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Sociologue spécialisée dans la problématique du genre et conflits armés, activiste, chercheuse associée au LEGS (Paris 8), directrice de 'FemAid'et 'Women in War'.

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Billet de blog 31 octobre 2023

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Quand une guerre débute par un féminicide collectif, en hommage à Shani Louk

Alors que la guerre fait rage à Gaza et en Israël, on pourrait croire que tout n’est qu’une question d’une surenchère de statistiques mortifères, les horreurs s’entassant les unes sur les autres. Qu’en est-il des souffrances spécifiques des femmes ? N’oublions pas que la violence incommensurable à l’œuvre aujourd’hui a commencé par une série de féminicides... ignorés par la communauté féministe.

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Illustration 1
Shani Louk

La guerre actuelle qui se déroule en Israël et à Gaza a été déclenchée (sinon causée) par un massacre sans précédent. Les victimes étaient principalement jeunes, 260 d’entre- elles se trouvaient à une gigantesque rave près de Réim au sud du pays, les autres appartenaient à des familles habitant par conviction pacifiste à la frontière avec Gaza , dans des kibbutzim de gauche, Kfar Azza et Beeri, militant activement pour les droits des Palestiniens. On compte en tout quelques 1 400 morts, 5 431 blessés et 239 enlèvements d’Israéliens et personnes d’autres nationalités dont des bébés, la majorité étant des civils

 Fait nouveau mais bien de notre époque, les militants du Hamas ont pris des selfies avec leurs victimes, filmé des enlèvements et des assassinats les postant en direct sur leurs comptes Facebook de telle façon que la parentèle des victimes a pu assister en direct au calvaire de leurs proches. Des sympathisants du monde entier ont distribué ces images dans les médias sociaux, ce qui rendra par la suite impossible toute tentative révisionniste ou accusation de ‘fake news’ impossible.

Ce massacre savamment planifié comme l’ont révélé des interrogatoires des terroristes capturés par le Shin Beit  a été noyé par le déluge quotidien d’images effrayantes montrant les effets des bombardements intensifs de l’armée israélienne visant à la destruction du Hamas. Les chiffres provenant uniquement du Hamas indiqueraient 8 000 morts dont un nombre de femmes et d’enfants- même si on divise par deux ou dix c’est  effroyable. Savoir que les militants se cachent sous les structures civiles et utilise la population locale comme des boucliers humains n’excuse en rien ce carnage.

 La presse et les sympathisants pro-Palestiniens ont choisi de ne pas s’arrêter sur la nature bien particulière du massacre du 7 octobre, comme si seuls comptaient les chiffres, comme dans un match de foot. 1 400 d’un côté, 8 000 (théoriquement) de l’autre. Et pourtant, on ne dira jamais assez comment cette guerre a débuté par une série de féminicides ciblés et des supplices des plus sadiques, documentés sur des caméras corporelles des terroristes Hamas capturés.

Les viols suivis de meurtres, tortures et décapitations de femmes (très jeunes et très âgées) devant leurs proches, des fœtus arrachés des ventres de femmes enceintes ont été documentés par des vidéos que le Hamas a fait circuler de façon triomphaliste. Des jeunes filles violées et enlevées ont été exposées à la vindicte populaire à Gaza. Et là aujourd’hui, un os crânien a permis d’identifier une victime, une tatoueuse de de 23 ans, Shani Louk.

Une vidéo qui avait circulé immédiatement après le carnage montrait déjà la malheureuse Hani, selon Libé le corps inanimé et désarticulé d’une femme, allongée dans un pick-up à bord duquel se trouvent des combattants, dont l’un a enroulé sa jambe autour de la taille de cette jeune femme. Un homme crache sur sa tête au moment où le véhicule démarre.  La parution de ce reportage sur sa mort paru tard le 30 octobre nous force à repenser ce  massacre. Force est de le constater, même si le massacre des civils israéliens a été vigoureusement condamné (pendant 2 ou 3 jours), aucun regroupement  militant ou universitaire se voulant féministe jusqu’ici ne semble avoir ouvertement dénoncé la spécificité misogyne du massacre.  Un journaliste (certes du Tablet, une publication juive américaine  a remarqué qu’aucun des innombrables départements de Gender Studies aux États-Unis – et ailleurs- n’ a voulu dénoncer les féminicides commis en toute conscience et de façon délibérée. Et ajoutons que personne ne s’est posé la question des violences sexuelles vraisemblablement subies des femmes cachées dans le labyrinthe de tunnels creusés sous terre par Hamas à Gaza. A l’époque de Me-Too où l’on a décidé une fois pour toute que  tout violeur réel ou potentiel était un criminel et que seule comptait la voix de la victime, ce silence - surtout venant des milieux féministes- est assourdissant.

La US campaign for Palestinian Rights comporte  une section  intitulée « Palestine is a feminist Issue ». On y dénonce toute la gamme de violences subies par les femmes dont celles commises par des militaires israéliens envers les Palestiniennes incarcérées dans les prisons israéliennes, (sans mention pourtant de brutalité de nature sexuelle), ainsi que, selon cette campagne, une apparente interdiction de recevoir une éducation, des soins ou d’accès à la santé reproductive. Nulle mention nulle part de l’agenda islamiste du Hamas qui certainement ne promeut pas l’émancipation des femmes. De toute évidence, l’intersectionalité a ses limites pour les féministes attitrées de la US campaign for Palestinian Rights.
En tant que chercheuse de longue date de la problématique du genre et du conflit armé, j’aurais plutôt mis en exergue les accouchements qui ont lieu aux check-points parce que les femmes enceintes doivent y attendre pendant des heures, les fausses couches provoquées par le stress constant et la misère. Tout cela est vrai et encore plus épouvantable pendant ces bombardements incessants où les femmes accouchent parmi les décombres, privées de tout soin.. Selon l’ONU, il y aurait 50 000 femmes enceintes à Gaza dont 5 500 doivent accoucher dans un mois
On ne saurait parler ici de dommages collatéraux, toute guerre en elle-même est un crime contre les femmes. De courageuses manifestations en Israël ont eu lieu pour condamner les attaques sur Gaza  ce que, bizarrement, seule une publication en ligne émanant des Émirats semble avoir rapporté (en dehors de la presse israélienne surtout de gauche). On sait ce que sont devenus ceux et celles qui ont tenté de manifester contre la guerre d' Ukraine en Russie

 Et pourtant le calvaire des femmes à Gaza ne saurait oblitérer le féminicide qui a été perpétré le 7 octobre dernier et qui continue sans doute jusqu’à maintenant quelque part à Gaza. Les féministes qui crient leur haine d’Israël ne sauraient défendre l’action du Hamas en  reprenant ce qui vraisemblablement constitue leur argument : que ce sont des Juifs (par conséquent des Unmenschen, même pas humains) que l’on a violés et massacrés et non des femmes. Déshumaniser les victimes en leur confisquant leur identité genrée et en s’interdisant toute expression d’empathie signifierait l’anéantissement de la pensée féministe. Avec de graves conséquences sur l’avenir des droits des femmes

Illustration 2
Manifestation à Tel-Aviv

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