils profitent de la complaisance de ceux qui bénéficient de la présence des réfugiés légitimes et clandestins, jusque dans Paris, entre autres hôteliers louches et réseaux d'employeurs au noir pour qui le malheur d'autrui est une fructueuse source de revenus.

Il reste une solution qui est parfois évoquée y compris par un appel lancé l'an dernier par Charles Aznavour, lui-même fils de réfugiés arméniens rescapés du génocide . Sa proposition, aussitôt oubliée comme d'autres du même type, recommendait  profiter de la présence des réfugiés — souvent des personnes de niveau éducatif élevé — pour repeupler les villages à moitié vides, voire fantômes, toujours plus nombreux en France et en Europe.

Et pourtant, périodiquement des articles font état de villages qui font appel à des habitants potentiels, des terrains en Bretagne vendus à un euro le mètre carré. Il est évident que la France se meurt du non-renouvellement de ses populations, la fin des petits commerces, l'anéantissement de toute la vie rurale. Le collapsus démographique s'accélère en Europe: dans une génération près de la moitié de la population sera à l'âge de la retraite, étouffant toute croissance économique .

La solution existe. L'exemple avait été donné par le maire d'un village mourant en Italie, Riace en Calabre qui avait commencé par accueillir, dès 1998, 250 Kurdes suivis par des réfugiés de toutes les nationalités (Afghans, Iraniens, Erythréens, Palestiniens et autres) : les difficultés rencontrées par ce projet ont été largement dues au retard pris par l'EU à verser l'argent promis, l'emploi — et non pas des problèmes d'intégration qui font peur au Front National.

 Pourquoi ne pas reprendre cet exemple et verser les sommes allouées par le gouvernement, condamnées de toute façon à être insuffisantes dans le contexte des coûts élevés dans les grandes villes, à la résurrection de ces villages et un programme d'encadrement cohérent ? Il est évident qu'on ne plus faire du 'coupé-collé' de ce qui existe et qu'il faudra repenser les services en fonction de cette nouvelle réalité, la présence de milliers de réfugiés sur le territoire. Les capacités individuelles des réfugiés serviraient à réhabiliter ces lieux et les services, dont les écoles où l'enseignement du français serait associé à la préservation des langues d'origine avec des enseignants réfugiés. Des prêtres si durement malmenés au Moyen-Orient pourraient à nouveau faire revivre des églises anciennes qui tombent en ruines dans nos campagnes, les professionnels de santé pourraient utiliser leurs compétences pour leur propre communauté, épaulés et peu à former aux normes européennes par les instances locales. Sans parler des restaurants, épiceries, postes, de l'artisanat, soins aux personnes âgées, qui bénéficieraient à toute la région. Comme à Riace, les nouveaux habitants contribueraient leurs talents et leur travail en échange de ce nouveau départ dans la vie. Ce serait le lieu pour lancer des entreprises liées au recyclage, à l'écologie, à l'alimentation et bien plus encore, qui meneront à une croissance économique permettant un véritable développement local et à  moyen terme national. La France a près tout a toujours compté sur l'immigration pour se renouveler et progresser. Selon l'historien Gérard Noiriel, un français sur trois a une ascendance étrangère. Pourquoi stopper ce processus qui nous a toujours enrichis ? D'autant qu'à présent il s'agit de sauver une France réellement mourante.

 Un mouvement de ce genre doit se réaliser de deux côtés à la fois, en commençant par une mobilisation des communes et une recherche sur le terrain de possibilités par un mouvement citoyen et simultanément l'élaboration d'une prise en charge coordonnée en haut lieu, autrement dit l'Union Européenne.

Le Fonds Européen pour les Refugiés (FER) créée en 2000, soutenu par les autres fonds doit pouvoir créer un programme d'urgence de soutien aux communes qui accepteraient de recevoir des réfugiés dans leurs villages. Par des activités partagées, l'échange de savoirs, une partie de ces programmes serviraient à créer des liens avec les autres habitants sur place, promouvoir l'avenir en encourageant les jeunes issus dans cette nouvelle migration, syrienne, kurde, yazidie, éthiopienne, somalienne, afghane à construire un avenir pour un continent cacochyme. Et à nous pardonner d'avoir contribué à mettre sur les routes de l'exil cette génération de réfugiés par le biais de guerres inutiles que l'Europe avec l'OTAN a trop souvent soutenues, armées et financées


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