Tony Gatlif avait envie de faire un film sur Samudaripen, «l’holocauste des Roms» depuis qu’il a commencé à faire du cinéma ; mais le sujet lui faisait peur. Sur deux millions de Tsiganes vivant en Europe pendant la deuxième Guerre mondiale, entre 250 000 et 500 000 ont été exterminés par les nazis. «Les Roms que je rencontrais me disaient souvent: “Fais-nous un film sur la déportation des Roms”». C’est chose faite avec Liberté, qui sort mercredi sur les écrans.
C’est l’histoire d’une famille arrivant dans un petit village de la France occupée pour s’y installer le temps des vendanges. La petite troupe rencontre Théodore (Marc Lavoine), vétérinaire et maire du village, et Mademoiselle Lundi (Marie-Josée Croze), l’institutrice, qui insiste pour que les enfants soient scolarisés ; mais les contrôles d’identité imposés par le régime de Vichy se multiplient et les Tsiganes n’ont plus le droit de circuler librement. Théodore cède un de ses terrains aux bohémiens pour les sauver de l’arrestation. Ils supportent mal la sédentarisation, et reprennent la route, jusqu’à ce que la police française les rattrape…L’histoire de Liberté est inspirée de faits et de personnages réels. Théodore et Melle Lundi, qui fut une résistante arrêtée et déportée, ont vraiment existé, et ont aidé Tony Gatlif à construire sa trame autour de deux figures de Justes.Si Liberté est un film important, c’est peut-être moins esthétiquement (quoique le film soit réussi) qu’historiquement, en ce sens qu’il vient combler un vide culturel majeur. En dehors de l’inoubliable Temps des Gitans et de l’œuvre cinématographique de Tony Gatlif, il n’existe pas de film et très peu de livres sur les Tsiganes (Matéo Maximoff,Henriette Asséo), et quasiment rien sur leur déportation, hormis quelques chapitres dans des ouvrages consacrés à l’histoire de ce peuple nomade. C’est donc avant tout pour colmater un trou noir de la mémoire européenne que Tony Gatlif s’est lancé dans cette entreprise. Avec l’aide d’historiens spécialistes et d’une documentaliste qui a cherché des éléments d’archives dans des communes des camps d’internement, le réalisateur de Gadjo Dilo a travaillé au plus près de la réalité historique pour restituer une tragédie sciemment oubliée. Qui sait par exemple que la loi de 1912 a imposé le carnet anthropométrique à tous les Roms et que les lois de Vichy ont interdit le nomadisme, conduisant à l’enfermement de Tsiganes dans 40 camps de concentration sur tout le territoire français, camps qui soit dit en passant n’ont été fermés qu’en 1946, un an après la Libération? Pour Tony Gatlif, « les Tsiganes ont toujours été les bêtes noires de la société organisée ». Une des scènes cruciales du film est d’ailleurs la confrontation des Roms avec quelques paysans du coin, ceux qui revendiquent leur appartenance à la terre, ceux qui n’ont jamais quitté leur ferme et qui éructent leur haine de l’Autre portée la peur, une peur sourde de la trop grande liberté de cet étranger. « Ces gens-là », ceux de la chanson de Brel, n’aiment pas « les oiseaux de passage », ceux de la chanson de Brassens. Et malheureusement, les premiers sont encore nombreux aujourd’hui.Car évidemment, le film entre en résonance avec l’époque actuelle : en Roumanie, en Hongrie, et dans l’Italie de Berlusconi, les Roms sont soumis à des lois d’exception et des passages à l’acte violents voire meurtriers ont été constatés ; récemment un élu de la Ligue du Nord a suggéré d’ « éliminer » les enfants roms qui volent les personnes âgées, et dans La Padania, l’organe officiel de la Ligue, on a pu lire des phrases humanistes comme celles-ci : «Quand allez-vous nous libérer des nègres, des putes, des couleurs extracommunautaires, des violeurs couleur noisette et des gitans qui infestent nos maisons, nos plages, nos vies, nos esprits? Foutez-les dehors, ces maudits» (in Libération du 10 février 2010), et on se souvient des incendies criminels de camps roms à l’été 2007 dans la région de Naples. La loi française n’autorise les manouches à ne séjourner dans un endroit que 24 heures. Et Tony Gatlif décrit des ghettos de Roms, des camps emmurés et gardés dans lesquels on n’entre qu’en montrant une carte de résident.A la question « pourquoi une telle haine ? » contre ceux qu’on appelle avec mépris « les gens du voyage », Tony Gatlif répond invariablement: "parce qu'ils sont libres», porteurs d'une liberté authentique qui est « l’âme tsigane » incarnée dans le film par le personnage de Taloche, joué par un James Thierrée entièrement habité et proprement bouleversant.Billet de blog 22 février 2010
Le temps des Gitans
Tony Gatlif avait envie de faire un film sur Samudaripen, «l’holocauste des Roms» depuis qu’il a commencé à faire du cinéma ; mais le sujet lui faisait peur. Sur deux millions de Tsiganes vivant en Europe pendant la deuxième Guerre mondiale, entre 250 000 et 500 000 ont été exterminés par les nazis. «Les Roms que je rencontrais me disaient souvent: “Fais-nous un film sur la déportation des Roms”». C’est chose faite avec Liberté, qui sort mercredi sur les écrans.
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