Il y a trois ans presque jour pour jour, le 9 février 2014, le peuple suisse acceptait l’initiative dite « contre l’immigration de masse », inscrivant la réintroduction de contingents pour les étrangers dans la Constitution (article 121a). Ce principe étant contraire à la libre circulation des personnes (LCP), pilier principal des accords bilatéraux conclus entre la Suisse et l’UE, c’est tout l’édifice des relations entre les deux parties qui s’est vu fragilisé, malmené, presque détruit. Presque, car le Parlement suisse est finalement parvenu, non sans mal, à une solution – bien qu’en désaccord avec la Constitution – qui permette de mettre en œuvre l’initiative sans contrevenir à la LCP.
Cette loi d’application qui semblait avoir conquis tous les partis – même l’extrême-droite qui n’avait pourtant cessé de hurler à l’inconstitutionnalité durant les débats sous la coupole fédérale – se heurte actuellement à la résistance de quelques citoyens isolés qui tentent de récolter les 50'000 signatures nécessaires au référendum. Pas sûr que cela aboutisse et ce n’est pas plus mal. En effet, un autre vote attend les Suisses d’ici la fin 2017, vote qui portera sur la fameuse initiative intitulée «sortons de l’impasse (RASA)», qui prévoit de rayer purement et simplement l’article 121a sur l’introduction de contingents. Le gouvernement suisse, qui sur le fond approuve ce texte qui permet d’adapter la Constitution à la loi d’application, présentera ces prochains jours un contre-projet moins drastique et surtout moins contraire à la philosophie de la démocratie directe. La proposition, qui sera soumise au peuple en parallèle au texte de l’initiative, ne supprimerait pas l’article, mais le rendrait compatible avec les accords bilatéraux. Vous avez dit abscons ?
Règlement des questions institutionnelles
Une fois que la situation sera clarifiée, et pour autant que les Helvètes se prononcent en faveur de la poursuite des relations bilatérales avec leur voisine, les négociations (appelées questions institutionnelles) en cours depuis 2013 pourront enfin reprendre entre les deux partenaires. Car il s’agit encore et toujours pour la Suisse de signer un accord-cadre avec l’UE afin de déterminer qui décide en cas de litige sur l’interprétation du droit communautaire, accord qui est la proie de nombreuses oppositions, particulièrement à l’extrême droite de l’échiquier politique. Et ce bien que la Confédération soit, en l’absence d’un tel traité, dans l’impossibilité de conclure de nouveaux traités, pourtant nécessaires, comme par exemple dans le secteur de l’électricité. «Les gens s’imaginent souvent que le statu quo est possible. Or, chaque jour de nouveaux développements du droit de l’UE […] réduisent peu à peu la portée de nos accords d’accès au marché et provoquent une érosion de ceux-ci», avait expliqué le négociateur en chef entre la Suisse et l’UE Jacques de Watteville dans une interview en mai dernier[1]. «En effet, il faut […] que les accords évoluent parallèlement au développement du droit UE: c’est ce qu’on appelle la reprise dynamique du droit de l’UE, par décision commune des parties. Ensuite, il faut qu’il soit interprété de la même manière et que l’on sache quoi faire en cas de différend».
C’est justement la question du règlement des différends qui pose problème aux opposants. Ceux-ci prétendent que cela serait alors à la Cour de Justice de l’UE (CJUE) – ceux qu’ils appellent «juges étrangers» – de décider en cas de litige. Or, ce n’est pas le cas: «l’interprétation homogène du droit de l’UE repris dans les accords bilatéraux sera assurée conformément aux principes du droit international public et à la jurisprudence pertinente de la CJUE. Les comités mixtes des accords concernés seront compétents pour le règlement des différends »[2]. La CJUE ne sera donc pas seule à décider en cas de litige sur l’interprétation du droit, mais les décisions seront prises par un Comité mixte, composé de membres des deux parties, la Suisse et l’UE.
Impossible avant 2019
C’est donc dans ce cadre particulièrement complexe que Johann Schneider-Ammann, conseiller fédéral et ancien président de la Confédération plus connu pour son allocution sur le rire que pour sa politique, a déclaré vouloir négocier de toute urgence un accord de libre-échange avec le Royaume-Uni. A ce propos, il a déclaré : « Ce serait certainement un signal positif et je serais personnellement très heureux, si nous étions l'un des premiers pays à conclure un accord de libre-échange avec la Grande-Bretagne post-Brexit».[3] Toutefois, ce qu’il omet de préciser, est que Londres ne pourra pas signer d’accords bilatéraux avec la Suisse avant au moins 2019, puisque ce genre de négociations appartiendra jusque-là à Bruxelles. Pire, ce pourrait même être un très mauvais signal envoyé par Berne que de vouloir prioriser les relations avec le Royaume-Uni plutôt que la résolution des questions institutionnelles avec l’UE.
[1]Magazine Europa.ch, n°1/2016: http://www.europa.ch/wp-content/uploads/2016/06/162567_europa-ch-1_2016_FR_001_016-002.pdf
[2]Cf. https://www.eda.admin.ch/content/dam/dea/fr/documents/fs/11-FS-Institutionelle-Fragen_fr.pdf
[3] 20 Minutes, 29 janvier 2017: http://www.20min.ch/ro/news/monde/story/25525195
[4] Le Temps, 30 janvier 2017: https://www.letemps.ch/opinions/2017/01/30/suisse-maintenir-politique-europeenne-lombre-celle-britanniques-risque